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MessagePosté: Dim 21 Oct, 2007 8:29
de gérard
Bonjour,
M. Bourgès a écrit:
Je lis sous la plume de B. Tanguy, dans son étude intitulée "Du nemeton au locus sanctus", Saint Ronan et la Troménie, Actes du colloque international des 28-30 avril 1989, s.l. , 1995, p. 115-116, à propos de l'origine du terme nemeton/nemetum : "D'un radical nemo-, d'où procède le vieux-breton nem, auj. nenv 'voûte céleste', c'est à l'origine, comme le dit J. Loth, 'un lieu sacré dans une forêt, peut-être une clairière de forme circulaire ayant pour voûte le ciel, l'arc du ciel'.


Quelle filiation entre les nemet- et les loc- bretons? (Locronan, Nevet)
Je pense bien sûr à mes très chers Locmiquel.
Les nemeton n'étaient-il pas principalement les lieux (sacrés) des observations astronomiques (quatre directions au sol et la voûte céleste, pas besoin dans l'enceinte quadrangulaire (secteurs droits?) de lourdes infrastructures bâties en dur)?

A-galon,
gg

MessagePosté: Dim 21 Oct, 2007 8:49
de gérard
Lucain a écrit:
"La foudre qui jaillit des nuages évitait d'y tomber".
Hier, alors que je parlais de cette curiosité qu'était la chapelle disparue sous le patronage de Michel au bord du Scorff en Lignol (au bord d'une rivière et pas franchement sur une hauteur), un ami me disait que le patronage de l'archange Michel aurait pu servir de protection contre la foudre.
Sainte Barbe est associée à Michel au Faouët, au bord de l'Ellé.
gg

MessagePosté: Dim 21 Oct, 2007 11:29
de André-Yves Bourgès
Bonjour Gérard,

La polysémie du terme "locus", dont a parlé B. Merdrignac dans sa thèse, polysémie renforcée par de possibles confusions avec "lucus" a sans doute abouti en Bretagne à désigner, mais tardivement - mettons à partir du XIe siècle - au moyen du préfixe "loc" des lieux (con)sacrés, dont l'origine pouvait être assez différente.

Ainsi, il est incontestable que de nombreux toponymes en "loc" désignent un simple sanctuaire, probablement doté de reliques, placé sous le patronage d'un saint dont le nom entre en composition de ce toponyme : les exemples sont nombreux et évidents et je me contenterai de citer les différents Locmelar/Locmeler...
Certains de ces sanctuaires ont peut-être été associés à des traditions plus anciennes, comme c'est, me semble-t-il, le cas à Locronan.
Enfin, d'autres pourraient bien avoir succédé directement à un "locus" ou à un "lucus" antique, sans passage par une récupération au profit d'un saint local : leur "christianisation" tardive avec des vocables aussi prestigieux et aussi universels que le Christ (Lochrist), la Vierge (Locmaria), saint Michel (Locmiquel) ou le Précurseur (Locjean) par exemple, doit majoritairement s'incrire dans le cadre du processus d'acculturation religieuse de la Bretagne médiévale à partir du XIIe siècle sous les efforts conjugués des ordres militaires et surtout du renouveau cistercien, relayés à partir du XIIIe siècle par la pastorale mendiante. Ces Locmiquel, Locmaria, etc., n'ont peut-être pas toujours connu l'érection d'une sanctuaire : l'étude sytématique de leur implantation révélerait sans doute bien des surprises.

Naturellement, il y a eu des exceptions : Locmaria de Quimper, par exemple, monastère de femmes, qui a pris la suite et intégré dans la seconde moitié du XIe siècle une communauté masculine antérieure (canoniale ?) dont nous ignorons si elle était déjà placée sous le patronage de la Vierge.

Bien cordialement,

André-Yves Bourgès

MessagePosté: Sam 27 Oct, 2007 15:31
de ejds
Gérard a écrit:Lucain a écrit:
"La foudre qui jaillit des nuages évitait d'y tomber".

Au-delà de l'emphase lyrique, dramatisée et théâtralisée de la forêt, les textes, les phrases peuvent aussi se lire et s’entendre comme une partition de musique. :?

Aux antipodes du petit bosquet ou bois d’amour, forêt merveilleuse décrite par Honoré Urfé et bruissante des cris des oiseaux et du vent dans les arbres dans le dernier film de Rohmer, le texte désenchanté et d’épouvante à l'extrême de Lucain apparaît toutefois comme une description proche de l'han ifern ien, enfer glacé celtico-breton du coat an noz ou bois de la nuit. Comme musique d'accompagnement, il ne manque qu’un requiem ou Te Deum lugubre pour la mort. :(


Il en est d'autres bois sacrés qui sont hantés par les dieux et où se cachent les légendes. Ainsi, en Italie, dans la vallée d'Ariacia ou Aricie, une forêt près du lac de Némi est le siège d’un culte très ancien : :shock:

C. Grimberg a écrit:Ce petit lac volcanique est situé dans une région montagneuse et pittoresque, à quelques dizaines de kilomètres au sud-est de Rome. Il s’agit d'un ancien cratère rempli par les eaux de la montagne. La surface du lac est ronde et lisse, il est très rare qu’un souffle de vent vienne la rider ; on l’appelait dans l'Antiquité “ le miroir de Diane ”. La déesse possédait sur ses rives un temple très célèbre et un bois sacré qui a donné son nom au petit village de Nemus. En effet, “ nemus ”, signifiait en latin, “ bois, forêt ”.

Les riches Romains de l'Antiquité appréciaient la beauté de cette région et son climat agréable.

Histoire universelle, 3, Carl Grimberg, Éditions Marabout, 1963, p. 186.

