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L'amour courtois

MessagePosté: Jeu 16 Fév, 2006 16:55
de Muskull
Bonjour à tous ! :D
Bientôt la Saint Valentin alors je lance ce fil pour damoiselles et damoiseaux. :55:

L'amour courtois fait irruption dans et avec les romans de chevalerie de "la matière de Bretagne", mais le thème est-il celtique ?
On pourrait en douter en lisant la Razzia et devant l'attitude de Cuchulain envers certaines douceurs féminines mais d'autres thèmes où on le trouve lui et d'autres bien langoureux et rêveur envers "la femme de l'autre monde" sont moins rébarbatifs. :D

Pour lancer l'affaire une petite image pour les amoureux sages où l'on voit une dame oiselle et ses prétendants en habit de noces...
Image

L'amour courtois existe chez les oiseaux, c'est peut-être eux qui l'ont inventé quand on voit tous les efforts qu'ils font pour séduire leur dame. :116:
Chez eux c'est les mâles qui s'habillent de vives couleurs pour la danse nuptiale et en font un max en parades et roucoulis.
Un peu le contraire des temps modernes koâ, marcherions nous sur la tête ? :lol:

MessagePosté: Jeu 16 Fév, 2006 17:53
de Professeur Cornelius
Muskull a écrit:Bonjour à tous ! :D
Bientôt la Saint Valentin alors je lance ce fil pour damoiselles et damoiseaux. :55:

L'amour courtois fait irruption dans et avec les romans de chevalerie de "la matière de Bretagne", mais le thème est-il celtique ?
On pourrait en douter en lisant la Razzia et devant l'attitude de Cuchulain envers certaines douceurs féminines mais d'autres thèmes où on le trouve lui et d'autres bien langoureux et rêveur envers "la femme de l'autre monde" sont moins rébarbatifs. :D



Bientôt la Saint Valentin... 2007, non ?

Je ne sais pas si l'amour courtois est d'origine celtique, mais les rapports amoureux, dans les littératures irlandaise et galloise, ne se limitent pas aux fureurs de Cuchulainn (Cú Chulainn), heureusement. N'oublions pas les belles "Courtises", celle d'Etaine, celle d'Emer..., ou les belles histoires de Diarmaid et Grainne, Tristan et Iseut, etc...
A un autre degré, la séduction de la femme peut également recouvrir le thème de la conquête de la Souveraineté.

MessagePosté: Jeu 16 Fév, 2006 18:12
de Muskull
Bientôt la Saint Valentin... 2007, non ?

Ah bon :shock:
Ce que c'est de vivre dans un sid, le temps tourneboule... :D
Bah, le 14 février ; on a 6 jours pour présenter ses voeux non ?
C'est bien de toi à chipoter à tout bout de champs...
A un autre degré, la séduction de la femme peut également recouvrir le thème de la conquête de la Souveraineté.

Justement, justement, Taliesin a écrit :
Erec et Enide, à travers le thème mythologique du mariage entre un roi et une déesse qui représente le pays qu'il vient de conquérir.

Non plus une déesse mais une représentation symbolique du "pays" comme le signale Guilaine dans un article que je viens de mettre en ligne :
http://www.forum.arbre-celtique.com/vie ... 7138#37138
Plus précisément :
http://www.college-de-france.fr/media/c ... ilaine.pdf
Quand on veut suivre, il faut suivre les poupées russes... :lol:
Et tant pis pour ceux qui voient des dieux partout !

MessagePosté: Jeu 16 Fév, 2006 18:35
de Professeur Cornelius
Muskull a écrit:
Bientôt la Saint Valentin... 2007, non ?

Ah bon :shock:
Ce que c'est de vivre dans un sid, le temps tourneboule... :D

J'ai toujours pensé que c'était le 14 février, la Saint Valentin..

