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Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Mar 15 Déc, 2009 14:41
de André-Yves Bourgès
Bonjour,

Il est toujours un peu présomptueux de dire qu'une question historique pour laquelle les sources sont pratiquement inexistantes est entendue et réglée ; mais c'est un mode de communication qui désormais semble avoir la faveur du public. :evil:

Ceci étant, dans la version de la vita moyenne de saint Tugdual conservée par le vieux bréviaire de Saint-Brieuc, la référence à la Lexoviensis urbs, située en Neustrie (Lexoviensem urbem in pago Neustriae sitam revisit ac postea ad prefatam ecclesiam venire festinavit in qua Domino fideliter ministravi), renvoie indiscutablement à Lisieux ; et il n’est d'ailleurs nullement question d’un siège épiscopal déjà établi en Trégor, que Tugdual aurait rallié. En outre, contrairement à ce qu’en disait A. de la Borderie (1), le sens de revisit, dans le texte du vieux bréviaire briochin, se comprend d’autant mieux qu’il faut le traduire par « il rend visite » et non par « il va revoir » : il faut donc simplement comprendre que Tugdual, sur le chemin de son retour de Paris vers Tréguier, s’est détourné par Lisieux. Ainsi cette version rend-elle compte de plusieurs traditions distinctes que l’hagiographe a juxtaposées. Sans doute, une de ces traditions présentait-elle Tugdual comme un saint personnage honoré à Lisieux, où il aurait été inhumé (2) : c’est pourquoi l’auteur de la vita moyenne a cru bon de répondre explicitement aux objections de ceux qui in civitate Lexoviensi eum obiisse dicebant(3). A. de la Borderie pensait qu’il s’agissait d’une nouvelle interpolation du texte original de la vita (4) ; alors que la précision donnée par l’hagiographe est au contraire la confirmation de ce que la civitas Lexoviensis à laquelle il fait allusion est évidemment différente de l’évêché de Tréguier et ne peut pas non plus être le supposé *Lexovium (le Yaudet) qui lui aussi appartient incontestablement au territoire diocésain.

Sans doute y avait-il eu au moins deux saints Tugdual ; mais raconter l’existence de chacun d’eux comme s’il s’agissait des épisodes de la vie d’un seul et même personnage permettait effectivement à l’hagiographe d’utiliser les anecdotes qui avaient cours à Lisieux. Ainsi lui était-il possible de donner plus de relief à la geste du saint que la tradition bretonne disait avoir fondé le « grand monastère » de Tréguier et dont les antécédents sont d’ailleurs plutôt à rechercher du côté de la Cornouaille (5). En tout cas, et il me faut ici infléchir quelque peu les conclusions auxquelles j'étais précédemment arrivé (6), il n’est nullement certain que l’auteur de la vita moyenne, même et surtout s’il s’agissait de l’évêque Martin comme le suggère H. Guillotel (7), ait cherché à capter au profit de Tréguier le lustre attaché à la carrière d’un prélat qui aurait occupé le siège épiscopal d’une ancienne civitas. D’une part, en effet, l’évêque Martin avait choisi, quant à lui, de s’intituler « évêque des Osismes » (episcopus Auximorum) (8) : s’il convient de reconnaître en lui l’hagiographe, ce choix, qui le mettait en compétition avec les évêques de Léon, montre à l’évidence qu’il n’était pas question pour lui d’une « récupération » directe de l’épiscopat de Tugdual à Lisieux, auquel cas il eût fait évidemment référence dans sa propre titulature à la civitas Lexoviensis. D’autre part, il n’est nullement avéré que le saint Tugdual qui était peut-être honoré à l’époque à Lisieux eût occupé le siège épiscopal du lieu, ni même qu’il eût jamais été évêque : d’ailleurs l’auteur de la vita moyenne fait montre sur toutes ces questions d’une discrétion remarquable.
____________________________________________________________________________
(1) A. de La Borderie, « Saint Tudual. Texte des trois Vies les plus anciennes de ce saint et de son très ancien office publié avec notes et commentaire historique », dans Mémoires de la Société archéologique des Côtes-du-Nord, 2e série, t. 2 (1886-1887), p. 339-340.
(2) Rien n’indique expressément que le personnage en question fût connu en qualité d’évêque du lieu et son nom ne figure pas dans la liste des prélats ayant siégé à Lisieux ; mais Mgr L. Duchesne, dans ses Fastes épiscopaux de l’ancienne Gaule, t. 2, Paris, 2e éd., 1910, souligne (p. 235) que « de tous les catalogues normands, celui de Lisieux est le plus incomplet ».
(3) A. de La Borderie « Saint Tudual », p. 91, § 12.
(4) A. de La Borderie « Saint Tudual », p. 340-341.
(5) B. Tanguy, « Hagionomastique et histoire : Pabu Tugdual alias Tudi et les origines du diocèse de Cornouaille », dans Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 115 (1986), p. 117-132. Là encore il faut sans doute distinguer deux homonymes.
(6) A.-Y. Bourgès, « L’expansion territoriale des vicomtes de Léon à l’époque féodale », dans Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 126 (1997), p. 362 et n. 36.
(7) H. Guillotel, «Le dossier hagiographique de l'érection du siège de Tréguier», dans Mélanges Léon Fleuriot, Saint-Brieuc-Rennes, 1992, p. 220.
(8) Ibidem, p. 217.


