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L'amour courtois et le culte marial.

MessagePosté: Ven 09 Jan, 2009 18:34
de Muskull
Bonjour,
Comme il existe plusieurs spécialistes du moyen-âge sur ce forum j'aimerais savoir si l'on connait les sources de l'amour courtois en occident, ses premiers "effets" en littérature, ses transmissions, car Dante semble porté sur cette vague et non précurseur bien que parfois catalyseur.

Question subsidiaire:
Cet "effet Sophial" est-il en rapport avec le culte marial dont l'agent serait, dit-on, Bernard de Clairvaux ?

Une page et un site pour infos complémentaires:
http://www.moncelon.com/fedeli.htm
J'espère que les références à R. Guénon n'offusqueront pas nos chercheurs de vérité. :wink:

MessagePosté: Sam 10 Jan, 2009 11:36
de André-Yves Bourgès
Bonjour Muskull,

Le débat (s'il s'ouvre !) promet d'être vigoureux !

Ce qui touche au culte marial entrant dans le domaine que je connais un peu moins mal, celui de l'hagio-historiographie médiévale, je propose ici quelques pistes de réflexions à partir de quelques auteurs, en particulier M.-G. Grossel dont la thèse sur Le Milieu littéraire en Champagne sous les Thibaudiens (1200-1270) publiée en 1994 et malheureusement épuisée, fait une large place (passim et aussi spécifiquement p. 497-511 et p. 605-634 ) à Gautier de Coinci qui (p. 498) "fut sinon l'inventeur de la canso à la Vierge au moins l'origine du succès d'un genre, appelé à son plein épanouissement dans les années qui suivirent sa tentative. On ne doit pas oublier que les troubadours, maîtres des trouvères comme on le rappelle à satiété, n'avaient pas eu l'idée (étrange ?) de chanter Notre Dame avec les termes de la Fine Amor."

J. Le Goff souligne à propos du rituel symbolique de la vassalité (dans Un autre Moyen Âge, 1999, p. 362-363) que "... le système de l'amour courtois a connu sa plus haute expression dans le culte marial et qu'ici la contamination du rituel marial par le rituel vassalique", même s'il ne lui parait pas qu'un rapprochement entre "le baiser courtois" et le baiser à bouche du rituel vassalique soit "pertinent".

Sur saint Bernard et son influence, il faut encore et toujours se reporter aux travaux d'E. Gilson, notamment son article sur « La mystique de la grâce dans la Queste del Saint Graal », Romania, t. 51 (1925), p. 321-347 : je souligne à dessein cet article car la concomitance du développement du système de l'amour courtois, de la dévotion mariale et de la légende arthurienne est manifeste.

On en reparle.

Bien cordialement,

André-Yves Bourgès

MessagePosté: Sam 10 Jan, 2009 14:38
de Sedullos
André-Yves Bourgès a écrit:On ne doit pas oublier que les troubadours, maîtres des trouvères comme on le rappelle à satiété, n'avaient pas eu l'idée (étrange ?) de chanter Notre Dame avec les termes de la Fine Amor."

On en reparle.

Bien cordialement,

André-Yves Bourgès


Salut à tous,

Je n'ai pas du tout le temps pour participer à ce fil.

D'après René Nelli et d'autres auteurs, il semblerait bien qu'au XIIe siècle, après 1244, certains troubadours ralliés ou non à l'église catholique, on a, me semble-t-il l'exemple unique d'un troubadour devenu inquisiteur, aient traité le thème marial à travers leur "canso".

A vérifier :

Anthologie des troubadours / Pierre Bec.- 10/18, 1979.

Terre des troubadours : XIIe-XIIIe siècles : anthologie commentée / Gérard Zuchetto.- Ed de Paris, 1996.- 455 p. +1 disque compact audio.

MessagePosté: Sam 10 Jan, 2009 14:53
de Taliesin
Salud deoc'h tout ha bloavezh mat d'an holl !

premier point : la Fin Amor est antérieure au développement du culte marial

second point : le but ultime du troubadour, quand il honore une dame par ses chansons, est de l'honorer ensuite dans un lit. Qu'il y mette le temps et les formes ne change rien à l'affaire : la Fin Amor est un jeu sexuel.

MessagePosté: Sam 10 Jan, 2009 16:33
de André-Yves Bourgès
Sedullos a écrit:
André-Yves Bourgès a écrit:On ne doit pas oublier que les troubadours, maîtres des trouvères comme on le rappelle à satiété, n'avaient pas eu l'idée (étrange ?) de chanter Notre Dame avec les termes de la Fine Amor."