Avant qu’il ne soit consacré à la Diana des bois des Romains, ou “ Diana Nemorensis ”, la divinité originaire de ce sanctuaire, était la grecque Artemis Tauropolis ou Taurica dea, de l'ancien nom de la Crimée (« Chersonèse Taurique »). Connu des Grecs qui s’y établirent vers le VIIe s. av. J.-C., ses habitants étaient considérés comme des barbares qui immolaient les étrangers.
Grâce à sa sœur Iphigénie, Oreste, le fils d’Agamemnon, put s'enfuir et échapper à cette sanguinaire coutume.

Ce culte est aussi lié à la légende d'Hippolyte, fils de Thésée, mort et ressuscité grâce au dieu de la médecine, et frappé par l'interdit des chevaux qui l’ont tué. Le lieu est aussi marqué par la présence d'ex-voto, d’oripeaux accrochés aux branches des arbres, par les flambeaux apportés par des femmes venant de Rome. Mais surtout est connu le rite insolite et barbare du « roi du bois » ou Rex Nemorensis, cet esclave fugitif dédié à la garde du site. Il est à son tour défié et défait par un autre plus fort que lui dans un combat à la mort.

Egérie est le nom de la nymphe des sources et des bois d'Aricia et qui aurait été la conseillère et l’épouse de Numa Pompilius (v. 715–673 av. J.-C.). Ce deuxième roi légendaire de Rome interdisait les images, statues ou figures des dieux dans ses temples, en soutenant qu'il était “impie de représenter des choses divines par ce qui est périssable”. Il instaura particulièrement le culte des Vestales et la flamme éternelle dédiée à Vesta.


Dans son Étude sur LES VESTALES, l’abbé Elisée Lazaire, souligne l'aspect universel de " cette croyance que la divinité habitait les forêts se trouve chez tous les peuples anciens ".

Poète remarquable dans sa description de la forêt, mais peu prolixe sur le bois des Druides, son étude permet de définir un aperçu de l’enclos sacré, du bosco sacro dans la grande forêt ou dans la ville.

Rencontre avec les Frères Arvales et avec la Dame du lac, Egérie : :shock:

É. Lazaire a écrit:Image

CHAPITRE V

LE BOIS DES VESTALES


Le Paganisme et les bois. — Les bois chez les Juifs. — Les bois des Druides. — Les bois à Rome. — Bois des Frères Arvales. — Bois de la nymphe Egérie. — Bois des Vestales. — Hercule au bois des Vestales.


Les cultes païens nous apparaissent tous entourés d’ombres et de mystères. C’est au fond des sanctuaires que les divinités étaient adorées, c'est dans des antres obscurs que les Sibylles donnaient leurs oracles, c’est surtout dans les profondeurs des bois, à couvert des grands arbres, que les hommes oubliant les traditions primitives, avaient établi leurs dieux.

-----Peut-être le silence des bois, la majesté de ces forêts qui couvraient la terre, le spectacle de cette immense végétation, avaient-ils frappé l'humanité errante d'une secrète terreur ? Il n’est pas de temple, en effet, plus solennel que l'intérieur des bois. Sur un sol revêtu de mousse, s'élèvent comme des colonnes de marbre les tiges de chênes et de sapins ; tandis que leurs cimes montent jusqu'au ciel en forme de gigantesques clochers, leurs branches inférieures centre-croisent, s’enlacent et s'étendent comme une voûte de verdure que la lumière du soleil peut à peine percer. Parfois on entend le souffle du vent qui gémit et soupire comme un orgue de cathédrale. Le soir, quand tout se tait et que tout repose, quand la tempête ne gronde pas, le mystère est plus profond encore ; la lune projette à travers l'épaisse feuillée une pâle lueur, semblable à la lueur d'une lampe d’albâtre ; et, au scintillement de cette lumière, l'ombre des grands arbres se dessine sur le sol : on dirait des ombres vivantes, des fantômes animés qui s’agitent sans cesse, qui fuient et qui reviennent pour former les danses de la nuit. Il est impossible de pénétrer dans un de ces bois sans être saisi d’une crainte religieuse et sans éprouver un frisson, comme en présence de la divinité.

-----La crainte et l’illusion étant si naturelles, faut-il s'étonner que l’homme ait placé d’abord dans les bois la demeure de ses dieux, et que là il ait offert des sacrifices ? Cette croyance que la divinité habitait les forêts se trouve chez tous les peuples anciens. Une des plus solennelles recommandations que le Seigneur fait aux Hébreux, avant de les laisser entrer dans la Terre promise, c'est de détruire les bois des fausses divinités.

-----Dieu le dit à Moïse sur le mont Sinaï : « Gardez toutes les choses que je vous ordonne aujourd’hui et je chasserai moi-même devant vous les Amorrhéens, les Cananéens, les Hétéens, les Phérézéens, les Cévéens et les Jébusiens. Prenez garde aussi de ne jamais faire amitié avec ceux d’entre les habitants de ce pays que je laisserai encore quelque temps ; cela causerait votre ruine ; mais détruisez tous leurs autels, brisez toutes leurs statues, coupez leurs bois consacrés à leurs idoles (1).

-----Le Deutéronome le répète encore : « Voici les préceptes et les ordonnances que vous devez observer lorsque vous serez dans le pays que le Seigneur, le Dieu de vos pères, vous doit donner, afin que vous le possédiez pendant tout le temps que vous serez sur la terre. Renversez tous les lieux où les nations, dont vous posséderez le pays, ont adoré leurs dieux sur les hautes montagnes et sur les collines et sous tous les arbres couverts de feuilles. Détruisez leurs autels, brisez leurs statues, brûlez leurs bois profanes, réduisez en poudre leurs idoles et effacez de tous ces lieux la mémoire de leurs noms (2). »

(1) « Observa cuncta quæ hodie mando tibi : ego ipse ejiciam ante faciem tuam Amorrhæum et Chananæum et Helthæum, Pherezæum quoque, et Hevæum et Jebuseum. Cave ne unquam cum habitatoribus terræ illius jungas amicitias, quæ sint tibi in ruinam : — sed aras eorum destrue, confringe statuas, lucosque succide. »
----------------(Exode, XXXIV, II, 12, 13.)
(2) « Hæc sunt præcepta atque judicia, quæ facere debetis in terra, quam Dominus Deus patrum tuorum datarus est tibi, ut possideas eam cunctis diebus quibus super humum gradieris.
— Subvertite omnia loca, in quibus coluerunt gentes, quas possessuri estis, deos suos super montes excelsos, et colles et subter omne lignum frondosum. — dissipate aras eorum, et confringite statuas, lucos igne comburite, et idola comminuite ; disperdite nomina eorum de locis illis.
----------------(Deutéronome, XII, 1, 2, 3.)



