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Re: Merlin et Tarot de Marseille

MessagePosté: Lun 14 Nov, 2011 13:51
de Séléné.C
Mon avis sur les tarots (comme sur tout moyen oraculaire) est qu'il y a un flou qui s'est installé entre un moyen de réflexion sur moi-même et un moyen de dire l'avenir.

En tant que moyen de réflexion sur soi-même on peut parler de cartes passe-temps, je présume... Voire de moyen de guider une thématique de discussion...
Imaginez un peu, si tous les lundis, nous trouvions sur l'Arbre, mis bien en évidence, un vieux sujet exhumé des profondeurs ou bien un lien vers une page de l'Encyclopédie tirée au hasard et à discuter en brainstorming ? Pas plus idiot que ça... Mais ce type d'oracle ne renvoie en rien vers l'Avenir. Seulement vers notre réflexion.

ejds a écrit:Le premier tarot connu ressemblant actuellement aux jeux actuels, dont dix-sept lames sont conservées au Cabinet des Estampes, à Paris, furent dessinés en 1392 pour le roi de France Charles VI. […]

Une croyance bien établie veut que le tarot soit la mise en images des connaissances dispensées aux hermétistes de l’Antiquité par le dieu égyptien Thot (l’Hermès Trismégiste des Grecs).
[/quote]
http://expositions.bnf.fr/renais/arret/3/index.htm
Page de la BNF sur le tarot de Charles VI a écrit:L’iconographie des tarots, qui puise dans le sacré et le profane, correspond à la culture médiévale et humaniste. Des ensembles se remarquent : le pouvoir spirituel et temporel : Le Pape, La Papesse, L’Impératrice, L’Empereur ; les vertus cardinales : La Tempérance, La Justice, La Force ; les allégories chrétiennes : La Mort, Le Diable, La Maison-Dieu, Le Jugement ; la culture populaire : Le Bateleur, L’Amoureux, La Roue de Fortune, L’Ermite, Le Pendu ; les planètes : L’étoile, La Lune, Le Soleil, Le Monde. Ajoutons pour le minchiate les vertus théologales (Foi, Espérance, Charité), La Prudence, vertu cardinale, les éléments et les signes du zodiaque.
Le décryptage de ces figures, aisé pour les humanistes, est devenu énigmatique au cours des temps. Les allégories et les symboles, la succession des atouts, et surtout les fonctions ludiques qui s’y ajoutent, ont toujours suscité l’intérêt, stimulé l’imagination et entraîné bien des interprétations.

Edit = images sur la page

Re: Merlin et Tarot de Marseille

MessagePosté: Lun 14 Nov, 2011 18:37
de Sedullos
Salut, ejds, merci pour les images.
A noter que la roue du duide Mog Ruith, très christianisée à la mode irlandaise, est la Roue du Jugement dernier !

Re: Merlin et Tarot de Marseille

MessagePosté: Lun 14 Nov, 2011 22:56
de marco95
Merci de vos partages et collaborations, j'ai maintenant bien vu la roue de fortune :D

Salut,
Une croyance bien établie veut que le tarot soit la mise en images des connaissances dispensées aux hermétistes de l’Antiquité par le dieu égyptien Thot


Toute personne regardant les 22 lames pourra immédiatement se rendre compte que "Egyptien ou Thot" ne sont pas de la partie. C'est pourquoi je préfère "rationnellement" m'appuyer sur le Celtisme sachant que le catholicisme fait bien sûr partie des images.

Le "catholicisme breton" a su garder des traditions Celtes par syncrétisme ou "en force" en imposant de fait des fêtes de "Saint" non connus et encore moins reconnus de l'Eglise de Rome.