On en reparle.

Bien cordialement,

André-Yves Bourgès


Salut à tous,

Je n'ai pas du tout le temps pour participer à ce fil.


Dommage...

Quant au texte cité, je souligne qu'il n'est pas de moi, mais de M.-G. Grossel.

AYB

MessagePosté: Sam 10 Jan, 2009 16:54
de Sedullos
Ce n'est pas uniquement une question de temps.

Le Moyen Age est une très longue période à étudier, très riche mais aussi complexe. Cela requiert des connaissances que je n'ai pas forcément.

Je préfère me concentrer sur (zoom avant :)

le Deuxième âge du Fer, les Gaulois, la guerre des Gaules et l'armement de La Tène finale. Je m'y suis remis depuis quelques années et vu le nombre de publications et les problèmatiques que cela génère, cela m'occupe suffisament. Toute une civilisation à explorer...

Et puis, sur les centaines d'inscrits actifs sur ce forum ; il y a
sûrement des gens qui ont des trucs à dire et des questions à poser.

MessagePosté: Sam 10 Jan, 2009 16:56
de André-Yves Bourgès
Taliesin a écrit:premier point : la Fin Amor est antérieure au développement du culte marial


Oui ; mais ce que M.-G. Grossel souligne c'est le fait qu'à partir du moment même de ce développement, "les troubadours, maîtres des trouvères comme on le rappelle à satiété, n'avaient pas eu l'idée (étrange ?) de chanter Notre Dame avec les termes de la Fine Amor"

second point : le but ultime du troubadour, quand il honore une dame par ses chansons, est de l'honorer ensuite dans un lit. Qu'il y mette le temps et les formes ne change rien à l'affaire : la Fin Amor est un jeu sexuel.


Oui : la citation que j'ai donnée (extraite comme je l'ai dit des nombreuses pages consacrées par M.-G. Grossel à Gautier de Coinci) s'en tient aux seuls "termes de la Fine Amor" ; rien à voir avec les éventuelles arrière-pensées du troubadour. C'est pour une raison qui me paraît assez similaire que J. Le Goff, dans le passage que j'ai rappelé, tout en mettant de côté "le problème du caractère purement littéraire ou non" de l'amour courtois, ne croit pas pertinent le rapprochement entre le baiser de bouche vassalique et le baiser courtois : "c'est un fait que dans l'amour courtois l'homme est le vassal de la femme et qu'un moment essentiel du système symbolique courtois est le baiser. Mais je rappellerai que, au moins dans son principe, l'amour courtois a été, au XIIe siècle, un phénomène contestataire, scandaleux, une manifestation du monde à l'envers".

Quant à la dévotion mariale qui prend un nouvel essor à partir du XIIe siècle, y a-t-il une indication qu'elle aurait pris une forme différente dans le Sud ?

AYB

MessagePosté: Sam 10 Jan, 2009 18:09
de Muskull
Bonjour et merci,

Gautier de Coinci écrit "Les Miracles de Nostre Dame" de 1218 à 1230 environ. Son travail est donc connu et diffusé après 1230 et si je ne m'abuse il s'agit du culte marial.
Dante commence à écrire "La divine comédie" un peu moins d'un siècle plus tard.
Taliésin écrit:
premier point : la Fin Amor est antérieure au développement du culte marial.

Je présume qu'il y a un écrit précurseur en ce sens non dédié à la Vierge :?:

Bernard de Clairveaux est d'un siècle plus tôt, début du XII° et:
Bernard a une prédilection presque exclusive pour le Cantique de Salomon et pour saint Augustin.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Bernard_de_Clairvaux

Or "Le Cantique des Cantiques" est une ode amoureuse et charnelle au bien aimé qui ne pouvait être que divin.
L'inversion s'est faite fructueuse chez les poètes de l'Islam, notamment Omar Khayam (XI° siècle). Inversion toute relative car en persan le terme "bien-aimé" est neutre et a été féminisé dans les traductions successives.

