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ville d'Ys

MessagePosté: Ven 14 Jan, 2005 18:53
de DT
Bonjour,
Veuillez pardonner à un nouvel inscrit sur ce forum de donner un point de vue sur cette séquence mythique.
Je n'ai plus en tête, ou à disposition, les textes ou documents bretons qui font allusion à l'engloutissement de cette ville, ou représentation. Il semble néanmoins me souvenir qu'il s'agit d'une lutte entre le diable et un saint breton (Gwenolé ?), dans laquelle intervient la fille du roi qui se charge de récupérer la clef des écluses portée par son père autour du cou. S'étant laissée séduire, elle remet au diable la fameuse clef et permet l'inondation de la cité. Cette fille de roi peut toutefois s'enfuir, en croupe sur le cheval du saint, mais celui-ci comprenant l'origine de la catastrophe, la rejette dans les flots montants.
Ce schème m'a souvent fait penser à l'épisode de Tarpeia, aux origines de Rome. Je laisse ici la parole à G. Dumézil, La Religion Romaine Archaïque, édit. de 1987, p. 84 sqq:"Raconté de diverses manières, parfois (ce sont les plus belles; Properce...) avec la passion amoureuse pour ressort, il paraît transmis par Tite-Live sous sa forme la plus pure (I, II, 5-9). Titus Tatius, le chef des riches Sabins, par l'attrait de l'or, des bracelets et des bijoux qui brillent aux bras de ses hommes, séduit la fille du Romain chargé de garder la position essentielle du Capitole. Traîtreusement introduits dans ce point dominant, les Sabins paraissent devoir être les vainqueurs (note de G. Dumézil: sur Tarpeia, voir mon essai à la fin du recueil qui porte ce nom (1947) et ma note, Revue des Etudes Latines, 38, 1960, pp. 98-99. Le thème est certainement emprunté à la Grèce: A.H. Krappe, Rheinisches Museum für Philologie, 78, 1929, pp. 249-267)".
Pour les personnes qui ne connaissent pas cet épisode, la jeune Tarpeia avait exigé en paiement de son service ce que les hommes de Titus Tatius portaient aux bras; c'est-à-dire leurs bracelets et bijoux. Malheureusement, ils portaient surtout leur bouclier, et l'écrasèrent sous ce poids.
La suite de l'étude de G. Dumézil est très instructive sur les rapports de Romulus (représentant de la première fonction) avec Titus Tatius (représentant de la troisième fonction) ainsi qu'avec la correspondance relevée dans les textes scandinaves (lutte des Ases et des Vanes, et rôle de Gullveig: "Ivresse (ou Puissance) de l'or".
Ne sachant quel type de réponse va suivre, je me contente de donner une piste réellement comparatiste. Il me semble un peu illusoire de rechercher une preuve matérielle d'une quelconque submersion. Les Romains ont fait de leurs mythes une histoire, les Celtes ont fait de leur histoire des mythes.
Au revoir

MessagePosté: Ven 14 Jan, 2005 20:25
de Muskull
Demat DT :D
le sujet a été développé poétiquement et historiquement de nombreuses fois sur le forum, entre autres :
http://forum.arbre-celtique.com/viewtop ... sc&start=0

Bonnes lectures et interventions éventuelles... :wink:

Après relecture, ce fil est très "gouteux". :D

MessagePosté: Ven 14 Jan, 2005 20:27
de Gwalchafed
:lol: C'est un sujet très succint, qui a suscité peu de réponses... :wink:

MessagePosté: Dim 16 Jan, 2005 16:08
de DT
La ville d’Ys
Bonjour,
Je remercie tout d’abord Muskull et Gwalchafed d’avoir répondu à ma première prise de contact.
J’ai découvert votre site très récemment et maîtrise encore mal son fonctionnement. Je recherchais justement le dossier que Muskull a eu la gentillesse de m’indiquer afin d’y apporter une contribution.
Ayant parcouru rapidement ces informations, quelques données m’ont paru significatives. Muskull cite F. Le Roux et Ch.J. Guyonvarc’h ainsi que l’ouvrage qu’ils ont consacrés à ce thème. Respectant les pistes qu’ils ont ouvertes, je n’ai malheureusement jamais pu concilier ces analyses à mes propres recherches souvent plus axées sur les Gaules de l’indépendance, puis romaines. Il s’agit seulement d’une différence de perspective.
Muskull cite encore, et je suis très intéressé, Pierre de Baud, de la fin du 16e ap., dont Albert le Grand, hagiographe du 17e ap. (doit-on encore parler d’hagiographie à une date aussi tardive ?), se serait inspiré pour développer la légende autour de Dahut, du roi Gradlon, et de Gwenolé.
Ces textes, dans leur version originale, sont peut-être l’essentiel du problème soulevé.
Forme latine
En bon comparatiste, et non pas « analogiste », je citai l’épisode de Tarpeia. Cet épisode apparaît comme une séquence structurée.
1) Le rapt des Sabines :
(Commençons par citer les sources : G. Dumézil, La Religion Romaine Archaïque, édit. de 1987, pp. 82 sqq.).
« Voici au départ, avant la guerre, le signalement des deux partis qui s’opposeront :
D’un côté, Romulus : il est le fils de Mars et le protégé de Jupiter. Il vient de fonder la ville rituellement, ayant reçu les auspices et tracé le sillon sacré. Lui et ses compagnons sont de magnifiques jeunes gens, forts et vaillants. Tels sont les deux atouts de ce parti : il a les grands dieux avec lui, partiellement en lui, et il est plein de vertu guerrière. En revanche, il présente deux grosses déficiences sous le rapport de la richesse et de la fécondité : il est pauvre, et il est sans femmes.
De l’autre côté, Titus Tatius, avec ses riches Sabins. Certes, ils ne sont ni lâches ni irréligieux, bien au contraire, mais en ce point de l’histoire, ils se définissent comme riches. De plus, c’est chez eux que sont les femmes dont Romulus et ses compagnons ont besoins.
Avant donc de s’affronter, avant même de songer à s’affronter, les deux partis sont donc complémentaires. Et c’est parce qu’ils sont complémentaires que Romulus, comprenant que sa société incomplète ne peut vivre, fait enlever « les Sabines » au cours de la fête rurale de Consus. Il agit ainsi et pour avoir des femmes, et pour obliger les riches Sabins, malgré leurs répugnances, à entrer en relation avec sa bande sauvage ».
……« Denys d’Halicarnasse (2, 30, 2 et 37, 2), verbeux comme toujours, et suivant une tradition légèrement différente (non pas à deux mais à trois races, entre lesquelles sont distribués les trois atouts), exprime encore pourtant la même structure fondamentale. Pressenties par Romulus pour des alliances matrimoniales, les villes latines refusent de s’unir à ces nouveaux venus « qui ne sont ni considérables par les richesses ni célèbres par aucun exploit ». A Romulus ainsi réduit à sa qualité de fils de dieu et aux promesses de Jupiter, il ne reste qu’à s’appuyer sur des militaires professionnels, ce qu’il fait, appelant entre autres renforts Lucumo de Solonium , « homme d’action et illustre en matière de guerre ». Telle est, partout, la nervure de toute l’intrigue : le besoin, la tentation, l’intention, l’action de Romulus tendent à composer une société complète en imposant aux « riches » de s’associer aux « braves » et aux « divins » ».
(Tout cela rappelle sérieusement un fond commun, dont le Cath Maighe Tuireadh, peut être un fragment irlandais).
2) La guerre.
(Toujours selon G. Dumézil, op. cit., p. 84).
« La guerre, elle, tient en deux épisodes. Dans chacun, l’un des deux partis est presque vainqueur, mais la situation, chaque fois, se rétablit et la décision s’éloigne, lui échappe.
C’est d’abord l’épisode de Tarpeia ».