J'espère, en tout cas c'est ma quête actuelle, trouver une base symbolique celte dans les 22 lames. L'avenir me dira si c'est une impasse ou un passage secret :wink:

Bonne semaine

Marc

Re: Merlin et Tarot de Marseille

MessagePosté: Lun 14 Nov, 2011 23:14
de Séléné.C
Tu ne trouveras pas une base celte pour les 22 lames...
Il y en a plusieurs qui sont de référence religieuse. Peu de chances que la mythologie celte offre un recoupement parfait pour chacune de celles-là !

Au passage = j'ai remarqué sur le lien que j'ai posté de la BNF que l'Ermite du jeu de Charles VI ne tient pas une lanterne mais un sablier
Je te laisse effectuer les autres comparaisons de détails... Celle-là m'a "tiré l'oeil"

Re: Merlin et Tarot de Marseille

MessagePosté: Mar 15 Nov, 2011 1:26
de Sedullos
Marc,

D'une part, Thot, dieu égyptien a été assimilé à la fin de l'Antiquité au dieu grec Hermès dans sa forme hellénistique, de là vient le courant de l'hermétisme et le H à l'ermite du Tarot. D'autre part la référence à l'Egypte a été entretenue aussi par la confusion entre les Egyptiens fantasmatiques et les Bohémiens (Gypsies)..., connus pour tirer les Tarots.

La piste celtique me semble très peu fiable.

MessagePosté: Sam 19 Nov, 2011 13:13
de ejds
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La Mort le Roi Artus, vers 1316, Arthur on the Wheel of Fortune,
The British Library, MS additional 10294, folio 89.


Dans son rêve, Arthur est assis en haut sur la roue de Fortune : La mort le roi Artu, p. 226-7. Il y voit la fragilité de sa destinée : La dame li demandoit : « Artus, ou ies tu ? — Dame, fet il, ge sui en une haute roe, mes ge ne sei quele ele est. — C’est, fet ele, la roe de Fortune. » Lors li demandoit : « Artus que voiz-tu ? — Dame, il me semble que ge voie tout le monde.

Une intéressante conférence sur 'Images monétaires celtiques', sous la houlette de Dominique Hollard, avait eu lieu en soirée le mardi 15 novembre 2011à la BNF Richelieu, à Paris. Elle montrait l’importance de Lug à l’image du rayonnement du soleil dominant le monde, et aux bras longs (tel un roi armé de son spectre), à la main large et aux longs et grands yeux pour voir loin.

Des rapprochements en images comparées (— avec évidemment plusieurs degrés de lecture —), peuvent être faites sur le Taranis à la roue du chaudron et du guerrier au casque cornu, et les piécettes en argent au Cernunnos et attribuées à une tribu belge du sud de l'île de Bretagne ; dont celle découverte à Petersfield, Hampshire, conservée au National Museum of Wales, et décrite par George Boon, 'A Coin with the Head of the Cernunnos', Seaby Coin and Medal Bulletin, sept. 1982, pp. 276-282.

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Image : jfbradu.free.fr

Cette monnaie à l'avers à la tête de cervidé, avec, entre les bois, une échelle qui rejoint une roue ou rouelle solaire à 8 ou 10 branches. Echelle socratique (?) à niveaux représentant la nécessité de l’ascension spirituelle, le pouvoir de monter du monde terrestre vers le monde céleste, mais aussi de descendre du haut vers le bas pour qui n’a pas les ailes de la contemplation.

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Image : ceisiwrserith.com

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_____________Image : celticcoins.com

Le Tarot et la royauté

Les cartes de Tarot, sont un mélange de cartes de prophétie et de jeu et où l’on retrouve aussi les différentes pièces du jeu d’échec. Non pas destinées aux gens du commun mais à la royauté, et aux personnages importants qui forment et contrôlent ce royaume.

Un personnage et son histoire illustrent peut-être le mieux la mancie des cartes où l’on bat, trie et tire les gens comme les événements.