Bref, pour moi cela reste un peu confus :?
Influences orientales par "El Andalus" et la Sicile, plus tôt par les croisés ou une génération spontanée chez les francs :shock: ou les catalans :?:

MessagePosté: Lun 12 Jan, 2009 17:24
de Muskull
Bonjour,
J'ai trouvé cette page:
http://www.cafe.umontreal.ca/genres/n-romcou.html
Extrait:
- Origines de la fin'amor.
1) Poèmes d'Ovide (Ars amandi et Remedia amoris);
2) Tradition cléricale remontant au haut moyen âge : correspondances plus ou moins amoureuses entre hommes d'Eglise et moniales (cf. liaison d'Abélard et Héloïse, 1118-1120).
3) Poésie latine des vagants ou goliards, où les thèmes érotiques apparaissent dès le XIe siècle;
4) Influence musulmane (et plus spécialement andalouse) : poésie arabe inspirée par le mysticisme soufi.
5) Chansons de geste, dont le roman courtois se distingue. La courtoisie est une réaction contre les valeurs véhiculées par la chanson de geste (mépris des attachements féminins, indifférence à la volonté de la femme, impudeur de la parole).
- Origines du roman courtois.
1) Les grands récits, mythologiques ou historiques, de l'Antiquité (l'Enéide, de Virgile, les Métamorphoses d'Ovide, la Thébaïde de Stace) fournissent sujets, style, procédés d'invention, images, types de personnages.
2) Histoires et légendes d'origine celtique, baignées de merveilleux païen et de ferveur chrétienne, diffusées par les bardes gallois. Les thèmes de ces récits sont présents dans le Roman de Tristan et les romans de Chrétien de Troyes (qui donne au mythe du Graal sa signification chrétienne et qui, en l'associant à la légende arthurienne, a permis la naissance, au XIIIe siècle, de grands romans religieux attachés au cycle breton).
3) Le roman grec. Le seul roman grec connu (sous forme de traduction latine principalement) au moyen âge est Apollonius de Tyr.
On voit son influence sur le roman la Fille du Comte Pontieu, sur les romans idylliques Floire et Blancheflore et Aucassin et Nicolette.
4) Littérature byzantine et orientale. Aimon de Varennes déclare avoir ramené de Philoppopoli le sujet de son Florimont (1188). Influence des Mille et une nuits sur l'Eracle de Gautier d'Arras.
5) Poésie courtoise. Poésie lyrique musicale qui exalte la fin'amor.

Qu'en pensez-vous ?
Est-ce une bonne référence pour tenter une petite anthologie ?

P.S. Ils ont oublié les cantiques de Salomon. :(

MessagePosté: Lun 12 Jan, 2009 20:11
de André-Yves Bourgès
Muskull a écrit:Qu'en pensez-vous ?
Est-ce une bonne référence pour tenter une petite anthologie ?


On voit au travers des références proposées par ce site combien les XII-XIIIe siècles constituent la période-clé de l'amour courtois, du moins dans sa dimension littéraire et sublimatoire (que je crois pour ma part essentielle, car il me semble que les membres de la classe chevaleresque vivaient avant tout par procuration leurs amours avec leurs "dames", c'est-à-dire les femmes de leurs suzerains : « Les troubadours n’inventent pas l’amour mais une nouvelle façon de le dire pour ne pas le faire », écrit J.-C. Huchet).

Or cette période est également celle qui voit le développement de la dévotion mariale, non son culte bien plus ancien évidemment, dans le cadre d'une véritable "relation mario-vassalique" (j'ai utilisé cette formule dans un travail sur le culte marial en Bretagne).

Au delà d'un synchronisme patent, il convient d'inventorier et d'évaluer sans préjugés les composantes du système d'échanges entre l'amour courtois et la dévotion mariale.

Bien cordialement,

André-Yves Bourgès

PS : me gène un peu de voir indiquer "haut Moyen Âge" pour le XIIe siècle, qui est au centre du Moyen Âge central !

MessagePosté: Mar 13 Jan, 2009 17:34
de Muskull
Merci André-Yves,
Ces croisements de lecture et débats en ce forum sont fructueux à souhait.