(Ici, je renvoie à ma première présentation de ce schème : c’est-à-dire, face à une invasion, une submersion, ou bien même à une masse de Fomôire, riches en nombre, Tarpeia, séduite par l’or des Sabins, offre le moyen d’investir la place haute, le Capitole, mais se trouve punie de sa corruption.
Deuxième épisode :
« Cette fois, c’est Romulus qui prend l’avantage (Liv., I, 12, 1-9). Au cours de la bataille que se livrent, dans la vallée du Forum, les compagnons de Romulus, réduits au Palatin, et les Sabins de Tatius, maîtres du Capitole, les premiers cèdent et refluent en désordre. Alors Romulus élève ses armes vers le ciel et dit : « Jupiter, c’est sur la foi de tes auspices que j’ai jeté ici sur le Palatin les premiers fondements de Rome. Ote leur frayeur aux Romains et arrête leur fuite honteuse. En ce lieu, je promets de t’élever un temple, ô Jupiter Stator, pour rappeler à la postérité que ton aide tutélaire a sauvé Rome ».
3) La fusion
…« Ainsi à l’acte de corruption, à l’achat criminel de Titus Tatius, Romulus oppose un appel au plus grand dieu, à Jupiter souverain, à celui dont les auspices ont garanti la grandeur romaine. Et, de ce dieu, il obtient une intervention mystique ou magique, immédiate, qui, contre toute attente, retourne le moral des deux armées et renverse la fortune du combat….Comment finit la guerre ? Aucune décision militaire n’est intervenue. Le demi-dieu a neutralisé le riche, le miracle du dieu céleste a équilibré la puissance de l’or et la lutte menace de s’éterniser. Alors survient la réconciliation : les femmes se jettent entre leurs pères et leurs ravisseurs. Et tout finit si bien que les Sabins décident de se fondre avec les compagnons de Romulus, leur apportant en dot, comme dit Florus, avitas opes « les ressources ancestrales ». Les deux rois, devenus collègues, instituent chacun des cultes : Romulus, du seul Jupiter ; Titus Tatius, de toute une série de dieux en rapport avec la fécondité et avec le sol, parmi lesquels figure Quirinus. Jamais plus, ni sous ce règne double ni plus tard, on n’entendra parler de dissensions entre la composante sabine et la composante latine, albaine, romuléenne de Rome. La société est complète ».
Forme scandinave
(Selon G. Dumézil, op. cit., p. 86) :
« Les Scandinaves connaissent deux peuples de dieux bien caractérisés, les Ases et les Vanes. Les Ases sont les dieux qui entourent Óðinn et Þórr (« Ásaþórr », comme il est dit parfois) ; Óðinn en particulier, leur chef, est le dieu roi-magicien, patron des chefs et des sorciers terrestres, possesseur des runes efficaces et généralement des puissances qui lui permettent une action immédiate dans tous les domaines ; Þórr, le dieu au marteau, est le grand batailleur céleste, le pourfendeur des géants, qui passe le plus clair de son temps en expéditions punitives, et qu’on invoque pour vaincre dans les combats singuliers.
Les Vanes au contraire sont les dieux de la fécondité, de la richesse et de la volupté; sur les trois principaux d’entre eux, sur Njörðr (que Tacite signale en Germanie sous la forme de la déesse Nerthus, sur Freyr, sur Freyja, sont rassemblés des mythes, des cultes significatifs à cet égard.
Snorri (Ynglingasaga, 1-2), qui les anthropomorphise au maximum, localise Ases et Vanes, voisins mais entièrement séparés, dans la région du bas « Tanaïs », près de la Mer Noire ; les uns habitent l’Ásaland ou Ásaheimr, avec Ásgarðr comme château-capitale ; les autres habitent le Vanaland ou Vanaheimr.
Deuxième temps (Snorri, Yngl., 4, début ; Völuspá, 21-24). Les Ases attaquent les Vanes et il s’ensuit, comme dit le poème, « la guerre pour la première fois dans le monde ». « Óðinn, dit Snorri, marcha avec son armée contre les Vanes ; mais ceux-ci résistèrent et défendirent leur pays ; tantôt un parti, tantôt l’autre avait la victoire ; chacun dévasta le pays de l’autre et ils se firent des dommages mutuels… »
Par le poème, haletant, allusif, nous connaissons les deux épisodes — les deux seuls — de la guerre :