André-Yves Bourgès
http://www.hagio-historiographie-medievale.org

PS : je me réjouis de revoir Agraes sur le forum :D

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Mar 15 Déc, 2009 15:23
de Patrice
Salut,

Je renverrai à ma communication au Cirdomoc lorsqu'elle sera parue. Sur ce point, Andre-Yves et moi sommes partiellement d'accord sur certains aspects et en désaccord sur d'autres. Cependant, je n'ai pas la prétention de dire que la question est réglée.
Les documents sur lesquels nous travaillons sont bien trop suspects pour être sûr de quoi que ce soit, d'autant plus que ceux de la partie lexovienne sont inexistants (vraisemblablement détruit lors des invasions scandinaves, Lisieux étant un no-man's land hagiographique).

Pour ma part, juste pour résumé, je pense que Tudual a vraisemblablement été évêque de Lisieux et qu'il est identique au Theudobaldus (Theudobaudis, etc.) mentionné dans les conciles mérovingiens contemporains. Mais cela ne l'empêche pas d'avoir eu une activité important en Petite Bretagne, évidemment. Tout comme son contemporain Samson, lui même aussi installé en Neustrie.

A+

Patrice

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Mar 15 Déc, 2009 18:30
de Muskull
Bonjour,
Je passe pour signaler que St. Tugdual avait une 'certaine réputation' dans mon coin de Basse-Bretagne sur la paroisse de Plouhinec (29 sud) car une chapelle et une source et quelques effigies lui sont dédiés.
Un disciple sans doute venu en missionnaire chez les "barbares du Cap Zizun" ;-)

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Mar 15 Déc, 2009 19:02
de André-Yves Bourgès
Muskull a écrit:Bonjour,
Je passe pour signaler que St. Tugdual avait une 'certaine réputation' dans mon coin de Basse-Bretagne sur la paroisse de Plouhinec (29 sud) car une chapelle et une source et quelques effigies lui sont dédiés.
Un disciple sans doute venu en missionnaire chez les "barbares du Cap Zizun" ;-)