Je cite un court extrait du lien fourni qui ne doit pas empêcher les curieux et les amoureux d'en lire l'intégralité:
Dès lors, comment opère donc la sublimation si elle ne se produit pas à partir de l’ordre du désir et de la loi du discours, auxquels pourtant elle satisfait, mais vise à créer une forme, au-delà du principe de plaisir, de la Chose première, la jouissance interdite ? Pour apporter une première réponse à cette question, Lacan a, entre autres, recours au commentaire d’un discours amoureux qui a laissé de larges traces en Occident même si sa durée de vie fut brève, deux siècles à peine, celui de l’amour courtois, la Fin’Amor. Il souligne, après d’innombrables commentateurs, que le personnage de la Dame est élaboré dans un contexte où la femme était serve par excellence, et qu’il doit donc être compris à partir de là. D’autre part, il désigne dans les nombreux obstacles qui parsèment le chemin ouvrant au troubadour l’accès de sa Dame, une zone d’interdit, de vacuité dessinée autour de l’objet. Il remarque également que la Dame est décrite de façon quasi invariable, et que l’on a l’impression au travers des différents textes qu’il s’agit toujours de la même femme. Ce qui est élaboré à partir d’une femme réelle est donc un signifiant, aussi éloigné que possible de ce qu’elle est. Les sculptures de Vénus préhistoriques constituaient, elles aussi, des représentations presque invariables, donc proches d’un signifiant également, mais un tout autre signifiant. La Dame à laquelle va le suprême amour se caractérise par une particulière cruauté, un peu inhumaine, et elle est souvent dénommée au masculin, Mi Dons, mon seigneur ou ma seigneur.

Une image "invariable" peut être considéré comme un archétype et malgré le fait que je ne sois pas "fan" de Lacan je trouve qu'il y a dans cette image puissante à laquelle ont succombé aussi les préraphaélites plus tardivement, une représentation très similaire dans la poésie amoureuse soufie envers la Divinité qui date chez leurs auteurs classiques de bien avant le XII° siècle.

Les auteurs anciens ont le plus souvent nié l'influence musulmane en Occident pourtant elle a été forte mais brève dans le domaine Occitan.
C'est pour cela que je cherchais une sorte de manuscrit fondateur de la fine amor (si ce n'est un de ces "manuscrits fantômes") car une "génération spontanée" de l'archétype parce que des femmes de pouvoir existaient en ces temps ne me semble guère probable.

MessagePosté: Mar 13 Jan, 2009 20:04
de André-Yves Bourgès
Bonsoir ami Muskull,

Il y a ici le texte d'un entretien où Georges Duby est questionné sur la littérature courtoise. J'en extrais ceci (et je souligne quelques idées-force), mais tout l'entretien est à lire :

Alain Grosrichard - Ne pourrait-on pas dire que c'est justement du fait que l'amour courtois a pu être écrit qu'il a pu avoir des effets dans la cour, à partir du moment où il a existé sous forme d'un ordre symbolique, d'un ordre signifiant?

Georges Duby - C'est pour cela que je parlais d'utilisation. Ce sont des instruments du pouvoir et dès l'instant où ces textes existent, ils ont une fonction de régulation. Il ne faut pas oublier deux choses à mettre en rapport avec l'apparition de ces témoignages: c'est le moment même où l'Occident s'ouvre, retrouve des formes de culture extérieures, où l'influence arabe se fait sentir; c'est un moment de renaissance culturelle (au sens d'un retour vers les textes des auteurs profanes antiques, on lit passionnément Ovide). N'oublions pas non plus la simultanéité entre l'efflorescence de ces forces amoureuses et celle du culte marial. La Dame, c'est Notre Dame. Le personnage de la Vierge va occulter le personnage de Dieu. Il ne faut pas perdre de vue que le système chrétien oppose deux femmes: l'une perverse - Eve -, l'autre, Marie - parce qu'elle est vierge et parce qu'elle est mère ­ représente au contraire ce qui n'est pas dangereux dans la féminité.


Allez, Muskull, tu as à nouveau la bénédiction posthume de l'oncle Georges... comme déjà par le passé.

Bien cordialement,

André-Yves Bourgès

MessagePosté: Mar 13 Jan, 2009 20:26
de André-Yves Bourgès
Au fait, je ne partage pas toutes les analyses de G. Duby sur ce qu'aurait été la place de la femme dans le "système courtois" ; d'ailleurs sa pensée a connu sur ce sujet une inflexion non négligeable, comme le rappelle ici Michelle Perrot. Voir également, à des fins plus historiographiques le témoignage de J. le Goff sur Duby et l'histoire des femmes.

Par exemple, G. Duby ne me convainc pas quand il écrit dans "A propos de l'amour que l'on dit courtois" : "La chose est sûre : si Guillaume le Maréchal, encore célibataire, fut accusé d'avoir séduit l'épouse de son seigneur, c'est que telles entreprises n'étaient pas exceptionnelles".
On pourrait au contraire conclure que c'est parce que cette "entreprise" (s'il ne s'agit pas seulement de ragots), était effectivement "exceptionnelle", notamment du fait du statut des personnages concernés (Guillaume donc, mais aussi le roi-associé Henri le Jeune et son épouse), qu'elle a laissé une trace dans l'histoire, au moins littéraire.