-----Dans les saintes lettres, détruire les bois de Baal est l’œuvre et la marque des bons rois ; les rétablir est la flétrissure des mauvais ; ainsi Gédéon (1), un des juges d'Israël, Asa (2), Josaphat (3), Ezéchias (4), Josias (5), rois de Juda, sont loués, dans l'Ecriture, pour avoir incendié les forêts où le peuple allait sacrifier. Achab (6) et Manassès (7) sont, au contraire, sévèrement blâmés et punis pour avoir redressé les statues de Baal et rétabli les bois.

-----Les Pélasges, qui peuplèrent primitivement la Grèce et l’Italie, adoraient encore leurs dieux sous les chênes de Dodone. Les Druides s'enfonçaient dans les immenses forêts de notre vieille Gaule. Là, ils sacrifiaient à Esus et à Teutatès des victimes humaines ; ils rendaient la justice et cueillaient des plantes dont ils se couvraient la tête et dont ils faisaient un remède pour tous les maux (8).

(1) Lib. Judic., VI, 27, 28, 29,30.
(2) Id., III, Reg., XV, II, 13. — II, Paralip. XV, 16.
(3) Id., II, Paralip., XVII, 6.
(4) Id., IV, Reg., XVIII, 4. — II, Paralip. XVII, 6.
(5) Id., IV, Reg., XXIII, 4, 6. — II, Paralip. XXXIV, 3, 4, 7.
(6) Id., III, Reg., XVI, 33.
(7) Id., IV, Reg., XXI, 3.
(8 ) Abbé THÉRON, Druides et Druidisme, 1886, ch. V et VI.



-----Les dieux d'Athènes et de Rome eurent bien dans la suite des sanctuaires magnifiques et des temples somptueux, mais leur nom resta toujours attaché aux arbres de la forêt. Le chêne fut le symbole de Jupiter, l'olivier celui de Minerve, le laurier celui d'Apollon, le lierre celui de Bacchus. Le souvenir de Romulus persista même plus longtemps sous l’emblème d'un cornouiller. A côté du tugurium Faustuli sur le Palatin, il y avait, en effet, un petit arbre qui fut, pendant de longs siècles, l'objet d'une attentive vénération. Lorsqu'un passant s'apercevait que son feuillage se desséchait et que ses racines demandaient à être arrosées, il criait cette nouvelle à la première personne qui se trouvait à portée de sa voix, celle-ci à une autre ; en un instant, ce cri avait parcouru le Forum et les rues voisines, et de toutes les demeures on accourait avec des vases pleins d'eau, comme si le dessèchement de cet arbuste eût entraîné la ruine de Rome. D'après une légende mentionnée dans Ovide (1), Romulus aurait enfoncé sa lance sur le Palatin, et aussitôt elle aurait pris racine et se serait couverte d'un feuillage capable d'ombrager les spectateurs étonnés.

-----Parmi les bois sacrés qui entouraient la ville de Rome, il y en a deux dont nous ne pouvons omettre la description, soit à cause de leur ressemblance avec le bois de Vesta, soit à cause de la très grande vénération que les Vestales en avaient. C'est le bois des Frères Arvales et le bois de la nymphe Egérie.

(1) Utque Palatinis hærentem collibus olim
Quum subitò vidit frondescere Romulus hastam,
Quæ radice nova, non ferro stabat adacto,
Et jam non telum, sed lente viminis arbor
Non exspectatas dabat admirantibus umbras.
----------------(Métamorph., XV, 560-564.)



-----En même temps que Romulus introduisait dans sa nouvelle ville le culte de Vesta, il fondait (1) un collège de douze prêtres, dont l'unique occupation était de parcourir les campagnes (arva), afin d'obtenir pour les moissons naissantes les bénédictions des dieux. De là leur vint le nom de Frères Arvales. Ils accompagnaient leurs courses et leurs sacrifices d'une prière sous forme de chant qui est le plus ancien monument de la poésie latine qui nous soit parvenu (2).

-----Ils avaient pour insignes une couronne d'épis et des bandelettes blanches (3).

-----Leur habitation se trouvait hors de Rome, sur la voie de Porto, actuellement à cinq milles des murs, prés de la Magliana. Ils avaient élevé un temple à la déesse Dia, et sur la colline voisine (Monte delle Piche), ils avaient planté un bois en son honneur. C'était le Lucus deœ Diœ. Des fouilles faites sur cette colline, en 1868, ont mis au jour les fondements du temple et ont amené la découverte de très nombreux fragments de marbre couverts d’inscriptions. Le temple avait la forme ronde, comme le temple de Vesta ; les fragments d'inscriptions ont permis de reconstituer les actes et les cérémonies de ce collège sacerdotal (4).

(1) Quelques auteurs attribuent la fondation des Frères Arvales à la mère nourricière de Romulus, Acca Laurentia.
(Murray’s Hand-book of Rome and its environs, pag. 472.)
(2) De CAUSSADE, Littérature latine, poésie lyrique.
(3) AULU-GELLE, Nuits attiques, liv. VI et VII.
(4) HENZEN, Scavi nel Bosco sacro dei Fratelli Arvali, Roma, 1868.