MessagePosté: Jeu 16 Fév, 2006 18:39
de Muskull
Oui, j'ai regardé l'actualité et j'ai corrigé mon post. :lol:
Chipoteur ! :roll:

MessagePosté: Jeu 16 Fév, 2006 19:04
de Professeur Cornelius
Nananèèèère ! :128:

MessagePosté: Jeu 16 Fév, 2006 19:11
de Pierre
Muskull a écrit:Bientôt la Saint Valentin


A ce train là, j'ai l'impression que les pensions de famille de Douarnenez vont bientöt afficher "complet" :lol:

@+Fourbos

MessagePosté: Jeu 16 Fév, 2006 19:17
de Taliesin
désolé de vous décevoir, mais l'amour courtois n'est pas celtique : ça vient du Sud : la fin' amor occitane

MessagePosté: Jeu 16 Fév, 2006 19:30
de Muskull
Taliesin a écrit:désolé de vous décevoir, mais l'amour courtois n'est pas celtique : ça vient du Sud : la fin' amor occitane


C'est bien ce que je voulais t'entendre dire. :wink:
Mais de quelle façon l'occitan s'est "mélangé" à la matière de Bretagne ?
Quelles sont les influences historiques et pourquoi cela a "mordu" chez les bretons contants et contents de le faire. :D
Mais aussi les occitans qui allaient contant, d'où tenaient-ils cette beauté ?

MessagePosté: Jeu 16 Fév, 2006 19:35
de Professeur Cornelius
Absolument, c'est dans la poésie des troubadours occitans que l'amour courtois a vu son développement le plus achevé. Mais les origines en sont encore mal connues. La piste arabe est une des plus sérieuses. A lire :

Henri-Irénée MARROU, Les Troubadours, éd. du Seuil, Points Histoire, 1971.

Table :

- Aveu de Paternité
- Jongleurs et troubadours
- La renaissance du XII° siècle
- Ce siècle féodal
- La vie courtoise
- La poésie des troubadours
- La musique des troubadours
- L'amour, cette invention du XII° siècle
- L'hypothèse arabe
- Du "zadjal" andalou au "versus" aquitain
- Le mythe des "origines"
- Troubadours et Cathares
- L'amour courtois
- Troubadours et christianisme
- L'échec de cet amour
- L'influence des troubadours

Index, bibliographie

Image

MessagePosté: Jeu 16 Fév, 2006 19:55
de Professeur Cornelius
Extrait :

"On a voulu aussi chercher l'origine de celui-ci (l'Amour), non plus comme précédemment loin vers le Sud ou vers l'Orient mais dans une direction tout à fait opposée : un celtisant, J. Marx, nous a suggéré de regarder vers les littératures irlandaise et galloise où apparaissent ces mystérieuses figures de femmes-fées, habiles aux enchantements, dont la beauté même a comme un rayonnement suspect venu de l'Autre Monde ; dans l'amour celtique, c'est toujours la femme qui joue le rôle de premier plan : c'est elle qui choisit l'homme, le conquiert, le lie et l'enchaîne à son service, lui imposant de la suivre et de lui rester fidèle...

En réalité ces thèmes nous entraînent assez loin du système idéologique aux contours très précis qui a été celui des troubadours et on ne peut retenir des rapprochements suggérés que la notion très générale d'une exaltation de la féminité. D'autre part une telle influence de la mentalité celtique ne pourrait guère être conçue que sous la forme, très hypothétique, d'une résurgence du vieux fonds ancestral, à travers la sédimentation des siècles latins, barbares, chrétiens. Une influence contemporaine paraît exclue : si, comme on l'a vu, les troubadours n'ont pas ignoré la "Matière de Bretagne" - le roi Arthur, Tristan et Yseult, le Graal -, elle ne joue chez eux qu'un rôle marginal et d'appoint, fournissant métaphores et comparaisons. Il n'y a pas de lien essentiel entre l'amour courtois et ces thèmes inspirés de légendes insulaires et parvenus dans les pays français par des intermédiaires anglo-normands. Une étude précise de la chronologie des oeuvres de Chrétien de Troyes permet de saisir cette dissociation : on y voit l'élément courtois s'introduire sous l'influence provençale et apparaître dans le Lancelot, écrit dans les années 1177-1181, alors qu'il est encore absent d'Erec et Enide de 1170 : dans ce poème, qui traite la légende galloise de Gereint et Enid, , il n'est question que d'amour conjugal, et celui-ci loin d'apparaître comme une source de prouesse et valeur a rendu au contraire le malheureux (ou trop heureux) Erec "récréant d'armes et de chevalerie"." (pp. 139-140)


Malgré la sous-estimation de la "résurgence du vieux fonds ancestral" celtique, les arguments de H.-I. Marrou me semblent assez recevables.