Bien cordialement,

André-Yves Bourgès

MessagePosté: Mer 14 Jan, 2009 18:00
de Muskull
Diantre, que de choses à lire ! :lol:
Au premier abord je retiens quelques points:
- Le mariage, donc la femme, détient le pouvoir qui est de fait une partie du pouvoir du père à qui l'on doit plaire. C'est une reconsidération du "concept de souveraineté" que l'on trouve dans les mythes celtiques mais aussi d'ailleurs.
- Un phénomène sociologique synchrone: la multiplication des couvents de moniales qui démontre que l'Eglise toute puissante alors admettait que les femmes pouvaient avoir une vie et une réalisation spirituelle ; elles n'étaient plus "mineures".
- Les écrits de l'époque (ce qui nous reste) sont des faits dans le domaine des élites d'une forme de révolution sociétale plus profonde mais il est possible que non. :?

Mais aussi face à ces lacaniens qui revisitent (ou amplifient) Freud de façon ludique mais un peu réductrice (il sont un peu agaçants) il pourrait y avoir une analyse plus poétique sur la complétion en la "réunion" de l'homme et de la femme dont l'apothéose rêvée est "fulgurante".
Ce non dit (épatant) est patent chez des poètes antérieurs mais aussi clairement décrit dans la Bible et le Coran.

André-Yves cite G. Duby
Le personnage de la Vierge va occulter le personnage de Dieu.

Il y aurait des choses à dire sur "les voiles". :wink:

MessagePosté: Mer 14 Jan, 2009 19:47
de Muskull
Je "rapatrie" ici deux posts de Taliésin de janvier 2006 sur le sujet:
A l'époque, le royaume de France, ce qui appartient effectivement au roi de France, c'est à peu près l'Ile de France, entre Orléans et l'Oise.
L'Aquitaine va être rattachée un temps à ce petit royaume, de 1137 à 1151, par le mariage d'Aliénor et de Louis VII, puis va basculer chez les Plantagenêts lorsqu'Aliénor se remarie avec Henri II en 1151.
C'est le début d'une rivalité (symbolisée notamment par celle mythique entre Arthur et Charlemagne) qui va conduire à deux guerres centenaires contre le perfide Anglois. Tout ça à cause d'une femme !!

Le royaume de France ne s'est jamais intéressé ni à la matière de Bretagne, ni à la poésie des troubadours. En France du Nord, ce sont les grands vassaux de Louis VII, puis de Philippe Auguste, les comtes de Champagne, de Blois et de Flandres, qui donnèrent son essor à la littérature courtoise. Les trouvères sont tous d'origine picarde ou champenoise (Conon de Béthune, Gace Brûlé...). Même le trouvère parisien du 13ème siècle, Ruteboeuf, est d'origine champenoise.
Robert de Boron est bourguignon.
Les Chansons de geste naquirent probablement en Aquitaine et en Normandie (la version la plus ancienne de la Chanson de Roland est écrite en anglo-normand), et Chrétien de Troyes est le premier romancier...champenois.

Bref, revenons à l'amour courtois :

"La raison de l'amour. La raison d'aimer l'aimée, c'est l'aimée. Et la mesure de l'aimer, c'est de l'aimer sans mesure."

C'est un Bernard qui a écrit cela, mais ce n'est pas le troubadour Bernard de Ventadour, il s'agit de saint Bernard de Clairvaux (1090-1153).
Vers la fin du 11ème siècle, début du 12ème, il y a un courant littéraire parmi les clercs, qui exalte et idéalise la femme. Marbode, angevin devenu évêque de Rennes, Baudri de Bourgueil, évêque de Dol, ou encore Hildebert de Lavardin, adressent des poèmes d'amour respectueux à des grandes dames de la noblesse, comme Ermengarde d'Anjou, fille de Foulque le Réchin, épouse de Guillaume IX d'Aquitaine, puis de Alain Fergant duc de Bretagne. Mais c'est probablement la Vierge Marie qu'ils honorent à traves la dame noble.
A noter tout de même que cette poésie d'amour en latin est antérieure à la poésie des troubadours.