Réputation qui "remonte" en fait à un possible homonyme, comme je l'ai indiqué dans mon précédent message : pour les Cornouaillais des XIe-XIIe siècles, l’histoire des origines de leur patrie était associée aux noms glorieux du roi Gradlon et de trois grands chefs religieux : Corentin, fondateur et premier titulaire du siège épiscopal, Guénolé, fondateur et premier abbé de Landévennec, et enfin Tudi ; la lignée comtale se présentait comme issue de Gradlon, l’évêque de Quimper, l’abbé de Landévennec et l’abbé (laïque) de Saint-Tudi se revendiquaient comme les héritiers respectifs des trois saints. Comme l’atteste la vita de saint Guénolé, composée par Uurdisten vers les années 870, il est patent que cette identité cornouaillaise, dans sa double dimension religieuse et politique, avait été construite à l’abbaye de Landévennec, en empruntant à des traditions hagio-historiographiques plus anciennes, comme celle qui concerne le prototype de saint Tudi, Tugdual, présenté par Uurdisten comme un simple moine et dont l’hagiographe dit explicitement qu’il avait précédé Gradlon, Corentin et Guénolé et ne pouvait être compté pour moins qu’eux (Jamque tamen ternos precesserat ordine sanctus/Eximius istos Tutgualus nomine, clarus/Cum meritis monachus, multorum exemplar habendus).
Au delà d’un texte littéraire traitant sur le mode mythique des origines cornouaillaises, cette « quaternité » correspondait effectivement à l’organisation politique et religieuse de la région comme l’atteste en 955 un acte donné en faveur de Landévennec : cet acte, dont l’authenticité est assurée bien que sa collation dans le cartulaire de l’abbaye soit fautive, mentionne successivement « parmi de nombreux témoins cornouaillais très nobles », le comte de Cornouaille, l’évêque de Saint-Corentin, c’est-à-dire de Quimper, l’abbé de Saint-Guénolé, c’est-à-dire de Landévennec, et enfin l’abbé de Saint-Tugdual (Coram multis testibus cornubiensibus nobilissimis, Uurmaelon comes [sic] Cornubiae, Huaruuethen episcopo Sancti Chorentini, Benedicto abbate Sancti Uuingualoei, *Uuroet abbate Sancti Tutguali).

André-Yves Bourgès
http://www.hagio-historiographie-medievale.org

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Mar 15 Déc, 2009 19:16
de André-Yves Bourgès
Patrice a écrit:Pour ma part, juste pour résumé, je pense que Tudual a vraisemblablement été évêque de Lisieux et qu'il est identique au Theudobaldus (Theudobaudis, etc.) mentionné dans les conciles mérovingiens contemporains. Mais cela ne l'empêche pas d'avoir eu une activité important en Petite Bretagne, évidemment. Tout comme son contemporain Samson, lui même aussi installé en Neustrie.


L'excellente communication que Patrice a présentée lors du dernier colloque du CIRDoMoC ne m'a pas entièrement convaincu, même si je partage plusieurs des opinions exprimées à cette occasion ; mais la vita moyenne de saint Tugdual, tout en confirmant l'existence de traditions sur le séjour et la mort d'un certain Tugdual à Lisieux, montre que dès cette époque ces traditions étaient confuses, ce dont a largement profité l'hagiographe. Impossible de conclure, du moins de manière définitive ( :mrgreen: ) que nous avons affaire à un seul et même personnage, problématique identique à celle que nous pose l'éventuelle existence d'un Tugdual "cornouaillais", et que ce Tugdual de Lisieux a bien occupé le siège épiscopal du lieu.

André-Yves Bourgès
http://www.hagio-historiographie-medievale.org

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Mar 15 Déc, 2009 21:09
de André-Yves Bourgès
André-Yves Bourgès a écrit:... le sens de revisit, dans le texte du vieux bréviaire briochin, se comprend d’autant mieux qu’il faut le traduire par « il rend visite » et non par « il va revoir » : il faut donc simplement comprendre que Tugdual, sur le chemin de son retour de Paris vers Tréguier, s’est détourné par Lisieux.


Un bémol :oops: : revisere est plutôt attesté au Moyen Âge central à la forme pronominale se revisere "se rendre visite" (voir par exemple chez Bernard de Clairvaux) ; pour signifier "aller revoir", "visiter en retour", les auteurs médiévaux utilisent revisitare (cf. A. Blaise, Lexicon latinitatis Medii Aevii). Bref, l'argument philologique a donc moins de pertinence, sans être complètement disqualifié : cela d'ailleurs ne change rien à la question de fond.