1) Une sorcière du nom de Gullveig « Ivresse (ou Puissance) de l’or », évidemment issue des Vanes ou envoyée par eux, vient chez les Ases ; ceux-ci la brûlent et la rebrûle dans la salle d’Óðinn, sans réussir toutefois à la tuer : elle continue de vivre, ensorceleuse ; en particulier, elle « est toujours le plaisir de la mauvaise femme ». (note de G. Dumézil : « Mais je pense que ces deux strophes (Völuspá, 21-22) doivent être éclairées, comprises à l’aide des formes plus continues du mythe : 1° Snorri garantit que les deux partis remportent des avantages alternés, sans résultat décisif ; 2° le démarquage que Saxo Grammaticus a fait du mythe (1, 7, 1), par la statue d’or envoyée à Othinus et par la corruption que cause cet or dans le cœur de la femme d’Othinus, confirme qu’il faut donner au nom Gullveig tout son sens, et que le vers 22, 4, ne fait pas allusion à « l’inceste » des Vanes, mais à la corruption de la femme Ase par le désir de l’or. Je renvoie au ch. VII de mon livre Du mythe au roman, 1970, notamment pp. 99-105).
2) Óðinn, le grand dieu magicien, chef des Ases, décoche son épieu sur l’ennemi, faisant pour la première fois le geste magique que plusieurs textes de sagas attribuent ensuite à des chefs humains et dont ils précisent alors l’intention : il s’agit, dit dans un cas semblable l’Eyrbyggjasaga (44, 13), « de gagner magiquement le heill, la chance » ; et, dans le Styrbjarnar Þáttr Svíakappa (ch. 2 = Fornmanna Sögur, V, 250), c’est Óðinn lui même qui donne au roi de Suède Eric une tige de jonc et lui dit de la lancer au-dessus de l’armée ennemie en prononçant les mots : « Óðinn vous possède tous ! » Eric suit l’avis du dieu : dans l’air, le jonc se change en épieu et les ennemis s’enfuient, saisis d’une peur panique. C’est, si l’on peut dire, le prototype de ce geste que fait Óðinn, geste qui doit lui assurer la victoire. Il ne réussit pourtant pas, puisque la même strophe décrit ensuite une rupture de l’enceinte des Ases par les Vanes.
Troisième temps (Snorri, Yngl., 4). Lassés par cette alternance coûteuse de demi-succès, Ases et Vanes font la paix. Une paix imprévue, aussi totale que la guerre a été acharnée ; une paix par laquelle, d’abord comme otages, puis comme égaux, « nationaux », les principaux Vanes, les dieux Njörðr et Freyr, la déesse Freyja, viennent compléter à l’intérieur, par la fécondité et la richesse qu’ils représentent, la société des dieux d’Óðinn. Ils s’y incorporent si bien que, lorsque le « roi » Óðinn meurt (car, dans l’Ynglingasaga, les dieux sont des sortes de surhommes que guette malgré tout la mort), c’est Njörðr, et après lui Freyr, qui deviennent roi des Ases. Jamais plus, en aucune circonstance, il n’y aura l’ombre d’un conflit entre les Ases et les Vanes et le mot « Ases », à moins d’une précision contraire, désignera aussi bien Njörðr, Freyr et Freyja qu’Óðinn et Þórr ».
Je reprends maintenant mon approche. Dans la littérature celtique insulaire, cette fusion des dieux ou des héros est aussi présente, c’est le cas en particulier du Cath Maighe Tuireadh.
En ce qui concerne la submersion de la ville d’Ys, ne sommes nous pas en présence d’une récupération chrétienne du motif mythique ? Supposons saint Gwenolé comme une « image » de Romulus et d’Óðinn, voire de Lug, en représentant de la première fonction qui réagit à l’attaque d’une force séductrice ; celle-ci étant symboliquement exprimée sous la forme d’une submersion, d’une jeune femme corrompue et qui corrompt, dans le cadre chrétien de l’opposition entre bien et mal (ainsi « bas » et « haut » s’expliquent). Le rejet par saint Gwenolé peut encore se comprendre comme les gestes de Romulus et d’Óðinn, qui renversent la situation, vouent et soumettent les ennemis à leur magie (dans ce cas, à la force spirituelle chrétienne).
Ne disposant pas des textes cités par Muskull (Pierre de Baud et Albert le Grand), il serait intéressant d’avoir les documents les plus originaux possibles, et relever si possible toutes les séquences comparables : 1° lutte des deux parties, avec leurs caractéristiques fonctionnelles (si elles sont vaguement données) ; 2° absence de résultat dans le conflit, mais ruse de la corruption ; 3° réaction magique ou religieuse qui intègre l’invasion ou la submersion, permettant la fusion (dans le cas de Gwenolé, dans l’idéal chrétien). Donc, voir en aval et en amont du passage sur la submersion d’Ys.
Il me semble vain en tous cas de rechercher une preuve archéologique ou géographique, à partir de textes où l’idéologie est la clef.
Au revoir.