Du jeu de cartes ou Tarot attribué à Charles VI le Bien-Aimé ou le Fol (1368-1422), dix-sept cartes sur soixante-dix-huit sont conservées. Il manque la roue de la fortune. Des commandes royales de trois jeux passées quelques trois ans avant par Charles VI, et recensées dans le livre des comptes en février 1392, qui semblent raconter les intrigues et mésaventures du roi âgé de 24 ans et qui allaient se passait dans la forêt du Mans à l’été 1392, et où il finit par attaquer et tuer quatre gens de sa suite. Un an après une autre mésaventure vit la mort de quatre invités lors d'un bal masqué :

Comme quoi, on peut parfois avoir tour à tour des rôles à jouer : être roi, fou et aimé tout à la fois ! Et où finissent par triompher la tempérance, la force, la justice, l'amour, sur la folie attaquée par quatre personnages :

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Image : bnf.fr

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Image et texte au-dessus : Précis d'histoire du Moyen-Age, par une réunion de professeurs,
Librairie de l'enseignement libre, 1939, 234 pages, p. 182.


Anquetil a écrit:Les ordres furent envoyés aux troupes dans les provinces de se rendre au Mans. Ils étaient si pressants qu'en septembre, deux mois à peine après l'assassinat, l'armée était rassemblée. Les oncles du roi s'y trouvaient ; le connétable, pour se réconcilier avec le duc de Berri, lui avait fait rendre son gouvernement de Languedoc, et il flattait le duc de Bourgogne et ses amis plus qu'à l'ordinaire. Cependant ils ne marchaient qu'avec répugnance, et ne le dissimulaient pas. Ces contradictions fatiguaient le malheureux Charles. Il dépérissait à vue d'œil. Le jour qu'il partit du Mans pour suivre son armée qui marchait vers la Bretagne, à peine toucha-t-il aux mets qui lui furent présentés avant de monter à cheval. Il avait l'œil hagard et le maintien stupide.

Pendant un de ces jours de chaleur étouffante qu'on éprouve quelquefois au commencement de l'automne, Charles traversait la forêt du Mans, peu accompagné, parce qu'on s'était écarté pour qu'il ne fût pas incommodé de la poussière : tout à coup un homme en chemise, la tête et les pieds nus, s'élance d'entre deux arbres, saisit la bride de son cheval, et lui crie d'une voix rauque : « Roi, ne chevauche pas plus en avant, retourne, tu es trahi. » Il tenait les rênes si fortement, qu'on fut obligé de le frapper pour le faire lâcher ; mais on ne l'arrêta, ni on ne le poursuivit, et il disparut. Le roi ne dit mot ; mais on remarqua de l'altération sur son visage, et dans son corps une espèce de frémissement.

En sortant de la forêt on entra dans une plaine de sable, qui, échauffée par un soleil ardent, réfléchissait une chaleur insupportable. Le roi n'était accompagné que de deux pages : l'un presque endormi sur son cheval, laisse tomber négligemment sa lance sur le casque de l'autre. Le roi, au bruit aigu qui frappe son oreille, se réveille, comme en sursaut, de la rêverie où il était plongé, et croit que c'est l'accomplissement de l'avis qu'on vient de lui donner : il tire son épée, pousse son cheval, frappe tous ceux qu'il trouve à sa rencontre, criant : Avant, avant sur les traîtres ! Le duc d'Orléans, son frère, veut le retenir. Il se précipite sur lui. « Fuyez, beau neveu d'Orléans, lui crie le duc de Bourgogne, monseigneur vous veut occir : haro ! le grand méchef, monseigneur est tout dévoyé. Dieu ! qu'on le prenne. » Mais personne n'osait l'approcher. Il s'était formé autour de lui un cercle qu'il parcourait en furieux, et chacun fuyait quand il tournait de son côté. On dit qu'il tua quatre hommes dans cet excès de frénésie. A la fin son épée se cassa, ses forces s'épuisèrent. Un de ses chambellans, nommé Guillaume Martel, prend son temps, saute sur la croupe de son cheval, le saisit. On le désarme, on le couche dans un chariot sans connaissance, et on le ramène au Mans. « Le voyage est fait pour cette fois, » dirent les deux oncles. Ils envoyèrent des ordres pour rappeler les troupes.