AYB

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Mar 15 Déc, 2009 23:56
de André-Yves Bourgès
Bonsoir,

Retour au Yaudet : si le *Lexovium local est une fable, cela n'infirme nullement l'existence sur place d’une structure "urbaine" très ancienne que les Trégorois ont très tôt appelée Vetus civitas en latin, « La vieille cité » en français, Cosqueaudet en breton. Le problème se réduit désormais à une équation simple : dépouillé de la légende de l’apostolicité dont l’avait affublé, dès avant la fin du XVe siècle, l’auteur d’un catalogue des prétendus évêques du lieu, le site n'en présente pas moins un intérêt archéologique de premier ordre. Dès lors, faut-il effectivement y reconnaître, non seulement une place forte gauloise, utilisée en fait tout au long de l'Empire jusqu'au Moyen Âge et qui avait elle même succédé à des établissements successifs depuis la Préhistoire, mais encore un important centre militaire, politique et religieux, désaffecté longtemps avant l’époque de composition de la vita longue de saint Tugdual ?

Une première description du site du Yaudet figure dans la vita de saint Efflam. L’hagiographe — qu’il faut peut-être identifier avec l’évêque de Tréguier, Hugues, dont un acte de 1086 nous indique qu’il était largement possessionné dans la paroisse de Plestin, chef-lieu du culte de saint Efflam — décrit avec un certain luxe de détails le barrage situé sub civitate quae est supra Leguer. Ce barrage, qui avait été construit en pierres de taille au pied de la cité, dans la mer, faisait office de pêcherie parce que la marée montante le faisait dépasser par certaine espèce de poisson, que la marée descendante laissait sur le sable sec ; ainsi en avait-il été du sac de cuir dans lequel avait pris place sainte Honora (claustrum quoddam, quod ex quadris lapidibus sub civitate in mari compositum fuerat, hanc veniente mari recepit, sed recedente retinuit in sicco relictam littore). L’hagiographe fait également mention du tiern, du «chef» de la cité (tirannus vero prefate civitatis) et qui cherche à abuser de sainte Honora, l’épouse demeurée vierge de saint Efflam ; mais, non content d’omettre le nom du tirannus, l’hagiographe tait également celui que portait la civitas, nous privant du coup d'une information essentielle. Comme c’est souvent le cas, un tel silence est difficile d’interprétation : cependant, il peut constituer un argument de poids en faveur d’une composition antérieure à celle de la vita longue de saint Tugdual.

Quant au tirannus, c’est peut-être parce que l’allusion à quelque « puissant » contemporain et à ses travers était suffisamment transparente que son nom n’est pas donné par l’hagiographe. A défaut de reconnaître ici une possible strate trégoroise du mythe arthurien, il est possible en effet d’imaginer que l’ancienne citadelle du Yaudet, hypothétique substitut d'un chef-lieu de civitas, constituait alors le repaire d’une dynastie féodale dont l'un des membres s’était illustré par ses débordements. En tout cas, selon l’hagiographe, l’intervention de saint Efflam, outre qu’elle permit à Honora de se soustraire aux pulsions du tirannus, favorisa chez ce dernier une véritable contrition dont témoignent sa remise au saint de domaines et l’abandon de tout son revenu dans la zone concernée (predia sancto restituit et totum suum redditum in presenti provincia ei concessit). Cette dernière précision revêt une grande importance : elle vise sans doute à établir de façon irrécusable les droits revendiqués sur place par l’église de Tréguier, comme l’atteste à la fin du Moyen Âge l’existence d’un régaire local qu’il faut peut-être identifier avec le minihi de Plestin.

André-Yves Bourgès
http://www.hagio-historiographie-medievale.org

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Jeu 17 Déc, 2009 11:07
de Régis Le Gall-Tanguy
Chers messieurs,

Tout d'abord bonjour à tous puisqu'il s'agit de ma première intervention. Je parcourais jusqu'à présent assez régulièrement les forums de l'arbre celtique sans trop oser y participer mais la question abordée ici m'a cette fois motivée (je la connais un peu moins mal puisque je la traite dans ma thèse).