MessagePosté: Jeu 16 Fév, 2006 21:01
de Taliesin
une remarque quand même : les troubadours occitans connaissaient la légende de Tristan et Iseut (et d'autres, comme celle de Perceval) avant qu'elle ne soit mise par écrit dans la France du Nord :

Cercamon, 1135 :

Non a valor d’aissi enan
Cela c’ab dos ni ab tres jai ;
Et ai n’enqer lo cor tristan,
Qe Dieus tan falsa no.n fetz sai ;

Bernard de Ventadour, 1152

Tan trac pena d’amor
Qu’a Tristan l’amador
Non avenc tan de dolor
Per Izeut la blonda

D’amour me vient plus de peine
Que Tristan l’amoureux
N’en eut
Pour Izeut la blonde

On sait que Chrétien de Troyes a écrit un poème : "conte du Roi Marc et d’Iseult la Blonde", qui est perdu, et qu'un certain La Chèvre, trouvère de Reims, contait une version de la légende avant 1175-1190 (date où ce La Chèvre est mentionné dans la branche II du Roman de Renart.

Mais il semble toutefois que les intermédiaires anglo-normands n'ont pas du avoir grand-chose à apprendre aux troubadours : les Bretons de Galles et/ou d'Armorique étaient déjà passés. Deux hypothèses de transmission, qui ne sont pas incompatibles :
- la venue du Gallois Bréri, source de Thomas d'Angleterre, qui serait venu voir le comte de Poitiers, si on en croit la mention de Wauchier de Denain dans sa continuation du Conte du Graal. Mais à part ça, rien d'autre ne prouve une visite du poète Bréri à Poitiers.

Tristan de Thomas :

Mé sulun ço que j’ay oÿ,
Nel dient pas sulunt Breri,
Ky solt lé gestes e lé cuntes
De tuz lé reis, de tuz lé cuntes
Ki orent esté en Bretaingne

"Mais d’après ce que j’ai entendu, ces conteur ne respectent pas la version de Breri, qui, lui, connaissait les hauts faits et les récits concernant tous les rois et tous les comtes qui ont vécu en Bretagne"

Wauchier de Denain :

Deviser vos voel sa faiture (d’un nain),
Si com le conte Bleheris
Qui fu nés e engenuïs
En gales dont je cont le conte,
E qui si le contoit au conte
De Poitiers qui amoit l’estoire
E le tenoit en grant memoire
Plus que nul autre ne faisoit


- la présence des Bretons d'Armorique. Entre Bretagne armoricaine et Occitanie, c'est une longue et vieille histoire, depuis saint Emilion de Vannes, en passant par saint Malo enterré à Saintes, saint Philibert dont le culte est répandu en Bretagne Sud jusqu'à Landévennec, sainte Radégonde honorée à Nantes...les contacts entre Redon et le Poitou (les reliques de saint Maixent transitèrent de Poitiers à Maxent, près de Plélan, puis furent rendues à Poitiers), entre St Gildas de Rhuys et Talmond, abbaye créée en même temps que celle de Quimperlé, toutes deux dédiées à la Sainte-Croix.
Sans parler du pélerinage de Compostelle qui vit sans doute de nombreux Bretons sillonner les routes du Poitou et de la Saintonge.

André Chédeville, l'immigration bretonne dans le royaume de France du 11ème au début du 14ème siècle (AB, t. 81, 1974, pp. 301-343)

"C’est plus volontiers que les Bretons ont gagné le nord du Poitou et surtout sa bordure maritime. Dès la fin du 11ème siècle, il y en a dans la région de Thouars, Parthenay et Saint-Maixent. A Poitiers même, ils n’apparaissent pas avant la fin du 13ème siècle. Sur la côte, leur progression est favorisée par des relations maritimes à Talmond dès 1070. Il y a des Bretons à l’île d’Yeu et autour d’Olonne, ainsi qu’à La Rochelle en 1224. Ils ont aussi gagné très tôt les pays de la Charente puisque Johannes Britto, vir littératus, sans doute un clerc, est mentionné à Saintes dès 1072"

A noter que la forêt de Talmond était la résidence préférée des comtes de Poitou.