-----Les Arvales ayant perdu leur dignité première, cessèrent d'exister sous les empereurs Gordiens (340). Le bois et le temple restèrent déserts. Les chrétiens, qui cherchaient alors les solitudes pour en faire leurs cimetières et leur lieu de réunion, profitèrent de l'abandon où se trouvait le bois des Arvales, et, tout à côté, dans un champ appartenant à une matrone chrétienne du nom de Générosa, ils construisirent une de leurs catacombes. C'est là où, sous Dioclétien, furent ensevelis les saints martyrs Simplicius, Faustinus et leur sœur Béatrice (1).

-----Le Pape saint Damase y fit élever, un siècle plus tard, une basilique en leur honneur et l’orna d'élégantes inscriptions. En vertu de l'édit de Gratien, qui, en 382, abolit définitivement le culte des faux dieux, le bois des Arvales fut rasé comme le bois de Vesta. Mais le temple de la déesse Dia resta debout jusqu'à l'invasion des Barbares.

-----Plus célèbre encore est le bois de la Nymphe Egérie. Il était situé non loin de Rome, entre la Voie latine et la Voie Appia. Numa, dont les auteurs anciens louent la piété envers les dieux, allait souvent converser avec la nymphe et trouvait auprès d'elle les plus sages conseils pour le gouvernement de son peuple. Voici ce que Tite-Live (2), toujours épris des temps anciens, nous dit de la législation de Numa et de ses visites au bois de la nymphe :

(1) DE ROSSI, Roma Sotteranea, t. IIII. — ARMELLINI, Descrizione popolare degli antichi cimiteri cristiani di Roma, pag. 31.
(2) TITE-LIVE, liv. Ier, 21.


« Numa adoucit les mœurs du peuple romain. Il dirigea les esprits vers les exercices religieux, et cette tendance nouvelle fit perdre à cette multitude les habitudes de violence et tomber ses armes ; et la constante sollicitude des dieux, qui paraissaient intervenir dans la direction des destinées humaines, pénétra les cours d'une piété si vive, que la foi et la religion du serment, à défaut de crainte des lois et des châtiments, eussent suffi pour contenir les citoyens de Rome. Tous d'ailleurs réglaient leurs mœurs sur celles de Numa, leur unique exemple ; aussi les peuples voisins, qui jusqu'alors avaient vu dans Rome, non pas une ville, mais un camp planté au milieu d'eux pour troubler la tranquillité générale, se sentirent peu à peu saisis pour elle d’une telle vénération, qu'ils eussent considéré comme sacrilège la moindre hostilité contre une ville occupée tout entière au service des dieux. Plus d'une fois, sans témoins et comme s'il se fût rendu à une conférence avec la déesse, Numa se retirait dans un bois traversé par une fontaine, dont les eaux intarissables s'échappaient du fond d'une grotte obscure. Ce bois fut par lui consacré aux Muses, parce qu'elles y tenaient conseil avec son épouse Egérie (1).

(1) Lucus erat, quem medium ex opaco specu fons perenni rigabat aqua : quo quia se persæpè Numa sine abritris, velut ad congressum deæ, inferebat, Camænis eum locum sacravit, quòd earum ibi concilia cum conjuge sua Egeria essent. (TITE-LIVE, I, 21.)


-----Les Vestales devant se servir pour les lustrations du temple d'une eau très pure, venaient tous les matins, remplir leurs urnes à la source de la nymphe Egérie. C’était encore un usage établi par Numa (1), et cet usage persista jusqu'à l'abolition du collège des Vierges.

-----« Quand, après un long règne, dit Ovide (2), Numa eut terminé sa vie, les femmes romaines, le peuple et le Sénat le pleurèrent. La nymphe Egérie s'éloigna de Rome et vint cacher sa douleur dans les sombres forêts d’Aricie, où elle troublait de ses gémissements et de ses plaintes le culte de Diane, établi par Oreste. Que de fois les nymphes du lac et de la forêt lui firent de doux reproches et lui adressèrent de consolantes paroles ! Que de fois le fils de Thésée lui dit : « Cesse de pleurer ! Ton sort n'est pas le seul à plaindre ; regarde autour de toi, vois les malheurs des autres, et le tien te paraîtra plus léger. Hélas ! je voudrais bien ne pas avoir mon exemple à t'offrir ; mais il peut servir à soulager ta douleur......... »
-----» Le récit des malheur d’Hippolyte n'a pu soulager ceux d’Egérie ; tristement couchée aux pieds du mont Albain, elle fondait en larmes. Enfin, la sœur d’Apollon, touchée de cette pieuse douleur, changea la nymphe en une fontaine, dont les eaux ne doivent jamais tarir ».

(1) Præterea locum istum et prata, ubi secum Musæ frequenter convenirent atque communicarent, deabus istis, et fontem, quo locus is rigatur, Vestalibus consecrandum, ut quotidie inde haurientes, aspergerent ea purgentque fanum.
----------------(PLUTARQUE, Numa, XIII.)

(2) Quem postquam senior regnumque, ævumque peregit,
Extinctum Latiæque nurus, populusque, patresque,
Deflevere Numan : nam conjux, urbe relicta,
Vallis Aricinæ densis latet abdita silvis,
Sacraque Oresteæ gemitu, questuque Dianæ
Impedit : Ah ! quoties Nymphæ nemorisque, lacusque,
Ne faceret, monuere, et consolantia verba
Dixere ! Ah ! quoties flenti Thesius heros.
« Siste modum ! dixit : nec enim fortuna querenda
Sola tua est : similes aliorum respice casus,
Mitius ista feres: utinamque exempla dolentem,
Non mea te possent revelare ! sed et mea possunt. »
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Non tamen Egeriæ luctus aliena levare
Damna valent, montisque jacens radicibus imis
Liquitur in lacrymas ; donec pietate dolentis
Mota, soror Phæbi gelidum de corpore fontem
Fecit, et æternas artus tenuavit in undas.
----------------(Métamorphoses, XV, 486.)



