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MessagePosté: Ven 27 Jan, 2006 16:58
de Taliesin
Mat an traoù ganeoc'h ? :D

sinon, j'ai un autre sujet de débat, peut-être moins houleux, qui sait...(et pis, la spiritualité, ça m'ennuie, je préfère les spiritueux :lol: ) :

- vu qu'on retrouve dans l'art et la littérature médiéval (et je préciserais même "féodal" c'est-à-dire 11ème-13ème siècle environ) des thèmes mythiques et des motifs celtiques antiques, peut-on considérer qu'il y a filiation, continuité, résurgence, influence extérieure irlando-brittone ?
- est-ce que ces motifs artistiques et ces thèmes mythiques ont été compris et employés exactement suivant leur valeur et leur signification originelle, ou bien ont-ils été interprétés et adaptés aux valeurs et idéologies de la société médiévale/féodale ?

MessagePosté: Ven 27 Jan, 2006 17:35
de Muskull
- est-ce que ces motifs artistiques et ces thèmes mythiques ont été compris et employés exactement suivant leur valeur et leur signification originelle, ou bien ont-ils été interprétés et adaptés aux valeurs et idéologies de la société médiévale/féodale ?

Je pencherais plutôt pour cette option Tal. L'ancienne société celtique tenait pour très importante la "magie" ou le "sentiment magique" dans l'évènementiel, la stabilité du monde "liée" par des rites et des pratiques magico-religieuses. Dans la société féodale ce sentiment est devenu plus abstrait, la magie est devenue le "merveilleux" qui surgissait sur le chemin d'aventure et plus rarement dans l'ordre social. L'alléatoire du monde était du au péché et non plus à la stricte conformité aux rites. La différence est de taille, surtout pour les "élites".

Beaucoup de représentations de l'art celtique ancien sont des liens avec l'autre monde, des rappels, parfois des protections contre le "mauvais oeil" ou le mauvais vent de Mai Pas vraiment des "gri-gris" comme dans les sociétés où la superstition prime sur la religion mais des "rappels" à la juste orientation des actes et de la pensée. Celà existe dans d'autres sociétés traditionnelles. En fait chaque élément de représentation fait partie d'un corpus global qui définit (si on savait les lire) les pratiques et les croyances de ces peuples créateurs de formes.

MessagePosté: Ven 27 Jan, 2006 18:22
de Professeur Cornelius
C'est le propre des mythes, comme de tous les symboles, d'être sans cesse interprétés, réinterprétés, réréinterprétés, adaptés dans leur formulation en fonction de leur nouveau sens "officiel".
Les mythes celtiques parvenus jusqu'au moyen âge féodal ont évidemment subi cette réinterprétation, qui n'est pas illégitime selon le point de vue spirituel, puisque les symboles offrent une infinité de sens qui ne s'excluent pas, même s'ils peuvent sembler se contredire en apparence.

Sinon, j'aime bien les spiritueux aussi. :111:

MessagePosté: Ven 27 Jan, 2006 19:03
de Taliesin
En fait, si j'arrive à peu près à cerner les causes de l'engouement de l'aristocratie féodale pour les thèmes celtiques contenus dans la Matière de Bretagne, j'avoue ma totale ignorance en ce qui concerne la présence de motifs décoratifs celtiques dans l'art roman.

à propos de la littérature (écrite ou orale), il faut aussi faire la part entre ce qui se rapporte plus ou moins directement à cette Matière de Bretagne (= originaire des îles britanniques et de Bretagne armoricaine) et tout un folklore lié au merveilleux qui apparaît dans les écrits de l'époque, et qui n'est pas forcément issu d'Irlande ou de Brittonie (Gervais de Tilbury recueille des mirabilia en Dauphiné fin 12ème-début 13ème siècle), mais qui constitue plutôt un fond pré-chrétien maintenu par la culture populaire paysanne.
Là, on peut se poser une autre question : dans quel état ce fond païen se trouvait-il au moyen-âge, et peut-il y avoir transmission orale sans déperditions de forme et de sens ?
Finalement, ces thèmes "folkloriques" sont passés par différents statuts sociaux : communs à toute la société celtique antique, mais peut-être mieux compris, définis et exploités par les classes sacerdotales et guerrières, ils semblent se conserver uniquement parmi la classe productrice après la disparition ou la mise à l'écart de la classe sacerdotale (les druides deviennent des sorciers, les bardes conservent un statut élevé à l'extrême ouest) et après l'adhésion de la classe aristocratique aux valeurs du nouveau pouvoir. A moduler toutefois, car adhésion politique ne signifie pas forcément adhésion religieuse totale, ni à la religion romaine, ni au christianisme. Il a du exister un certain syncrétisme (avéré en Irlande et en Brittonie).
Et paf, aux 11ème et 12ème siècles, de concert avec la montée du féodalisme, ces thèmes ressurgissent, empruntés aux paysans, et tiens, j'en profite pour citer à nouveau l'historien forgeron :