Le fantôme de la forêt est toujours resté un mystère. Si l'invention d'un stratagème peut être supposée à celui qui en tire le profit, on serait assez autorisé à attribuer celui-ci au duc de Bretagne, qui par là se trouva débarrassé d'une guerre inévitable. Mais il avait donc des complices bien sûrs autour du roi, puisque le spectre, comme nous l'avons remarqué, ne fut ni poursuivi dans le temps, ni recherché dans la suite. Les médecins, nommés physiciens alors, firent beaucoup de dissertations et de longs écrits sur les causes de la maladie du roi. Tous leurs raisonnements aboutissaient au po son ou au sortilège. « Nous nous débattons et travaillons pour néant, dit le duc de Berri ; le roi n'est ni empoisonné, ni ensorcelé, fors de mauvais conseils : mais il n'est pas heure de parler de cette matière. » Il serait difficile de peindre la consternation du peuple quand cet événement se répandit, et de rapporter les discours et les opinions, tant en France qu'au dehors. Chacun en parlait selon ses intérêts. « Le pape de Rome dit que Dieu lui avait tollu son sens, pour avoir soutenu cet antipape d'Avignon. » Celui d'Avignon disait : « Le roi de France avait juré sur sa foi qu'il détruirait l'antipape de Rome. Il n'en a rien fait, dont Dieu est courroucé. » Mais un médecin de Laon, nommé Guillaume de Harceley, qu'on appela, fit voir qu'il n'y avait rien de surnaturel dans sa maladie. A force de soins doux et de patience, il le guérit. Les remèdes s'administrèrent dans le château de Creil, où on le conduisit. Le duc d'Orléans l'accompagna et resta près de lui.

On cacha le plus longtemps qu'on put cet accident à la reine, parce qu'elle était enceinte.

[…] La cure du roi dura six mois. Revenu de son état comme d'un songe, il fut bien étonné du changement qu'il vit autour de lui. Il ne fut pas difficile de le lui faire trouver bon, comme il arriva toujours depuis, après ses rechutes ; mais peut-être ne fut-il pas si aisé de l'engager à prendre des précautions en cas du retour de sa maladie. […]

La santé du roi, devenue assez bonne, fit espérer quelque temps que ces précautions seraient inutiles ; mais un funeste accident les rendit malheureusement trop nécessaires. La reine, à l'occasion du mariage d'une demoiselle de sa cour, donna un grand festin, suivi d'un bal masqué. Le roi y vint déguisé en sauvage, conduisant cinq jeunes seigneurs déguisés comme lui et attachés ensemble par une chaine de fer. Leur vêtement était fait de toile, enduit de poix, sur laquelle on avait appliqué des étoupes. Le duc d'Orléans, curieux de connaître ces masques, approche de l'un d'eux un flambeau; une étincelle tombe, le feu prend, la flamme se communique. Au milieu des hurlements de ces malheureux, qui s'efforçaient de rompre leur chaîne, on distingue un cri perçant : Sauvez le roi! Il venait de la reine, qui s'évanouit. La duchesse de Berri, auprès de laquelle il se trouvait, le couvrit de son manteau. Des cinq esclaves, quatre moururent dans les tourments. Un seul rompit sa chaine, courut à la bouteillerie, se précipita dans une cuve pleine d'eau, et fut sauvé. La reine, revenue de son évanouissement, trouva auprès d'elle le roi, qui la consolait. Isabelle l'aimait alors. [...]

Dans l'embarras du choix, on admettait tous ceux qui promettaient du soulagement, charlatans, empiriques ; on ne dédaignait même pas les opérations magiques des sorciers. Par contraste de la superstition, les églises étaient remplies de peuple, qui demandait avec ferveur la guérison du monarque, si importante à tous les Français. En effet, les crises alternatives de folie et de bon sens faisaient craindre dans le gouvernement une oscillation perpétuelle, germe des troubles les plus dangereux. Pour faire diversion à la sombre mélancolie du roi, ou inventa le jeu de cartes, dont les figures retracent encore l'habillement du temps.

Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu'a la mort de Louis XVI, par Anquetil, tome premier,1839, 592 pages, pp. 564-5, disponible sur internet année 1844.

Re: Merlin et Tarot de Marseille

MessagePosté: Mer 30 Nov, 2011 20:55
de marco95
MERCI :D
de toutes vos pistes,

je lis vos pistes et les liens et les liens de liens :wink:
j'ai commandé les ouvrages de références,
bref "y-a-pu-qua" et là j'attends les congés de Noël pour avoir du temps pour bien lire et bien comprendre.

Bon mois de décembre

Cordialement

Marc

Re: Merlin et Tarot de Marseille

MessagePosté: Mer 21 Déc, 2011 11:47
de ejds
Etonnante aussi est cette tradition de faire porter au cerf capturé une couronne-torque au cou. Un « dieu-chaman celtique », dans sa puissance et sa longévité, ancêtre des rois de France ?!

BNF a écrit:
Philippe de Mézières, Le songe du vieil pèlerin

Paris, BNF, Arsenal, ms. 2682, fol. 34

Le cerf à partir du XVe siècle devient un élément important de l'emblématique royale française. Le roi Charles VI fait du cerf ailé (ou "cerf volant") son emblème de prédilection. Ses successeurs, Charles VII et Louis XII, ainsi que les ducs de Bourbon, le reprennent à leur compte comme support de leurs armes. A la même époque que Charles VI, le roi d'Angleterre, Richard II, adopte pour badge le cerf blanc reposant sur une terrasse herbue.

Aux origines de carnaval, par Anne Lombard-Jourdan, Editions Odile Jacob, 2005, 384 pages :

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MessagePosté: Ven 27 Jan, 2012 12:13
de ejds
Auteurs et artistes à travers les âges ont fait une large place dans leurs œuvres au thème de la roue, du gouvernail, de la sphère… de fortune, qui permet de gloser sur la précarité des réussites humaines et de rappeler à l’humilité et à la patience tous ceux, pauvres ou ambitieux, qui aspirent à s’élever au-dessus de leur état. Non seulement dans le monde du pouvoir politique mais aussi de la religion que l’on retrouvera par exemple dans De rota religionis (La roue de la religion), St Omer, Bibliothèque municipale, ms. 94, XIIIème siècle.

Cette définition est, au fond, à la fois optimiste et pessimiste, et illustre combien nous sommes dépendants des autres, de la société, enchaînés à la roue de la fortune qui avance sans savoir où elle va. Une femme est le plus fréquemment représentée un bandeau sur les yeux, faisant tourner la roue de ses mains ou de ses pieds, pour montrer qu’elle agit sans discernement et en marquant son inconstance. Un jour ici, un jour là, et nul ne peut savoir à qui elle distribuera ses faveurs. Tour à tour, pour un temps ou longtemps, l’impression du triomphe et le rire pour l’un, l'ombre, le malheur et ou les pleurs pour les autres…

La lecture de L'histoire, les grands mouvements de l’histoire à travers le temps, les civilisations, les religions, par Arnold Toynbee, Éditions Elsevier Séquoia,1975, 552 pages, aux chapitres Le déclin des civilisations, et La désintégration des civilisations (p. 138-248) amène à faire tourner la roue de la fortune et à élargir de nouvelles interprétations.

Némésis, considérée comme la juste colère et représentant la justice, fille de la Nuit, au beau visage voilé de blanc, un de ses symboles est la roue de la fortune. Elle veille à ce que les orgueilleux mortels ne tentent pas de s’égaler aux dieux. Elle conseille la modération et la discrétion, abaisse ceux qui ont reçu trop de dons et s’en flattent. Elle rythme le destin des uns et des autres et distribue, selon ses caprices et les mérites, richesse ou pauvreté, puissance ou servitude… Némésis est assimilée à Fortuna, déesse romaine de la chance aveugle et du hasard.