Je ne me lançerais pas (pas avant d'avoir révisé en tout cas !) dans le débat sur les liens entre Tugdual, le Yaudet et Lisieux. Je souhaiterais par contre revenir brièvement sur le sujet de départ à savoir la situation des civitates romaines de l'Armorique et de leurs chefs-lieux au début du Moyen Age.

Archéologiquement parlant, je pense qu'Agraes (page précédente) a parfaitement résumé la situation. Pour simplifier un peu les choses je dirais qu'il y a une césure entre la partie orientale de l'Armorique (cites des Vénètes, Riedones, Namnètes et au-delà), où les fouilles et les textes révèlent d'évidentes traces de continuité dans les villes majeures, et la partie occidentale ( la cité des Osismes et des Coriosolites) où la situation est beaucoup moins claire. Le manque de documentation et, pendant longtemps, de fouilles, a compliqué - et complique toujours - sérieusement la tache de celui qui entend étudier le devenir de cette dernière région.

Au vu des données actuelles je serais plutôt positif sur le sort de Carhaix et Corseul.

Pour l'ancienne capitale des Coriosolites :
1°) Les archéologues ont découvert quelques inhumations des Ve-VIIIe s sur le site.
2°) La lettre de évêques de Rennes et d'Angers aux prêtres bretons Lovocat et Catihern vers 501-520 pourrait démontrer l'existence d'un encadrement religieux dans et autour de la ville
3°) La vie de saint Malo de Bili (vers 870) contient un épisode rapportant la célébration d'une messe pascale par (le premier ?) évêque d'Alet dans l'église de Corseul. Un sanctuaire existait donc forcément dans l'ancienne agglomération romaine au IXe siècle.

Pour Carhaix les choses sont moins nettes mais les fouilles de la domus du centre hospitalier démontrent au moins le maintien de l'occupation jusque dans le dernier du tiers du IVe siècle. Pour la période suivante, nous manquons de données mais trois indices me semblent démontrer que le site survécut :
1°) Une probable église paroissiale primitive, Saint-Pierre de Plouguer est née, à sa périphérie.
2°) Ce dernier sanctuaire a donné son nom à un pagus attesté au IXe siècle : le Poher.
3°) Les Annales de Lausanne rapporte la venue de l'empereur Louis le Pieux jusqu'à Carhaix (Corophesium) en 818.

Si continuité il y eut dans ces deux sites au haut Moyen Age, il est par contre évident que la nature de leur occupation n'avaient plus grand chose à voir avec celle du haut Empire.
Au XIe-XIIe la destinée de nos 2 localités fut bien différente. Corseul, dont l'église fut confiée à Marmoutier en 1123, demeura une modeste bourgade tandis que Carhaix devint une véritable ville avec château et prieuré (Sur cette dernière agglomération je me permets de renvoyer à mon article : R. Le Gall-Tanguy, "Morphogenèse de la ville de Carhaix au Moyen Age", Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, t. CXXXV, 2006, p. 71-90)

Puisque le sujet de l'origine des évêchés bretons a été abordé je voudrais signaler que j'ai présenté le 11 décembre dernier une communication sur "la formation des espaces diocésains en Léon, Cornouaille, Trégor (Ve-XIIIe siècle)" lors d'une journée d'études tenue à Poitiers. Ce dernier travail (avec un second sur le problème des limites des villes au Moyen Age dans le même territoire) sera publié dans les actes du colloque en question ( http://www.mshs.univ-poitiers.fr/cescm/IMG/pdf/programme_11_12.pdf )

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Jeu 17 Déc, 2009 11:25
de Régis Le Gall-Tanguy
Sigul a écrit:Lisieux est-elle alors en Armorique du VIè siècle ?

zig


Je ne suis pas spécialiste de l'Antiquité mais je voudrais tout de même essayer de répondre à cette question.
En parlant d'Armorique, il me semble que les Romains désignaient une vaste région, située à l'ouest de la Gaule, dont l'étendue exacte paraît vague . Je retiendrais toutefois cette énumération des tribus armoricaines par César : "On demande 20 000 hommes à l'ensemble des peuples qui bordent l'océan et qui se donnent le nom d'Armoricains: Corisolites, Redones, Ambibariens, Calètes, Osismes, Lexoviens, Unelles (La guerre des Gaules, VII, 75).
A s'en tenir à cette courte liste, la cité des Lexoviens et donc Lisieux se tenait bien en Armorique.