-----Encore aujourd'hui les guides qui accompagnent les touristes au lac si gracieux de Némi, non loin de l'Aricia, n'oublient pas de leur montrer une fontaine dont les eaux s'écoulent abondantes et connue, depuis Strabon sous le nom de fontaine d'Égérie (1).

(1) Oreste RAGGI, I colli Albani e Tusculani, pag. 164.

-----Le bois de la nymphe resta de longs siècles sous la protection des Vestales. Mais les juifs, qui habitaient non loin de là, près de la porte Capène, finirent par s'en emparer. Ils s'établirent dans le bois pour y solliciter leur pain et y exercer leurs métiers. Les muses s'enfuirent et la forêt fut désormais habitée par des mendiants.
Le poète Juvénal le constate et s'en plaint aux empereurs de son temps (1).

-----Il ne suffisait point aux Vestales d’être les protectrices et les gardiennes du bois d'Egérie ; elles aussi avaient leur bois sacré. Bien souvent les temples romains étaient entourés de places et de cours (periboloi) qui les séparaient de toute activité profane. Le temple de Vesta était rond et isolé, renfermant jour et nuit une vierge veillant sur le feu éternel, ne pouvait point être totalement à découvert et d'un accès trop facile. Un bois clos de murs l'environnait. « Ce bois, d'après Cicéron, s'étendait le long de la Via Nova et de là descendait sur les pentes du Palatin » (2).

(1) Nunc sacri fontis nemus et delubra locantur
Judæis, quorum cophinus fænumque supellex :
Omnis enim populo mercedem pendere jussa est
Arbos, et ejectis mendicat sylva Camenis.
---------------- (Satire III.)
(2) A luco Vestæ qui a Palatii radice ad Novam Viam devexus est.
----------------(De Div., I, 45.)



-----Entre la Via Nova et la Voie Sacrée qui bordait la Domus Virginea, l'espace, en vérité, ne paraît pas considérable : les abords du temple n'étaient pas très étendus, mais cet espace était suffisant pour la plantation de quelques arbres dont l'ensemble formait ce petit bois.

-----Nous ne savons pas de quels arbres ce bois était composé. Une pensée symbolique avait-elle présidé à cette plantation ? Y voyait-on le chêne, emblème de Jupiter, le peuplier d’Hercule, l’olivier, emblème de Minerve, le noyer, qui avait été un des remèdes de Mithridate (1), le laurier d'Apollon, dont les branches devaient être suspendues toute l'année devant la porte du roi des sacrifices ? le noisetier, qui, au dire de Pline, servait à découvrir les sources et qui, fleurissant dès la fin de l’hiver, était pour les peuples anciens un signe d'immortalité ? Ce bois était-il un reste de ces vieilles forêts qui couvaient le sol de Rome ? ou bien, le temple de Vesta rappelant l'antique chaumière, ce bois sacré rappelait-il les bois anciens sous lesquels vivait l'humanité ? et ces grands arbres, qui survivaient du milieu de la ville, signifiaient-ils les immenses efforts que l’homme avait dû faire pour arriver jusqu'à la civilisation ?

-----On pourrait faire ainsi mille suppositions et prêter aux païens une symbolique qui n'était point hors de leur goût.

-----Un arbre, cependant, nous est mentionné dans les auteurs. Au jour de sa consécration, avant de revêtir les habits de lin, la jeune Vestale avait les cheveux coupés de la main du grand Prêtre. Introduite solennellement dans sa nouvelle demeure, on la menait dans l’intérieur du bois, et devant elle on suspendait sa chevelure à un arbre plus ancien que les autres, et que l'on appelait arbre capillaire ou chevelu (2).

(1) PLINE, XXIII, 77.
(2) « Antiquior illa est lotos, sed incerta ejus ætas, quæ capillata dicitur, quoniam Vestalium virginum capillus ad eam defertur.
----------------(PLINE, Hist. nat. XVI, 44.)



-----C’est l’unique cérémonie qui se faisait dans le bois de Vesta.

-----La présence de ce bois au milieu de Rome et quelques légendes anciennes sur le Forum ont inspiré à Properce le chant qui suit, à la louange d’Hercule (1).

« Quand le fils d’Amphitryon chassait devant lui les taureaux qu’il avait ravis dans tes étables, […]

(1) Livre IV, chant IX. Traduction Nisard.


Étude sur LES VESTALES
D'après les classiques et les découvertes du Forum,

Abbé Élisée Lazaire, Éditions Palmé et Calas, 1890.
Et que l’on peut retrouver en réimpression auprès des Éditions Pardès, Collection Rebis, 1986, pag. 105—117.

e.

MessagePosté: Mer 05 Déc, 2007 10:05
de ejds
Chuchotement de l’arbre et cris de la forêt

Des authenticités et contre-vérités ambiguës se mêlent et se promènent dans l'épaisse lisière des frayeurs, superstitions, symbolismes, songes et mensonges de l’arbre comme entité. Et, dans son ensemble, comme bois ou forêt.

Effeuillaison de quelques recueils : :?

É. Duffey a écrit:Image

La forêt :
un monde vivant


Peut-on rester insensible à la vue d’un arbre ? Le chêne séculaire, le hêtre au houppier magnifique, l’if vénérable…, tous offrent à nos yeux le spectacle infiniment complexe de leur structure : ce tronc massif, cette écorce tourmentée, couverte de mousses et de lichens ; ces racines qui s’enchevêtrent et offrent un refuge aux petits animaux ; tout ce réseau de branches, de rameaux, de bourgeons, de feuilles et de fleurs ou de feuilles et de fruits au rythme des saisons… Tout est important et joue son rôle pour la végétation du sous-bois et pour les animaux, l’ombre projetée par la voûte de feuillage, le réseau de racines qui s’étire à la surface du sol en quête de nourriture. Certaines branches peuvent se briser sous l’attaque des insectes et des champignons, être arrachées par le vent et l’orage, le cœur même du bois disparaître, l’arbre est debout, creux mais toujours vivant. Dans les forêts primitives que l’homme ne venait pas troubler, il y avait plus de bois mort que sur pied, tenant encore à l’arbre, mais le plus souvent, jonchant le sol. Et ce bois mort était utile lui aussi, servant de gîte à toute une faune d’insectes, dont certaines des plus belles espèces, ainsi qu’aux champignons, aux algues et à diverses plantes, comme les mousses et les hépatiques.