"j'interprète la renaissance de la littérature profane au 11ème-12ème siècles comme le produit du désir de la petite et moyenne aristocratie des milites de se créer une culture relativement indépendante de la culture cléricale dont s'étaient fort bien accomodés les proceres laïcs carolingiens [...] Cette nouvelle culture féodale, laïque, a largement emprunté à la culture folklorique sous-jacente parce que celle-ci était la seule de rechange que les seigneurs pouvaient sinon opposer, du moins imposer à côté de la culture cléricale. [...] Certes, la culture cléricale parviendra aisément et rapidement à un compromis, à une christianisation de cette culture seigneuriale laïque à fond folklorique."

à propos de l'art, il semble difficile de croire à une influence unique venue d'Irlande ou des Brittons (même si l'art laténien est bien présent dans l'art médiéval irlandais et si les moines irlandais ont parcouru l'Europe aux temps mérovingiens et carolingiens). Il serait intéressant de vérifier si des motifs celtiques apparaissent déjà dans l'architecture religieuse (ou autres) avant la période féodale. Si oui, sont-ils liés à une influence des moines irlandais ou à autre chose ? Sinon, on aurait bien une convergence artistique et littéraire sur une période assez courte correspondant à l'apparition d'une nouvelle classe dirigeante qui se créé sa propre culture. Troisième point à relier aux deux premiers : l'apparition d'une littérature en langue vernaculaire, au détriment du latin.

Pour les motifs celtiques dans l'art roman, ça m'intéresserait de savoir qui fait (comment s'organisent les artisans, comment sont-ils formés, quel est leur statut ?), qui décide de la déco (qui est maître d'oeuvre ?) et qui paye (l'évêque, le seigneur, les deux ?), comment se sont diffusés ces motifs (date d'apparition, localisation...) et quels sont-ils (y a t-il des "constantes",...)

Bon, si j'arrêtais de poser des questions cinq minutes ?

MessagePosté: Ven 27 Jan, 2006 19:19
de Muskull
Mais seulement 5 minutes, hein ? :D
Demain, le temps de mettre mes idées en place. :wink:

MessagePosté: Ven 27 Jan, 2006 23:00
de OrbiiX
Tectosage a écrit:Bonjour,
Oui Taliesin, intéressant ces citations de J. Le Goff.
Quant à la question initiale de "Orbiix": < Quelle est la valeur spirituelle de l'art celtique ?>
On en revient toujours à l'interrogation : qu'est-ce que la spiritualité ?

Well, je n'ai manifestement pas été compris :? ... Ma question ne concerne pas tant la spiritualité que la représentation que les anciennes sociétés celtiques pouvaient avoir d'elles-même. L'art classique gréco-romain nous renvoi l'image d'un certain rapport au monde, où l'on sent la volonté de dompter l'ordre naturel. D'une certaine façon l'art baroque en est une résurgence. Mais l'art celtique de Hallsttat à La Tène est tellement autre, il paraît être le reflet de conceptions tellement différentes de celles du monde méditérranéen... Mais bon, vos différentes interventions à tous éclairent suffisamment ma lanterne pour le moment. Merci pour les liens et les réf. biblio :wink: !

MessagePosté: Sam 28 Jan, 2006 11:28
de Muskull
Petite invitation à aller se promener sur Aremorica où il y a beaucoup d'infos intéressantes sur l'art celtique :
http://www.gaulois.org/forum-aremorica2 ... um.php?f=2
:wink:

MessagePosté: Dim 29 Jan, 2006 13:04
de Sedullos
Salut, je reviens sur la question du pseudo-langage en apportant une correction, citer de mémoire présente des inconvénients.

Voici la dernière phrase de l'article "Image et langage" d'André Rapin, paru dans Les druides, Hors-série n°2 de L'archéologue, 2000.

"Il reste que l'imagerie des Celtes constitue un véritable pseudo-langage qui pourrait bien être l'écriture sacrée des druides."

On ne peut guère être plus direct et mes précautions oratoires comme quoi il laissait entendre ... étaient inutiles. André Rapin attribue clairement l'imagerie des Celtes aux druides.

MessagePosté: Dim 29 Jan, 2006 14:24
de Tectosage
Sedullos a écrit:Salut, je reviens sur la question du pseudo-langage en apportant une correction, citer de mémoire présente des inconvénients.