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Jeu 17 Déc, 2009 12:11
de gérard
Bonjour à tous,
A mon humble avis, armorique = région côtière ("qui borde l'océan") de toutes les contrées habitées par des peuples de langue celte. Les Larmor, Larvor contemporains de la Petite Bretagne ne désignent pas une région spécifique de la côte bretonne!
Partant de là, aussi bien les Ambiens que les Bituriges Vivisques et les Santons pouvaient se qualifier d'armoricains.
D'où aussi le fait que Pline l'Ancien puisse écrire que la région au sud de l'estuaire de la Garonne était autrefois appelée armorique. Ce qui d'ailleurs peut donner un indice concernant une éventuelle expansion des peuples (les Vascons?) des Pyrénées, de langue non celte, vers le nord.

Lisieux n'est qu' à 25 km de la Manche.

Cordialement,
Gérard

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Jeu 17 Déc, 2009 14:55
de Sigul
Merci,

Ca me conforte dans mes doutes, tout en les accentuant.

Comment a t'on fait pour glisser d'une Armorique, de la Garonne à la Seine, ou plus loin encore, selon Ptolémée, à la Bretagne exclusivement ?

Aujourd'hui, quand on parle de l'Armorique, on fait référence immédiatement à la Bretagne.

Mais comment peut-on élaborer de si grandes démonstrations à propos d'un pays qui n'existait pas encore au VIè siècle ?

Il y a quelque chose qui n'est pas clair dans ce sujet.

zig

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Jeu 17 Déc, 2009 17:08
de gérard
Pour Pline l'Ancien, lire Histoire Naturelle, livre 4, [105] dans l'encyclopédie.
http://encyclopedie.arbre-celtique.com/ ... v-8249.htm
gg

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Jeu 17 Déc, 2009 21:02
de André-Yves Bourgès
Régis Le Gall-Tanguy a écrit:Chers messieurs,

Tout d'abord bonjour à tous puisqu'il s'agit de ma première intervention. Je parcourais jusqu'à présent assez régulièrement les forums de l'arbre celtique sans trop oser y participer mais la question abordée ici m'a cette fois motivée (je la connais un peu moins mal puisque je la traite dans ma thèse).

Je ne me lançerais pas (pas avant d'avoir révisé en tout cas !) dans le débat sur les liens entre Tugdual, le Yaudet et Lisieux. Je souhaiterais par contre revenir brièvement sur le sujet de départ à savoir la situation des civitates romaines de l'Armorique et de leurs chefs-lieux au début du Moyen Age.

Archéologiquement parlant, je pense qu'Agraes (page précédente) a parfaitement résumé la situation. Pour simplifier un peu les choses je dirais qu'il y a une césure entre la partie orientale de l'Armorique (cites des Vénètes, Riedones, Namnètes et au-delà), où les fouilles et les textes révèlent d'évidentes traces de continuité dans les villes majeures, et la partie occidentale ( la cité des Osismes et des Coriosolites) où la situation est beaucoup moins claire. Le manque de documentation et, pendant longtemps, de fouilles, a compliqué - et complique toujours - sérieusement la tache de celui qui entend étudier le devenir de cette dernière région.

Au vu des données actuelles je serais plutôt positif sur le sort de Carhaix et Corseul.