---C’est cela, l’écosystème : cette association entre l’animé et l’inanimé. Les plantes, les animaux et le milieu dans lequel ils vivent sont intrinsèquement liés. Chacun dépend de l’autre et, en conséquence, est affecté par toute modification intervenant dans un quelconque élément de l’environnement. Le rôle que joue un arbre est si complexe que même les naturistes sont loin d’avoir compris toutes ses implications et qu’ils éprouvent plus de mal encore à expliquer comment les arbres parviennent à vivre côte à côte et à former des forêts.

Les forêts des régions tempérées, Éric Duffey, Éditions Atlas, 1980, 120 pages, p. 45.

De tous temps, la profondeur et l’ombre de la canopée a été le terrain aux mille dangers où se rencontrent et s'affrontent les meutes de loups, le lynx, le renard, l’ours, le cerf, le sanglier…, mais aussi le chasseur, le braconnier, le philosophe, l’animiste, le naturaliste, le bûcheron marchand de bois, les bannis ou hors-la-loi de la ville...
Les uns et les autres y verront, au choix, le gibier, un refuge, l'inspiration littéraire ou divine, le fagot ou charbon de bois dont on se chauffe, les planches nécessaires à la construction de maisons, de mobilier, de bateaux, de ponts, de sabots…, et bien d’autres choses encore.

Ainsi, le philosophe Pierre Nicole (1625-1695) confie ses pensées sur la solitude et la forêt : :?

P. Nicole a écrit:Image

PENSÉES SUR DIVERS SUJETS DE MORALE.

XVI. La solitude désagréable, et pourquoi ?

---Les hommes aiment à penser et à penser à eux d’une certaine manière, en jugeant qu’on les estime, qu’on les honore, qu’ils sont grands, puissants. C’est pourquoi la conversation et la vue du monde est si agréable ; car cela vient de ce qu’elle excite des pensées de cette nature.

---Au contraire, la solitude est désagréable à la plupart des gens, parce qu’elle ne leur fournit pas assez de pensées qui leur plaisent. La nature est déplaisante à beaucoup de monde, parce que les images qu’elle fournit, n’étant pas aidées de la voix et de mille autres circonstances qui accompagnent la parole, elles sont trop sombres et trop obscures.

---Pour se plaire donc dans les forêts, il faut entendre le langage des forêts ; car toutes les créatures ont un langage, c’est-à-dire qu’elles peuvent exciter des pensées. Ceux en qui elles en excitent suffisamment peuvent se plaire dans la solitude, et ils s’y plaisent d’autant plus innocemment, que ces images qu’elle leur fournit leur représentent plutôt la grandeur de Dieu que leur propre grandeur, et qu’elles leur parlent peu d’eux-mêmes et beaucoup de Dieu : c’est l’avantage de la solitude.

Œuvres philosophiques et morales de Nicole, Éditions Hachette, C. Jourdain, 1845, p. 471.


Le chêne, par sa longévité et sa solidité, demeure le grand favori dans la littérature et la mythologie des pays où on le trouve. Abri bien pratique lors des intempéries, lorsqu'il pleut ou qui rafraîchit des ardeurs du soleil, plus particulièrement exposé qu’un autre à la tempête ou à la foudre par sa ramure, sa hauteur majestueuse et surtout s’il est isolé au milieu d’un champ ou à la lisière d’une clairière. Tout comme Lancelot ou bien Merlin, qui, devenu fol, erre dans les forêts de Calédon. En proie au désespoir, il n'a pour asile que le tronc des vieux chênes, et, tel un sanglier, pour toute nourriture les glands.

D. Monnier a écrit:« […] On éprouve tant de plaisir à l’ombre d’un vieux chêne ; il y a tant de charme dans le murmure de l’air qui l’agite, que l’on excuse les écarts religieux dont il a été l’objet. »
Traditions populaires comparées, Désiré Monnier, Éditions J.B. Moulin, 1854.

J. Chevalier et A. Gheerbrant a écrit:CHÊNE

1. Arbre sacré dans de nombreuses traditions, le chêne est investi des privilèges de la divinité suprême du ciel, sans doute parce qu'il attire la foudre et qu'il symbolise la majesté : chêne de Zeus à Dodone, de Jupiter Capitolin à Rome, de Ramowe en Prusse, de Perun chez les Slaves. La massue d'Hercule est de chêne. Il indique particulièrement solidité, puissance, longévité, hauteur, au sens spirituel autant que matériel.

2. [...] Le chêne est la figure par excellence de l'arbre* ou de l'axe du monde, tant chez les Celtes qu'en Grèce, à Dodone. C'est encore le cas chez les Yakoutes sibériens.
On note en outre que, tant à Sichem qu'à Hébron, c'est auprès de chênes qu'Abraham reçut les révélations de Yahvé : le chêne jouait donc, là encore, son rôle axial, qui en faisait l'instrument d'une communication entre le Ciel et le Terre (GUEM).
Dans l'Odyssée, Ulysse vient consulter deux fois, sur son retour, le feuillage divin du grand chêne de Zeus (14, 327 ; 19, 296 ). La Toison d’or, gardée par le dragon, était suspendue à un chêne : celui-ci avait valeur de temple.

3. [...] Adoré par les Celtes, il était aussi pour eux, par son tronc, par ses larges branches, par son feuillage touffu et par son propre symbolisme, l'emblème de l'hospitalité.

Dictionnaire des symboles, Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Éditions Seghers, 1973, tome I, 400 pages, p. 348.