MessagePosté: Dim 16 Jan, 2005 16:55
de Muskull
Très intéressant, on y reviendra sûrement mais en attendant <ejds avait voulu recoller ton intervention sur le fil précédent pour éviter de s'éparpiller. :wink:
Qu'en penses-tu ? Tu peux rééditer ton message à la suite sur :
http://forum.arbre-celtique.com/viewtop ... sc&start=0

MessagePosté: Dim 16 Jan, 2005 18:59
de DT
Bonjour,
J’ai enfin découvert la totalité du dossier que vous avez consacré à Ys-torique.
Certaines hypothèses m’étonnent toutefois.
J’ai eu l’occasion de suivre pendant deux années les cours de L. Fleuriot, à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, IVe section.
Celui-ci distinguait, me semble-t-il, très nettement, les mots Ker et caer.
Ker supposait pour lui une racine I-E commune avec le mot latin carus (les êtres chers), et non pas une dérivation à partir de castrum.
Le Ker breton serait ainsi beaucoup plus l’expression d’un groupement familial.
Au revoir.

MessagePosté: Dim 16 Jan, 2005 19:17
de Muskull
Et tu n'as pas tout vu :shock:

http://forum.arbre-celtique.com/viewtop ... sc&start=0
Une théorie Ystorique... :D
http://forum.arbre-celtique.com/viewtop ... =7174#7174
Littérature et sources...

MessagePosté: Dim 16 Jan, 2005 20:47
de Taliesin
Ker = cher et kêr anciennement "caer" = village, lieu habité, fortifié (venant de castrum) sont deux mots différents. C'est l'accent circonflexe (et surtout la prononciation) qui font la différence.

Sans parler de "kaer" = "beau"

MessagePosté: Dim 16 Jan, 2005 21:58
de DT
Bonjour,
J’admets la leçon, puisque c’était l’objet de ma remarque.
Je ne comprends pas pourquoi dans les dossiers de ce forum sur Ys, on trouve les graphies suivantes : Kéris, Ker Ys, keris, kêr Ys…pourquoi s’agit-il forcément d’une ville, si ce n’est une ville fortifiée ?
Au revoir

MessagePosté: Jeu 27 Jan, 2005 11:59
de Joël
Bonjour,

Cher DT, je pense que ta proposition comparatiste, "légende" de la ville d'Is, rapt des sabines et affrontement des Ases et des Vanes, est bien trop forcée. La forme la plus ancienne de la "légende" ou du mythe populaire de la ville d'Is se trouve dans les lais de Marie de France, XIIe siècle, où le roi Gradlon rencontre une fée. C'est sur ce motif de la rencontre du roi avec la femme de l'autre monde qu'ont porté les recherches de Guyonvarc'h et Leroux. Les motifs de Gwenolé, ou Corentin, de la fille de Gradlon prénommée Dahud, du vol de la clé apparaissent dans les écrits du XVIe et plus particulièrement sous la plume du dominicain Albert Le Grand dans "La vie des saints de Bretagne Armorique". Les autres motifs de Malgwenn la noire, du rejet de Dahut par son père... datent de l'époque romantique et se sont très bien diffusés jusqu'à nos jours, apparaîssant au regard de nos contemporains comme la redécouverte d'un mythe originel non dégradé. Une façon très romantique de concevoir les mythes.:D

Pour ma part je penche plutôt pour la vision de Guyonvarc'h, la ville d'Is correspondrait à la ville de l'Autre Monde, endormie et/ou vivant au ralenti, présente partout en Bretagne, plus particulièrement sous la mer ou sous les lacs....

Ma proposition n'enlève rien à la valeur de ta démonstration et à sa pertinence, si ce n'est que je la trouve trop forcée dans le cas présent.

Joël

MessagePosté: Jeu 27 Jan, 2005 12:22
de Taliesin
Bonjour Joël :D

juste un petit détail, mais qui n'a que peu d'importance par rapport au sujet : le lai de Graëlent n'est pas de Marie de France, et le rapprochement Gradlon-Graëlent n'est pas assuré. Voir justement Guyonvarc'h/Le Roux, p. 109-111

Du coup, le texte le plus ancien concernant la ville dIs serait le mystère breton An buhez sant Gwenole, abat ar kentaf eus a Lantevennec, datant de 1580