Ce courant littéraire est contemporain d'un autre évènement d'importance : la fondation du monastère de Fontevrault par Robert d'Arbrissel en 1101. Né non loin de Rennes, Robert se fait d'abord ermite dans la forêt de Craon (tiens, un autres aspect intéressant : le lien éventuel entre le courant érémitique de cette époque entre Bretagne, Maine, Anjou, et la présence récurrente d'ermites dans les romans arthuriens) avant de fonder son monastère, mixte, mais dont il confie la direction à une femme, Pétronille de Chemillé (au passage, un membre de la famille de cette pétronille, fils, neveu ?? s'appellait Gauvain)
le comportement de Robert n'est pas sans rappeler celui des moines celtes et de leurs conhospitae. Toujours est-il qu'avec lui, les femmes ont la première place (nobles ou prostituées), ce qui en attire plus d'une, déçues d'un mariage forcé. C'est le cas d'Ermengarde d'Anjou, qui avait déjà fui Guillaume d'Aquitaine pour se réfugier chez Alain Fergant, mais qui ne veut plus de celui-ci non plus et souhaite prendre le voile à Fontevrault. Finalement, elle n'y passera que quelques temps. Par contre, la seconde femme de Guillaume, Philippa de Toulousa, se réfugia à Fontevrault avec sa fille.

D'après Reto R. Bezzola, c'est le succès de Fontevrault auprès de la noblesse féminine poitevine (et de ses femmes en particulier) qui poussa Guillaume IX, alors poète paillard, cynique et irrespectueux et des femmes et de la religion, à changer sa façon d'écrire pour composer des poèmes d'amour :

Reto R. Bezzola : Les origines et la formation de la littérature courtoise en Occident (500-1200)

p. 296 : pour rivaliser avec l’attraction qu’exerçait sur les âmes l’amour mystique et la soumission à la « domina », que propageait Fontevrault, il eut le désir d’opposer au mysticisme ascétique de l’époque un mysticisme mondain, une élévation spirituelle de l’amour du chevalier.

p. 300 : Guillaume s’engage dans une nouvelle voie et aspire à créer un idéal d’amour courtois. Cet amour, tout en s’opposant nettement à l’amour chrétien, tout en s’inspirant sans aucun doute d’Ovide et d’autres modèles latins, peut-être aussi de souvenirs arabes d’Orient et d’Espagne, trahit l’influence de la mystique chrétienne et particulièrement de Fontevrault, celle même de la poésie d’amour des clercs, dont Guillaume redoute dans la conquête des grâces de la dame.

p. 311 : cette nouvelle conception de l’amour, cette soumission complète à la dame, érigée en arbitre de sa vie et de son salut, ne saurait être née spontanément de l’âme du premier troubadour. Guillaume IX n’est que le porte-parole général des aspirations de toute une société féodale, qui depuis cent ans s’était lentement émancipée de la tutelle de l’Eglise. Deux ou trois générations d’aisance matérielle et de paix avaient, surtout dans le Midi et le Sud-Ouest, développé un raffinement de mœurs qui n’admettaient plus ces brutalités inouïes et ces profonds repentires, caractéristiques de la génération d’un Foulque Nerra. […] Les esprits hardis, tels que Guillaume IX, se croyaient capables de trouver eux-mêmes leurs salut, sans l’aide ni la médiation des clercs, des moines, des ascètes mystiques. Et ils entraient en lice contre eux, ils engageaient le combat, non seulement sur le champ politique, mais aussi sur le champ spirituel. La femme, sur qui le clergé avait depuis toujours exercé un influence absolue, devenait l’enjeu de cette lutte.

p. 312 : Robert d’Arbrissel renchérit sur tous les clercs (Baudri, Marbode, Lavardin,…) en offrant à la femme une place plus haute encore, celle qui lui revient comme incarnation de la mère de Dieu.

p. 313 : les seigneurs d’Aquitaine, leur duc et comte en tête, s’émanciperont de la tutelle de l’Eglise en renonçant à vanter crûment leurs instincts brutaux pour chanter un sentiment d’amour plus élevé, une vénération pour la dame, non plus incarnation de l’idéal de la Vierge, mais symbole de beauté et prix suprême de courtoisie