On connaît mieux le cad goddeu, ou combat des arbres ou arbrisseaux, tous unis dans un même combat dans la mythologie celtique. Il est aussi souvent fait mention de forêts ou de bois sacrés où les arbres gémissaient et « parlaient » (— c’est-à-dire dont on traduisait le bruissement du feuillage —), ou bien des Chaldéens qui s’attachaient à traduire les formes et les mouvements des branches ou " dendrôlatrie " (du grec dendron, arbre ou arbor en latin).

Ainsi les chênes sacrés de Dodone, ancienne ville de Grèce (Épire), son temple dédié à Zeus et où ses chênes d’un bois sacré rendaient des oracles. Rencontre dans ce pays où vivent les Selloi ou Selles, mangeurs de glands, avec les trois femmes sacrées, les peleiades et le lébès, ce chaudron ou bassin de bronze est que les prêtres de Dodone faisaient résonner pour en interpréter les sons. Le pigeon est familièrement perçu comme une dupe, mais plus poétiquement le symbole de l’amour, mais dans la forêt il servait aussi à la détermination des présages heureux ou malheureux.

Comment ça ?! Orage et désespoir ! Approchons-nous, car les textes ci-dessous nous dévoilent la façon dont les chênes parlent et transmettent les messages de Zeus : :shock:

E. Hamilton a écrit:Zeus (Jupiter)

[…] Zeus avait de la grandeur. Dans l’Iliade, Agamemnon s’adresse à lui en ces termes : « Zeus, toi le plus glorieux, le plus grand, dieu du ciel d’orage, toi qui résides dans les cieux. »

Des hommes, Zeus exigeait des sacrifices mais encore une bonne conduite. […]

L’égide, sa cuirasse en peau de chèvre, recouverte d’écailles et bordée de serpents était affreuse à voir ; l’aigle était son oiseau favori, son arbre, le chêne. Son oracle parlait à Dodone, le pays des chênes. La volonté du dieu se faisait entendre dans le bruissement des feuilles de ces arbres et il ne restait plus aux prêtres qu’à l’interpréter.

La mythologie, Edith Hamilton, Éditions Marabout, 1988, 416 pages, p. 22.


Strabon a écrit:Géographie de Strabon

VII - Fragments

1. Cinéas parle d'une ville du nom de Dodone en Thessalie, d'où le hêtre fatidique et l'oracle de Jupiter auraient été plus tard transportés en Epire (Etienne de Byzance, au mot Dôdonê).

2. La ville de Scotussa, dans la Pélasgiotide, fut le siège primitif de l'oracle ; mais quelques furieux mirent le feu à l'arbre sacré et l'oracle fut transporté à Dodone. Comme celui d'Ammon en Libye, il ne s'exprimait point par des mots, mais au moyen de certains signes. Peut-être le vol des trois colombes était-il sujet à quelque anomalie étrange et est-ce là ce que les prêtresses observaient et ce qui leur dictait leurs prédictions. Mais d'un autre côté l'on prétend que, dans la langue des Molosses et des Thesprotes, le mot peleiai signifie vieilles femmes et le mot peleioi vieillards, de sorte que les fameuses péléiades ou colombes pourraient bien ne pas avoir été des oiseaux, mais simplement les vieilles femmes chargées de desservir le temple. (Exc. Vat.)

3. Dans la langue des Thesprotes et des Molosses vieilles femmes se dit peleiai et vieillards peleioi, et ces mots se retrouvent avec le même sens dans la langue des Macédoniens, dans le nom de Péligones par exemple qu'ils donnent à leurs magistrats et qui équivaut à celui de Gérontes (Anciens) que les Lacédémoniens et les Massaliotes donnent aux leurs. Or, c'est de là, dit-on, que serait venue la fable des colombes ou péléiades du chêne de Dodone (Exc. Vatic.)

4. On dit souvent [d'un bavard] : c'est «le chaudron de Dodone». Voici quelle est l'origine de ce proverbe. On voyait dans le temple de Dodone une chaudière dédiée par les Corcyréens et servant de piédestal à une statue armée d'un fouet d'airain. Ce fouet se composait de trois chaînes auxquelles pendaient des osselets, et, pour peu que le vent les mît en mouvement, ces osselets venaient frapper contre le vase et produisaient un son tellement prolongé qu'on avait le temps de compter jusqu'à quatre cent dans l'intervalle de la première à la dernière vibration. De là cette autre forme du même proverbe : «Ecoutez le fouet des Corcyréens». (Exc. Pal.)


Diderot et d'Alembert a écrit:DODONÉEN, adj. (Mytholog.) surnom qu'on donnoit à Jupiter dans l'antiquité, parce qu'il étoit adoré dans le temple de Dodone, bâti dans la forêt de même nom.

Dodone étoit une ancienne ville d'Epire, célebre par sa forêt, par son temple, & par une fontaine.

La forêt de Dodone étoit plantée de chênes consacrés à Jupiter; dans cette forêt étoit un temple élevé en l'honneur du même dieu, & où il y avoit un oracle qui passoit pour le plus fameux & le plus ancien de tous les oracles de la Grece. V. Oracle.

Mais ce n'étoit pas seulement dans le temple que se rendoient les oracles, les pigeons qui habitoient la forêt, passoient aussi pour avoir le don de prédire l'avenir. On trouve dans Hérodote l'origine de cette fable. Cet auteur observe que le mot qui en langue thessalienne veut dire un pigeon, signifie en grec une prophétesse ou devineresse; & un mot suffisoit aux Grecs pour imaginer une fable. Ils accorderent aussi le don de prophétie aux chênes de la forêt, dont quelques-uns étant creux, les prêtres imposteurs pouvoient s'y cacher & rendre des réponses au peuple superstitieux qui venoit les consulter, & qui se tenant toûjours par respect éloigné de ces arbres sacrés, n'avoit garde de démêler la fourberie.