MessagePosté: Jeu 27 Jan, 2005 16:13
de Joël
Merci pour la correction,

Pour ceux qui recherchent les origines "improbables" de la légende, Roger Gargadennec in "Sur la ville d'Ys", Les cahiers de l'Iroise, Brest, 15e année, 1968, n°1, cite les passage de :
- l'Anonyme de Ravenne (VIIe siècle) : texte latin que je n'ai pu traduire:(
- d' Abbon de Saint-Germain-des-Prés : "le nom de Paris viendrait de la ville d'Isia (Melun)". :?:

Comme l'évoquait Philippe Le Stum dans un documentaire, assez décevant du point de vue du scénario, vu sur TV Breizh, la légende de l'engloutissement de la ville d'Is correspondrait à un récit de transition entre deux mondes, l'antique et le chrétien ; c'est ce phénomène de transition qui serait le moteur toujours actif de rajouts à la légende contemporaine.

Si on aime la vision "pro-païenne" des dessinateurs Auclair et Deschamps, il faut ne pas omettre la réponse du père Marc Simon, bibliothécaire à Landévennec : "Petra 'son nevez e Ker Is ?", Chronique de Landévennec, janvier 1988, p. 17-23. Il y fustige le ton "blasphématoire" du scénario. :wink:

Joël

MessagePosté: Jeu 27 Jan, 2005 16:48
de lopi
la légende de l'engloutissement de la ville d'Is correspondrait à un récit de transition entre deux mondes, l'antique et le chrétien ; c'est ce phénomène de transition qui serait le moteur toujours actif de rajouts à la légende contemporaine.


Les mythes viennent baliser les grands changements. Le mythe d'Etana en Mésopotamie ('"civilisatios des Oasis") vient souligner l'"abandon" du matriarcat pour une société patriarcale.
Le mythe d'Ys peut tout à fait reposer sur une telle problématique.

MessagePosté: Jeu 27 Jan, 2005 19:48
de Joël
Pour revenir sur l'hypothèse des origines de la légende, nous sommes d'accord pour y voir un mythe de transition ou de fusion culturelle... plongeant ses racines dans la mythologie celtique; cette vision, perception ou analyse n'est malheureusement pas partagé par la plupart de nos contemporains qui ressortent l'épisode biblique de Sodome et Gomorrhe comme explication de l'improbable engloutissement physique d'un faubourg de Douarnenez; ceci est la plus brillante expression de l'influence des mythes sémitiques de l'Ancien Testament dans notre culture contemporaine qui se dit laïque et donc dégagée de l'influence de la mythologie chrétienne :wink: . Les mythes anciens, celtique et sémitique pour notre exemple, se côtoient et fusionnent ne laissant que peu de traces de leur constitution ancienne.

La parole est vivante et ne veut pas mourir sur une feuille de papier comme le revendiquaient, nous dit-on, les druides. Peut-on prétendre à reconstituer le mythe oral ancien, à défaut du mythe originel, de Ker-Is ? Hum Hum. On constate qu'il vit toujours et continue à se transformer ; les nombreuses fioritures ajoutées par les romantiques au XIXe disparaissent de la mémoire collective (j'ai pas dit des livres), le mythe s'épurerait de lui même en revenant à sa structure, fondamentale(?) : Dahut vole les clés des écluses de la ville à son père le roi, seul ce dernier arrive à s'échapper avec l'autorité religieuse (Gwenolé ou Corentin selon les versions) de l'engloutissement de la ville par les flots.

On pourrait donc avancer l'hypothèse que la tradition orale contemporaine de la Ker-Is se recentre sur la trilogie pouvoir féminin/pouvoir royal masculin/pouvoir religieux masculin ; ce qui nous ramène au mythe celtique de l'autre monde, ou le roi rencontre une femme du Sid et seul le druide sauve le roi de l'influence de cette "fée" de l'Autre monde. :shock:

Joël

MessagePosté: Jeu 27 Jan, 2005 20:07
de lopi
La transgression des lois (celles du temporel et du spirituel) provoque la rupture de "l'harmonie des éléments" ou "de la cohésion du monde".... donc catastrophe. C'est la conception de la royauté celtique ou l'histoire de l'or de Toulouse!
Le pouvoir féminin est incarné par la femme de l'Autre Monde, qui attire les hommes vers le Sid. Mais la structure sociale (royale et religieuse) préserve l'homme de ce genre de catastrophe!
Que du celtique, la société protège ces administrés!