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189-190. Fortuna et Fortuna-Nemesis.
Pierres précieuses gréco-romaines (Bristish Museum). Photos Werner Forman.
L’Histoire, A. Toynbee, p. 236-7.


LE NOUVEAU DEPART.
195. La pénible crise de désintégration sociale impose à l’âme qui souffre de rejeter les attraits des réponses faciles. Une allégorie du XVe siècle montre les plus sages des sages tournant le dos à la Fortune, qui se trouve en équilibre sur une roue et une embarcation sans mât soumis aux caprices du vent au-dessus d’eux. La Vertu flanquée des philosophes Cratès et Socrate, l’un jetant ses biens terrestres, tandis que l’autre reçoit de la Vertu la palme de la sagesse.

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195. Sages tournant le dos à la Fortune.
Opus sectile ou pavement incrusté, d’après un projet de Pinturicchio.
Dôme de Sienne. Photo Anderson/Mansell.
L’Histoire, A. Toynbee, p. 242.


Parmi les exemples de roue de la fortune on retrouve celle représentée dans la mosaïque de Pompéi, de l’attouchement de la mort au sourire cynique (— le crâne suspendu à l'équerre, le papillon, la roue —), symboles du jugement inexorable, de la mort, du sort, de l’âme, d’une fin en soi inévitable. De chaque côté sont accrochés les vêtements du riche et du pauvre.

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Photo : convivialiteenflandre.org

La rota fortunae, dessin de Jean Cousin, extrait de son Livre de Fortune, 1568, Bibliothèque de l’Institut de France. Ouvrage composé de deux cents illustrations de dictons populaires ayant traits à la déesse Fortune. Image originelle et symbole permanent de la philosophie cyclique, cette version interprète l’idée comme une suite de réponses morales : de la paix vient la richesse, de la richesse l’orgueil, de l’orgueil la guerre, de la guerre la pauvreté, de la pauvreté l’humilité, de l’humilité la paix.

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LA ROUE, image originelle et symbole permanent de la philosophie cyclique.
L’Histoire, A. Toynbee, p. 139. Photo F. Foliot.

Pride, plea, poverty, plenty, peace.

Mais ce qui fait l’intérêt de la roue est son abstraction. Les personnages symboliques ne sont plus liés à la roue et ne doivent plus subir son destin, et se trouvent comme dans une farandole, se rencontrent et se répondent. Par alliances et mésalliances, la destinée communautaire ou individuelle s’en trouve modifiée, renforcée ou affaiblie. De la causalité au cycle de vie, le déterminisme suggère que les efforts conscients du libre choix puissent rompre le cycle fatal. En bien ou en mal !

Un tailloir anglais (plateau en bois pour fruits ou confiseries du XVIIe siècle de l’époque de Jacques 1er Stuart, British Museum) décoré avec les personnifications de l’orgueil, du procès (c’est-à-dire contestation ou litige), de la pauvreté, de l’abondance regardant la paix, emprunte son thème à la roue des philosophies cycliques. Initialement, ces personnages auraient dû être fixés à une roue de la fortune, d’où la forme circulaire de l'ouvrage, mais ils restent liés dans une ronde irréversible. Chacun gardant ses distances ou allant vers un autre, encore que la paix au centre puisse offrir un autre et meilleur choix.

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Tailloir anglais (British Museum).
L’Histoire, A. Toynbee, p. 143.

La Ronde de la vie humaine, Nicolas Poussin, vers 1639, Collection Wallace, se rattache au thème médiéval de la roue de la fortune. Sous la course du char solaire, les figures de la courte durée et du temps veillent au mouvement, à l'entente et à la danse rythmée et enjouée de la pauvreté, du travail, de l'abondance et du luxe.

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