Voici la dernière phrase de l'article "Image et langage" d'André Rapin, paru dans Les druides, Hors-série n°2 de L'archéologue, 2000.

"Il reste que l'imagerie des Celtes constitue un véritable pseudo-langage qui pourrait bien être l'écriture sacrée des druides."

On ne peut guère être plus direct et mes précautions oratoires comme quoi il laissait entendre ... étaient inutiles. André Rapin attribue clairement l'imagerie des Celtes aux druides.


Bonjour Sedullos,
Je ne connais pas A. Rapin. Son affirmation, tout de même très forte :
"Il reste que l'imagerie des Celtes constitue un véritable pseudo-langage qui pourrait bien être l'écriture sacrée des druides."
te paraît-telle suffisament argumentée ?
"pseudo-langage" c'est vrai pour tout l'art, y a-t-il quelque chose de plus chez les Celtes ? J'en doute.
"Une écriture" c'est vrai pour tout l'art.
"l'écriture sacrée des druides" L'art une écriture réservée à la classe sacerdotale ! Là vraiment ça paraît bizarre et pas trop sérieux.
P't-être bien que ce monsieur Rapin est une notabilité chez les celtophiles ? Tant pis...

Bien cordialement
Tecto naïf

MessagePosté: Dim 29 Jan, 2006 16:20
de Professeur Cornelius
Je pense que tout le problème de compréhension vient de la définition du druide. On a naturellement tendance à voir dans le druide une sorte de prêtre catholique d'avant le christianisme : faiseur de messes païennes et de sacrifices, un point c'est tout. Or, on sait bien (mais l'a-t-on vraiment compris ?) que le druide est bien plus que cela : c'est le détenteur du savoir, de tous les savoirs : savoir architectural, médical, juridique, historique, généalogique, religieux, etc. Dans ces conditions, il est évident que l'art relève du savoir druidique.

MessagePosté: Dim 29 Jan, 2006 16:47
de Muskull
Je suis d'accord mais il faudrait aussi ajouter "notable", homme de loi voire parfois "aristocrate".
Un léger bémol tout de même, pas toutes les formes d'art. Les figurations monétaires c'est sûr, elles étaient frappées ou coulées dans les sanctuaires, les objets cultuels et de prestige aussi, les artisans travaillaient sur commande et souvent aussi à proximité des sanctuaires dans les oppida.
Mais il devait aussi exister une forme d'art populaire que l'on retrouve par exemple dans les ex-votos qui échappaient parfois aux canons définis par le sacerdoce. Certains obéissent à des normes plus archaïques.

MessagePosté: Dim 29 Jan, 2006 16:55
de Professeur Cornelius
Oui, c'est sans doute vrai. La fabrication d'objets usuels également ne pouvait être le fait des druides, mais dans une société aussi "traditionnelle" et "tournée vers les choses sacrées" que la civilisation celtique, même les objets usuels ont un sens sacré (voir les outils de la construction, par exemple). Il est probable que les décorations et la forme des objets obéissaient à certains canons issus de la classe sacerdotale. Cependant, je suis d'accord, il a dû exister, même au temps du "druidisme", une religiosité populaire en partie héritée de l'avant-druidisme.

MessagePosté: Dim 29 Jan, 2006 17:16
de Pierre
Professeur Cornelius a écrit:Cependant, je suis d'accord, il a dû exister, même au temps du "druidisme", une religiosité populaire en partie héritée de l'avant-druidisme.


Avant et après, et pourquoi pas pendant ? En quoi les Celtes auraient été aussi parfait :shock:

D'accord avec Tecto. Que la religion influence l'art celtique me semble évident, mais de la à dire que l'art est le fait des druides :shock:


L’homogénéité de l’art, de l’artisanat et de l’habitat fait supposer des échanges continus, facilités par une langue commune.

Source : http://www.cndp.fr/revueTDC/670-40554.htm



@+Pierre

MessagePosté: Dim 29 Jan, 2006 17:52
de Muskull
http://www.cndp.fr/revueTDC/670-40554.htm

L'analyse est intéressante, merci :wink:

MessagePosté: Dim 29 Jan, 2006 18:17
de Professeur Cornelius
Pierre a écrit:
Professeur Cornelius a écrit:Cependant, je suis d'accord, il a dû exister, même au temps du "druidisme", une religiosité populaire en partie héritée de l'avant-druidisme.


Avant et après, et pourquoi pas pendant ? En quoi les Celtes auraient été aussi parfait :shock:


Je ne comprends pas ta remarque, Pierre. Pendant quoi ? Et qui parle de perfection ?