Autre remarque : "d'Erec et Enide de 1170 : dans ce poème, qui traite la légende galloise de Gereint et Enid,"
bon, on va dire que H.I Marrou n'avait pas lu Fleuriot quand il a écrit son bouquin. Mais il aurait pu lire l'article de Rachel Bromwich qui traite des origines mythiques de l'histoire d'Erec et Enide (Celtic Dynastic themes and the Bretons lays, EC, IX, fasc. 2, p. 445-470). Ce n'est pas Chrétien qui a remplacé le nom de Gereint par celui d'Erec, j'aurai même tendance à penser, qu'à l'inverse, les Gallois, voire même les Cornwallais avant eux, ont rattaché la légende vannetaise d'Erec et Enide à un héros local qu'ils connaissaient mieux.
Comme disait Fleuriot où a peu près : le rôle des Bretons armoricains est sytématiquement minimisé.

Au fait, en parlant d'Erec :

Guerau de Cabrera (Cabra Juglar)

Ni sabs d’(E)rec
Com conquistec
L’esparvier for de sa reien

"Tu ne sais d’Erec comment il conquit l’épervier hors de sa région."

Guerau de Cabrera, attesté entre 1145 et 1159, mort entre 1159 et 1165, ne peut avoir connu l’Erec de Chrétien, écrit après 1170.

A noter que le poème de Guerau de Cabrera, Cabra Juglar, contient également des allusions à Arthur, à Marcon (le roi Marc), à Tristan et Iseut, et à Gualvaing (Gauvain).

MessagePosté: Jeu 16 Fév, 2006 22:05
de Professeur Cornelius
Merci Taliesin, pour ces précisions.

Le Midi n'était pas moins familiarisé avec la riche matière de Bretagne, le cycle du roi Arthur et de ses chevaliers, la Quête du Graal, Gauvain, Perceval, la belle histoire de Tristan et Yseult. Les allusions y sont nombreuses, telle d'entre elles (on l'a relevée dans un vers de Cercamon, antérieur à 1150) est plus ancienne que les premiers poètes d'oïl qui ont traité en français ces thèmes d'origine et d'inspiration celtiques. Une chanson du troubadour érudit Rigaud de Barbezieux commence ainsi :

Atressi com Persavaus
El temps que vivia,
Que s'esbaï d'esgardar
Tant que no saup demandar
Do que servia
La lansa ni l Grazaus...


"Tout ainsi que Perceval
au temps où il vivait,
qui s'ébahit tant à contempler
qu'il ne sut demander
à quoi servaient
la lance et le Graal...
"

(H.-I. Marrou, Les Troubadours, p.39).


L'activité poétique de Rigaud de Barbezieux s'exerça de 1175 à 1215 (voir http://andre.j.balout.free.fr/charente(16)_pdf/rigaut_&_jaufre_rudel.pdf )
voir aussi : http://histoire-ma.chez-alice.fr/trouba ... zieux.html

MessagePosté: Jeu 16 Fév, 2006 22:34
de Taliesin
Ah, apparemment, la querelle sur Rigaud de Barbezieux n'est toujours pas terminée. Mais l'article dont tu as donné le lien n'est pas très récent (1961-62)
Rita Lejeune, dans plusieurs articles qui s'étalent de 1957 à 1964, a montré que Rigaud de Barbezieux vivait vers 1140-1160.
Evidemment, ça a remis en cause pas mal de certitudes que l'on croyaient acquises, puisque Rigaud est tout simplement le premier, bien avant Chrétien de Troyes, à parler de Perceval et du Graal. D'où disputes par articles interposés pendant quelques années, notamment entre Rita Lejeune et Alberto Varvaro.

Autre chose : il semblerait que le troubadour Marcabru, contemporain et ami de Cercamon, soit allé en Angleterre du temps d'Henri 1er (avant 1135), comme l'indique le Roman de Jaufré (fin 12ème) :

Uns dancheus qui l’alait querant
Est venuz a Londres errant.
Marchabruns ot non li mesages
Qui molt par fu corteis e sages.
Trovere fu molt de gran pris
Bien le conuit li rois Henris
Qu’assez l’ot en sa cort veu
« Bien vegnanz, fait li roi Henris,
Marchabruns, soiez el pais ».

Mais là, comme pour Bréri à Poitiers, la seule indication est littéraire et assez tardive.

MessagePosté: Ven 17 Fév, 2006 0:51
de Professeur Cornelius
J'ignorais cette querelle sur les dates de vie de Rigaud de Barbezieux. En tout cas, ça montre en effet que les thèmes arthuriens circulaient oralement en France avant Chrétien de Troyes.