Pour l'ancienne capitale des Coriosolites :
1°) Les archéologues ont découvert quelques inhumations des Ve-VIIIe s sur le site.
2°) La lettre de évêques de Rennes et d'Angers aux prêtres bretons Lovocat et Catihern vers 501-520 pourrait démontrer l'existence d'un encadrement religieux dans et autour de la ville
3°) La vie de saint Malo de Bili (vers 870) contient un épisode rapportant la célébration d'une messe pascale par (le premier ?) évêque d'Alet dans l'église de Corseul. Un sanctuaire existait donc forcément dans l'ancienne agglomération romaine au IXe siècle.

Pour Carhaix les choses sont moins nettes mais les fouilles de la domus du centre hospitalier démontrent au moins le maintien de l'occupation jusque dans le dernier du tiers du IVe siècle. Pour la période suivante, nous manquons de données mais trois indices me semblent démontrer que le site survécut :
1°) Une probable église paroissiale primitive, Saint-Pierre de Plouguer est née, à sa périphérie.
2°) Ce dernier sanctuaire a donné son nom à un pagus attesté au IXe siècle : le Poher.
3°) Les Annales de Lausanne rapporte la venue de l'empereur Louis le Pieux jusqu'à Carhaix (Corophesium) en 818.

Si continuité il y eut dans ces deux sites au haut Moyen Age, il est par contre évident que la nature de leur occupation n'avaient plus grand chose à voir avec celle du haut Empire.
Au XIe-XIIe la destinée de nos 2 localités fut bien différente. Corseul, dont l'église fut confiée à Marmoutier en 1123, demeura une modeste bourgade tandis que Carhaix devint une véritable ville avec château et prieuré (Sur cette dernière agglomération je me permets de renvoyer à mon article : R. Le Gall-Tanguy, "Morphogenèse de la ville de Carhaix au Moyen Age", Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, t. CXXXV, 2006, p. 71-90)

Puisque le sujet de l'origine des évêchés bretons a été abordé je voudrais signaler que j'ai présenté le 11 décembre dernier une communication sur "la formation des espaces diocésains en Léon, Cornouaille, Trégor (Ve-XIIIe siècle)" lors d'une journée d'études tenue à Poitiers. Ce dernier travail (avec un second sur le problème des limites des villes au Moyen Age dans le même territoire) sera publié dans les actes du colloque en question ( http://www.mshs.univ-poitiers.fr/cescm/IMG/pdf/programme_11_12.pdf )


Bonjour Régis,

et heureux de vous retrouver sur ce forum après nos récents échanges par MP.

Je suis globalement d'accord avec votre résumé qui complète la rapide synthèse de Benjamin.

Comme je l'ai écrit précédemment, nous devrions parler de cela au prochain colloque du CIRDoMoC...

Bien cordialement,

AYB

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Jeu 17 Déc, 2009 22:03
de Matrix
pour Gerard et Sigul
bj
il me semble que le terme "Armorici" avait déjà été débattu dans le forum
en fait, j'en été resté à un terme géographique désignant des peuples Gaulois riverains de la mer
ces peuples vont des Osismes jusqu'aux Morins (c'est à dire jusqu'à limite de la Mer du Nord) donc englobant certains tribus Belges mais également les Vénètes et les Namnètes de l'Océan (mais pas les Pictons et Santons)
il serait dangereux d'associer les termes Armorici et Armorique
il me semble que l'Armorique a désigné bien plus tard et par réduction une région correspondant plus ou moins à la Bretagne historique (continentale)
pour donner raison à tout le monde il me semble également que le Tractus Armoricanus englobe des cités riveraines de la mer allant de la Garonne à la Somme (?)


pourquoi ne pas parler de
des cités Bretonnes (et non des cités Armoricaines) au VIème siècle
puisque l'immigration des Bretons commence dès le 4° siècle AP JC :?:

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Jeu 17 Déc, 2009 22:49
de Sigul
Matrix a écrit:pourquoi ne pas parler de
des cités Bretonnes (et non des cités Armoricaines) au VIème siècle
puisque l'immigration des Bretons commence dès le 4° siècle AP JC :?:


D'accord. Mais quelles sont les cités bretonnes du VIè siècle ?

zig