La fontaine de Dodone étoit dans le temple même de Jupiter. Les anciens naturalistes assûrent qu'elle avoit la propriété de rallumer les torches nouvellement éteintes; ce qui, ou n'étoit pas vrai, ou venoit sans doute de quelque vapeur ou fumée sulphureuse qui s'en exhaloit. On en disoit autant d'une fontaine de Dauphiné, située à trois lieues de Grenoble, dont parle S. Augustin dans le XXI. liv. de la Cité de Dieu, & qu'on appelloit la fontaine ardente, mais qui ne produit plus aujourd'hui les effets qu'en racontent les anciens; parce que depuis plus de deux cents ans elle s'est éloignée d'un petit volcan sur lequel elle couloit, & qui jette encore de tems en tems de la fumée, & même quelques flammes, dit M. Lancelot témoin oculaire: on ajoûte aussi que la fontaine de Dodone éteignoit les torches allumées, ce qui n'est pas fort étonnant; car en plongeant ces torches dans un endroit où le soufre étoit trop dense, telles qu'étoient les eaux de cette fontaine, elles devoient naturellement s'éteindre. Chambers. (G)

* DODONIDES, s. f. (Mythol.) femmes qui rendoient des oracles, tantôt en vers tantôt en prose, à Dodone ville d'Epire, fameuse dans le paganisme par son dieu, sa forêt, & sa fontaine. Voyez Chauderons de Dodone.

* Chauderons de Dodone. (Mytholog.) Les chauderons resonnans de Dodone ont été très-fameux dans l'antiquité. Voici la desciption qu'on en trouve dans Etienne de Byzance: « Il y avoit à Dodone deux colonnes paralleles & proche l'une de l'autre. Sur l'une de ces colonnes étoit un vase de bronze de la grandeur ordinaire des chauderons de ce tems; & sur l'autre colonne, une statue d'enfant. Cette statue tenoit un foüet d'airain mobile & à plusieurs cordes. Lorsqu'un certain vent venoit à souffler, il poussoit ce foüet contre le chauderon, qui resonnoit tant que le vent duroit; & comme ce vent régnoit ordinairement à Dodone, le chauderon resonnoit presque toujours: c'est de-là qu'on fit le proverbe, airain de Dodone, qu'on appliquoit à quelqu'un qui parloit trop, ou à un bruit qui duroit trop long-tems ». Il me semble que les auteurs & les critiques seroient très-bien représentés, les uns par les chauderons d'airain de Dodone, les autres par la petite figure armée d'un foüet, que le vent poussoit contre les chauderons. La fonction de nos gens de lettres est de resonner sans cesse; celle de nos critiques de perpétuer le bruit: & la folie des uns & des autres, de se prendre pour des oracles.

ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

de Diderot et d'Alembert.

Les questions posées par les consultants à l'oracle, et qui étaient gravées sur des lamelles de plomb, ont été retrouvées en grand nombre lors des fouilles du sanctuaire.
Un livre : :shock:

amazon.fr a écrit:LES LAMELLES ORACULAIRES DE DODONE
par Éric LHOTE (HALMA-Lille 3)


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Présentation de l'éditeur

Le sanctuaire de Zeus à Dodone (Épire) est, après Delphes, l’un des plus fameux sanctuaires oraculaires du monde grec. Un certain nombre des question posées à l’oracle sont conservées sur des lamelles de plomb gravées. Les lamelles connues à ce jour forment un corpus de 168 numéros, qui se prête à une exploitation des points de vue historique, paléographique, philologique, linguistique et dialectologique.L’histoire des lamelles commence vers 550, et prend fin brusquement en 167 av. J.-C., quand les Romains de Paul-Émile incendient le sanctuaire. Dodone était par excellence le sanctuaire des Épirotes, mais aussi un sanctuaire officiel de Corcyre. La zone de rayonnement de l’oracle englobait l’Épire, les colonies corinthiennes, la Thessalie, la Béotie, l’Attique, la Grande-Grèce et la Sicile. Les lamelles en alphabet corinthien sont assignables à des consultants des colonies corinthiennes. L’alphabet épichorique de Dodone était de type eubéen. Le formulaire des questions oraculaires est rigoureux, mais admet de nombreuses variantes, et n’a connu aucune évolution. Les réponses de l’oracle sont rarissimes, mais maintenant bien identifiées. Il existe une relation, difficile à définir mais certaine, entre les lamelles oraculaires et les lamelles de malédiction, même du point de vue textuel. Il n’existe pas de dialecte épirote : il faut poser un continuum linguistique dorien allant du Golfe de Corinthe à la Macédoine incluse. Les étymologies de Naios « Résidant » et de Diôna « épouse de Zeus » sont maintenant établies. La forme Dêôna, maintenant bien attestée, est due à une contamination, d’origine éleusinienne, par la forme Dêô.

e.

MessagePosté: Mer 05 Déc, 2007 11:44
de Muskull
Prom'nons-nous dans les bois... :D

Dans le même ordre d'idée :
Forêts: Essai sur l'imaginaire occidental de Robert Harrison dans la collection Champs de Flammarion.
L'Occident a défriché son espace au cœur des forêts, et fondé contre elles ses institutions dominantes - la religion, le droit, la famille, la cité. De part et d'autre de leur ténébreuse lisière, tenus à distance, deux espaces s'épient, se menacent, s'interrogent. Forêts, monde écarté, opaque, qui dépayse, enchante, terrifie, remet en question la cité.
Robert Harrison raconte ici l'histoire des forêts dans l'imaginaire occidental. Avec Vico pour compagnon de voyage, il nous mène de l'épopée de Gilgamesh à la poésie contemporaine de Zanzotto. Dans les forêts, nous rencontrons Artémis, Dionysos, Roland Furieux, Descartes et Dante, les fées des contes, Rousseau, John Clare, une petite clairière de Constable, les symboles de Baudelaire...
En marge des débats actuels, l'auteur s'interroge sur notre rapport à notre habitat, puisque l'homme habite non la nature mais son rapport à la nature. Ainsi s'élabore une écologie de la finitude.