Les mystères insondables, dignes de la ville d’Ys, de l’évolution maritimo-commerciale et de l’écheveau des grands axes de navigation mer/fleuves sur la façade Atlantique ont de quoi nous laisser perplexes.
Ainsi Burdigala ou l’impitoyable, mais belle histoire à l’envers, – en clin d’œil et en deux volets – d’une ville portuaire gauloise, d’avant l’époque romaine, et qui aurait eu de quoi, de prime abord, et donc a priori, s’enorgueillir de découvertes fracassantes.
Pourtant, plouf dans l’eau !!!
Bordeaux - L'histoire
Bordeaux, l'autre capitale
Toute ville a son mystère, son secret intime. Bordeaux le conserve, rive gauche, dans une sorte d'obstination gasconne à ne pas se déployer au nord. Fière et frondeuse, Bordeaux la Girondine saura ne jamais se soumettre à ses envahisseurs et maîtres successifs. L'opulence de la cité marchande n'aura pas peu contribué à garantir cette belle indépendance de cœur et d'esprit.
Gérard Guicheteau
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© le point 25/04/03
Au commencement du monde, il y avait les Graves, deux ou trois basses collines d'alluvions et de cailloux en pente douce, un espace que cernaient les forêts et que ravinaient deux courtes rivières et l'eau échappée des fonts. Rive droite, sur des falaises de calcaires et de mollasses creusées de grottes, au-delà d'un marécage recouvert et découvert selon les marées, de petits hommes se chauffaient au soleil entre deux chasses à l'auroch ou à l'ours. Bordeaux n'était encore que « ça » : une plage de graves inclinée vers la Garonne et deux criques perpendiculaires au fleuve, les embouchures de la Devèze et du Peugue.
Cependant, la véritable nouveauté historique allait être l'entrée en scène d'une grosse barque remontant cette fois le courant, portée par le flux de la marée comme une branche morte, voile affalée. La barque arrivait, disait-on, des terres boréales qui, au-delà du fleuve Océan, fournissent le fer et l'airain, le plomb et l'étain, l'or et l'argent, les pierres précieuses et l'ambre. Elle inaugurait la voie la plus courte entre l'Atlantique et la Méditerranée. Il ne serait plus nécessaire de contourner la péninsule des Ibères ou de longer l'Afrique. Des échanges commençaient entre ce que les marins aventureux allaient chercher au Nord, au milieu des glaces, des brumes et des rochers déchirants, dans ces « îles » que Strabon décrivit, et ce qui venait de la Grande Grèce ou de la Phénicie.
Les premiers habitants des Graves allaient se tenir cois jusqu'à ce que survînt du cœur de la Gaule, de l'intérieur de la boucle d'un autre grand fleuve, la Loire, un peuple gaulois indépendant d'esprit et de mœurs, les Bituriges - les Vivisques (vibisci) comme ils se nommaient pour se distinguer des Berrichons, les Bituriges cubi. Burdigala était fondée sous ce nom ; elle allait s'agrandir et devenir un emporion (un comptoir) majeur.
Burdigala, castrum et comptoir
Ainsi, la ville se fit par le commerce, uniquement par le commerce. On peut même dire qu'elle en était l'essence, comme le seront avec elle, mais plus tard, Londres, Venise, Anvers ou Lübeck. Et commerce veut dire échanges, ouverture, voyages, idées larges sur le large. Pour vendre, pour acheter, il fallait aller loin et imaginer. Sur place, le profit eût été maigre. Pour la bonne raison que Burdigala s'édifiait au centre d'un désert de « landes ». Et que le « bassin de population » n'était pas assez important pour épuiser les stocks. Mais les Bituriges, gens avisés, étaient là pour être des marchands, des entrepreneurs de croisières, et non pour faire les marins. À cette tâche, ils allaient employer de rudes spécialistes qui avaient fait leurs preuves : des Basques, des Ibères, des Santones, des Bretons.
Quand les légions romaines « pacifieront » la Gaule, les Bituriges vibisci accepteront volontiers les vainqueurs, car l'ordre favorise le commerce. Ils ne se fourvoieront pas avec les guerriers « chevelus » de Vercingétorix. S'ils se montrèrent à Rome pour le triomphe, à la suite de Jules César et de Publius Crassus, chef des légions conquérantes, ce fut à titre de marchands, pas de vaincus. Plus tard, Bordeaux deviendra une des capitales de la province d'Aquitaine qui s'étendait de la Loire aux Pyrénées. Mais elle s'installera uniquement sur la rive gauche. Ville ouverte, d'abord, puis « ville carrée », ceinte de murailles, au carrefour des routes venant ou conduisant au Médoc, aux ports de l'Adour et aux villes gallo-romaines de Marmande, Agen, Montauban, Toulouse. Le Nord s'arrêtait rive droite, face au forum. La batellerie régnait.
La paix romaine, qui dura quatre cents ans, a légué à la cité l'ordonnancement de sa partie centrale, des reliefs de constructions et des noms de rue tels que « Piliers de Tutelle » ou « Ausone ». La première appellation perpétue le souvenir d'un temple à la divinité tutela (tutélaire), protectrice de Bordeaux ; la seconde célèbre l'écrivain latin bordelais Decimus Magnus Ausonus, Ausone (310-385), fils de Jules, qui fut précepteur de l'empereur Gratien, puis préfet des Gaules, consul et propriétaire de vignobles. Le principal dieu romain de Burdigala, nul ne s'en étonnera, fut et resta Mercure. Comme se plaît à le souligner Camille Julian (un Marseillais, historien de Bordeaux et grand spécialiste de la Gaule, contemporain d'Ernest Lavisse) : « Il n'y a pas de dieu dont on trouve ici plus de statues... » Jupiter, alias Jovis en latin, n'a droit qu'au souvenir d'un temple, par la rue et la Porte Dijeaux. Bacchus, plutôt que Dionysos, demeure présent par une autre sorte de don, la vigne et le cépage biturica.
© le point 25/04/03 - N°1597 - Page 216
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e. I/II