CONCLUSION
Sucellus-Dispater-Silvain est l'un des dieux masculins les plus importants du panthéon celtique et gallo-romain.
Il a participé à la formation de ce dernier, comme à son évolution. Divinité plurivalente, simultanément sidéral et
chtonien, il est, comme le Mars indigène, antérieur à l'introduction du système tripartite des grands dieux celtiques.
Il se distingue toutefois du Mars indigène par son unicité : il n'est pas, comme lui, pourvu d'épithètes régionales
ou topiques. Il est toujours semblable à lui même grâce aux principaux attributs qui le caractérisent : maillet, pot, chien,
tonneau, en dépit des deux noms qui lui ont été dévolus dans le processus des interprétations celtiques des dieux latins :
Silvain, Dispater. Toutefois, à l'instar de Mars, il a contaminé le grand dieu sidéral celtique Taranis, comme en
témoignent les Gloses de Berne et les monnaies gauloises.
Son destin le distingue fortement des Mars indigènes. Ce dernier a rencontré les faveurs du pouvoir romain. Il
est devenu le préféré des aristocraties municipales et des prêtres des autels du Confluent.
Au contraire, il semble que Sucellus ait été quelque peu marginalisé. Il a été particulièrement adoré par les
peuples traditionnalistes peu celtisés, des Alpilles aux Alpes de Haute-Provence. Sa vogue entre Loire et Saône, chez les
Héduens-Lingons-Senons, tient au fait que ces peuples également sont restés particulièrement fidèles aux traditions
préceltiques, qui constituent la trame même de leur tissu religieux régional. Sa clientèle se recrute principalement parmi
les artisans, les viticulteurs, les esclaves et les affranchis, les propriétaires ruraux, les marchands enrichis ayant acquis
des domaines à la campagne et leur domesticité.
Ses racines archaïques le rapprochent des traditions irlandaises, correspondant elles mêmes en grande partie, à
un étage religieux plus ancien que le Ve siècle avant J.C. Cet étage est probablement contemporain de la culture des
cavaliers et des guerriers porteurs de l'épée longue du Hallsttatien Ancien, comme en témoigne sa répartition en Gaule
dans les pays où se rencontrent en nombre les tombes de ces derniers (Bourgogne, vallée de la Saône et région du Bas-
Rhône).
Le chaudron de Gundestrup le présente comme un dieu auxiliaire, chargé de la protection des morts dans leur
voyage vers l'au-delà, présidant au culte domestique du foyer et des ancêtres. Il est lui même, d'après César, et
conformément à la doctrine druidique, l'ancêtre commun de la race gauloise. C'est sans doute là l'ultime égard que les
druides lui ont manifesté, après l'avoir mis à l'écart des grands dieux.
A l'époque gallo-romaine, ses fonctions sont précisées par ses attributs. Son maillet-sceptre fait de lui une
divinité souveraine, dominus en latin, KYPIOC en grec, à l'instar de l'hellénistique Sérapis, dont il porte la chevelure.
Conformément à son mythe, parallèle à celui du dieu irlandais qui lui ressemble le plus, Goibniu, son maillet, affectant
souvent la forme de celui des tonneliers, ses tonneaux, ses amphores, son pot lui confèrent un véritable patronage sur la
fabrication des boissons alcooliques, breuvages d'immortalité. Il se confond avec Liber-Pater, le Bacchus latin. La
fréquence parmi ses attributs du tonneau, spécialité nationale de l'artisanat gaulois, sa prééminence comme patron des
carriers, les outils artisanaux présents à l'envers de la statue de Javols, font de lui l'un des divins patrons des artisans
groupés en confréries religieuses.
En dépit de son caractère marginal, il est donc bien un grand dieu. A ses diverses appellations, Silvain dans le
Midi, Sucellus dans le Nord-Est, Dispater en Germanie, il faut ajouter qu'il a pris dans certains cas la forme de Vulcain.
Sous cet aspect, on le rencontre en association avec Jupiter, Apollon, Hercule, Junon, la Victoire, Vénus, en des
allégories exprimant son alliance avec la divinité céleste pour l'apparition des sources fécondantes. Des exemples de ce
genre se rencontrent à Paris, Mavilly, à Escolives, et dans les cités des Némètes, des Vangions et les districts militaires
du Limes germano-rhétique.