Cette hypothèse de Bezzola a ét critiquée (comme a été critiquée l'hypothèse arabe). Mais en fait, l'erreur n'est -elle pas de croire à une seule source de l'amour courtois, alors qu'il peut très bien y en avoir plusieurs.
Guillaume, piqué au vif par le succès de Robert d'Arbrissel et des clercs qu'il déteste, aurait décidé lui aussi de chanter l'amour pour la domna, en s'inspirant, non pas des poésies latines de clercs, mais de la poésie arabo-andalouse.
Concernant la musique et la forme des poèmes, l'influence de l'abbaye Saint-Martial de Limoges est certaine. Saint-Martial était la plus grande école musicale de la région, et Guillaume en était l'abbé laïc.
(au passage, Saint-Martial connaissait la notation musicale (neumatique) bretonne)

désolé de couper net cette vision romantique et moderne de l'amour courtois. Extraits de "Féodalité" par Georges Duby :

"La maison du prince abritait une importante compagnie de chevaliers domestiques, rassemblait les garçons des vassaux venus se préparer aux armes, accueillait les amis de passage et la foule des fidèles. Tous vivaient nourris par la largesse du patron, qui entendait pourtant garder ses distances et que nul ne doutât que du corps qu’ils formaient, il était bien la tête. Le maître affirmait sa supériorité en se montrant le généraux dispensateur de la « joie ». Il divertissait sa chevalerie par les combats qu’il organisait pour elle, entre-temps par les jeux de cour. Tous ces jeux se menaient selon des règles strictes dont le respect constituait l’armature de l’éthique proprement courtoise. A leur déroulement présidait une trinité, trois personnes, trois fonctions, trois exigences morales : le seigneur, parangon de la justice et de la tempérance ; sa femme, toujours enceinte, procréant pour l’illustration du lignage, féconde, fertile, distribuant l’abondance avec mesure : la prudence était sa vertu ; l’héritier, enfin, le « jeune », cavalier projété vers les champs du tournoi ou de la bataille, affrontant les risques, moissonnant la gloire, jetant à pleines mains l’argent.
Sur ce triangle se fondait les capacités de maintenir bridée la chevalerie.
Le jeu consistait pour le prince à gouverner les ébats de la chevalerie sans qu’elle sans doute, en usant comme un leurre des deux autres personnes. Son fils entraînait les jeunes guerriers vers l’aventure, soulageant la cour de leur turbulence. Sa femme octroyait que se déploient autour d’elle les simulacres du désir. […] De l’amour que l’on dit courtois, cette joute, alternance d’attaques et d’esquives, analogue au tournoi et à ses virtuosités, la « dame », l’épouse du maître, constituait l’enjeu. Sa prudence astucieuse faisait d’elle un partenaire estimable. Car la partie devait être douteuse. Afin que les chevaliers prétendants fussent enserrés strictement dans un réseau d’obligations et de services. Par le jeu d’amour autant que par les exercices militaires, le jeune s’initiait, apprenait à contenir sa véhémence, à l’ordonner. Ainsi, sans le montrer, le seigneur menait le jeu et l’arbitrait.

le roi d’Angleterre pouvait puiser dans un abondant vivier de femmes sans époux, et dont beaucoup valaient très cher. La coutume alimentait constamment cette réserve. Elle autorisait le souverain à donner en mariage les veuves et les orphelines de ses vassaux décédés, à les distribuer judicieusement parmi les bacheliers qui s’attachaient à lui, pour prix de leur bon service. C’est par là qu’il gouvernait, qu’il tenait en bride, plus étroitement que par tout autre artifice, les hauts hommes de son royaume et les moindres. Nul en effet ne pouvait désirer cadeau plus profitable : celui-ci faisait d’un seul coup changer d’ « état », passer de la totale dépendance des cadets à la sécurité des seniores.
Ainsi, Guillaume le Maréchal, « jeune » jusqu’à 45 ans, et donc chevalier pauvre vivant sur la largesse de son suzerain, devint par son mariage avec Isabelle de Striguil le détenteur de 65 fiefs et demi.

en ce temps, le vrai pouvoir appartient aux hommes mariés. L’homme a mille fois plus de valeur que la femme, mais il n’en a presque pas s’il ne possède pas lui-même une femme, légitime, dans son lit, au cœur de sa propre maison.

le responsable de l’honneur familial, afin d’en préserver l’éclat, s’applique à contrôler plus rigoureusement la nuptialité des filles et des garçons placés sous son autorité, cédant volontiers les unes, mais n’autorisant que quelques-uns des autres à contracter mariage légitime, et cette parcimonie conduit à maintenir dans le célibat la plupart des guerriers, avivant ainsi leur rancœur et leur turbulence. Je tiens ces changements d’attitudes, qui datent de la première moitié du 11ème siècle, pour l’un des aspects majeurs de la « révolution féodale ».
Les rois, les grands princes féodaux, resserrèrent le lien d’amitié vassalique en distribuant des épouses aux plus dévoués de leurs fidèles : le mariage fut un instrument d’alliances. Il fut surtout instrument d’implantation : en prenant femme, en s’en emparant ou en la recevant de leur seigneur, quelques-uns des chevaliers réussirent à sortir de l’état domestique, quittèrent la maison d’un patron pour fonder la leur. Les documents d’époque renseignent mal sur ces phénomènes, mais on les voit se refléter 150 ans plus tard dans la mémoire que les descendants conservaient de leur plus lointain aïeul : ils se plaisaient à l’imaginer sous les traits d’un aventurier, d’un « jeune », un chevalier errant prolongeant sa quête à la manière de Lancelot ou de Gauvain, parvenant enfin à se fixer, à s’établir en épousant.

à propos des "jeunes" :
Telle est la jeunesse aristocratique dans la France du 12ème siècle : une meute lâchée par les maisons nobles pour soulager le trop-plein de leur puissance expansive, à la conquête de la gloire, du profit et de proies féminines.

A propos de l’amour que l’on dit courtois :

je réfute sans hésitation les commentateurs qui ont vu dans l’amour courtois une invention féminine. C’était un jeu d’hommes, et parmi tous les écrits qui invitèrent, il en est peu qui ne soient, en profondeur, marqués de traits parfaitement mysogines. La femme est un leurre, elle est conviée à se parer, à se refuser longtemps, à ne se donner que parcimonieusement et par concessions successives, afin que le jeune homme apprenne à se maîtriser et à dominer son corps.

De toute évidence, les héros masculins que proposaient en modèles les poètes et les narrateurs de cours furent admirés et imités dans la seconde moitié du 12ème siècle.

les textes qui nous on fait connaître les règles de l’amour courtois ont tous été composés au 12ème siècle dans des cours, sous l’œil du prince et pour répondre à son attente. Le mécénat princier a sciemment favorisé l’institution de ces liturgies profanes dont un Lancelot, dont un Gauvain montraient l’exemple. Car c’était un moyen de resserrer l’emprise de la puissance souveraine sur cette catégorie sociale, la plus utile peut-être, mais la moins docile, la chevalerie. Le code de la fine amour servait en effet les desseins du prince, de deux manières.
D’abord, il réhaussait les valeurs chevaleresques et affirmait la prééminence de la chevalerie, dont sont exclus les bourgeois et les vilains.
Au sein même de la chevalerie, le rituel de l’amour courtois coopérait au maintien de l’ordre : il aidait à maîtriser, à domestiquer, à éduquer la « jeunesse ». Mesure est l’un des mots clés de son vocabulaire.

la dame avait ainsi fonction de stimuler l’ardeur des jeunes, d’apprécier avec sagesse les vertus de chacun. Elle présidait aux rivalités permanentes et couronnait le meilleur, celui qui l’avait le mieux servie. L’amour courtois apprenait à servir, et servir était le devoir du bon vassal. De fait, ce furent les obligations vassaliques qui se trouvèrent transférées dans la gratuité du divertissement. L’apprenti, pour acquérir plus de maîtrise de lui-même, se voyait contraint par une pédagogie exigeante de s’humilier. L’exercice qu’on lui demandait était de soumission. Il était aussi de fidélité, d’oubli de soi.

En servant son épouse, c’était l’amour du prince que les jeunes voulaient gagner, s’appliquant, se pliant, se courbant. De même qu’elles étayaient la morale du mariage, les règles de la fine amour venaient renforcer les règles de la morale vassalique. Elles soutinrent ainsi en France dans la seconde moitié du 12ème siècle la renaissance de l’Etat. Discipliné par l’amour courtois, le désir masculin ne fut-il pas alors utilisé à des fins politiques ?"


Mais effectivement, les règles étaient parfois bafouées : Duby écrit que Guillaume le Maréchal fut accusé d'avoir trompé son seigneur Henri le Jeune Roi en couchant avec la femme de ce dernier.

Bernard de Ventadour aurait séduit la femme de son seigneur, le vicomte Eble de Ventadour, et il aurait été contraint à l'exil.

Et puis, la chasteté, hein....faut pas rêver non plus : les chevaliers lassés de l'attente que leur imposait la domna allaient culbuter bergères, filles de ferme et autres belles des champs.

Depuis le lien remémorant donné par André-Yves:
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