“ Je parlais encore quand Sylla m'arrêtant: “ C'en est assez, Lamprias, me dit-il, il est temps que vous finissiez, si vous ne voulez pas que mon récit échoue, pour ainsi dire, au port, et que l'ordre de la scène soit confondu; c'est le moment de la faire changer de décoration. C'est moi qui doit être l'acteur; je vous en ferai d'abord connaître l'auteur; et, si vous le trouvez bon, je vous dirai avec Homère:
Loin de nous, dans la mer, est l'île d'Ogygie ,
distante de la Grande-Bretagne, du côté de l'occident, de cinq journées de navigation. Il y a trois autres îles situées vers le couchant d'été, aussi éloignées de la première qu'elles le sont les unes des autres. C'est dans une de ces îles que, suivant la tradition des Barbares du pays, Cronos est détenu prisonnier par ordre de Zeus, et l'antique [Briarée] ayant reçu la garde, tant des îles que de la mer adjacente qu'on appelle Cronienne, s'était établi non loin de lui. Ils ajoutent que le grand continent qui environne l'Océan est éloigné de l'île d'Ogygie d'environ cinq mille stades, et un peu moins des autres îles; qu'on n'y navigue que sur des vaisseaux à rames , parce que la navigation est lente et difficile à cause de la grande quantité de vase qu'y apportent plusieurs rivières qui s'y déchargent du continent et y font des atterrissements qui embarrassent le fond de la mer; ce qui a fait croire anciennement qu'elle était glacée. Les côtes du continent, disent-ils encore, sont habitées par des Grecs, qui s'étendent le long d'un golfe non moins grand que les Palus Méotides, et dont l'embouchure répond précisément à celle de la mer Caspienne. Ils se regardent comme habitants de la terre ferme, et nous comme des insulaires, parce que la terre que nous habitons est entourée par la mer. Les compagnons d'Héraclès, qui furent laissés dans cette contrée, s'étant mêlé avec l'ancien peuple de Cronos, tirèrent de son obscurité la nation grecque, qui était presque étouffée sous les lois, les mœurs et la langue des Barbares, et ils lui rendirent son ancienne splendeur. Aussi depuis cette époque, Héraclès est de tous les dieux celui qu'ils honorent davantage, et après lui Cronos. Quand l'étoile de Cronos, que nous appelons Phénon, et qui, dans cette île, porte le nom de Nycture , entre dans le signe du Taureau, ce qui arrive après une révolution de trente années, ils se préparent longtemps d'avance à un sacrifice solennel et à une longue navigation, que sont obligés d'entreprendre sur des vaisseaux à rames ceux que le sort a destinés à cette commission, qui exige d'eux un long séjour dans une terre étrangère. Après donc qu'ils se sont embarqués, et qu'ils ont éprouvé chacun des aventures diverses, ceux qui ont échappé aux dangers de la mer abordent dans les îles opposées qu'habitent des Grecs, où ils voient pendant trente jours le soleil se coucher pendant à peine une heure par jour; c'est là toute leur nuit, et les ténèbres même en sont bien peu obscures, et assez semblables au crépuscule. Après y avoir demeuré quatre-vingt dix jours singulièrement honorés et bien traités par les naturels du pays, qui les regardent comme des personnes sacrées et leur en donnent le titre, ils s'abandonnent aux vents et retournent dans leur île. Ils en sont les seuls habitants, eux et ceux qui les y ont précédés. Quand ils ont servi pendant trente ans au culte de Cronos, ils sont libres de retourner dans leur patrie; mais la plupart préfèrent vivre tranquillement dans cette île, les uns par l'habitude qu'ils en ont contractée, les autres parce que, sans travail et sans affaires, ils y trouvent abondamment tout ce qui leur est nécessaire pour leurs sacrifices, pour leurs fêtes publiques, et pour l'entretien de ceux d'entre eux qui s'occupent continuellement de l'étude de la philosophie et des lettres.
Ils disent que la température du climat de l'île, et l'air qu'on y respire, sont délicieux. Quelques-uns des habitants ayant formé le dessein de s'en retourner dans leur pays, le dieu s'y opposa, en se montrant à eux comme à des amis, non seulement en songe ou sous des voiles symboliques, mais d'une manière sensible. Plusieurs avaient vu des génies et conversé avec eux. Cronos lui-même est couché et endormi dans l'antre profond d'un rocher aussi brillant que l'or. Zeus lui a donné pour chaîne le sommeil. Au dessus du rocher on voit voltiger des oiseaux qui lui apportent de l'ambroisie, dont l'odeur, qui semble sortir de ce rocher comme d'une source, remplit toute l'île d'un parfum admirable. Cronos a pour ministres les génies, qui le servent assidument. Ils étaient ses courtisans et ses amis dans le temps qu'il régnait sur les dieux et sur les hommes. Comme ils possèdent l'art de la divination, ils annoncent souvent d'eux-mêmes l'avenir; mais les prédictions les plus importantes, et qui roulent sur de plus grands objets, ils les font quand ils sortent d'auprès de Cronos, dont ils racontent les songes, dans lesquels ce dieu voit tous les desseins de Zeus. Son réveil est marqué par des passions tyranniques et par des troubles violents que son âme éprouve; mais son sommeil est doux et tranquille, et c'est dans cet état que sa nature divine et sa souveraineté agissent selon toute leur puissance.
L'étranger de qui je tiens ce récit ayant été conduit dans l'île, y servit paisiblement ce dieu, et s'instruisit, pendant ce temps-là, dans l'astronomie. Il alla dans cette science aussi loin qu'il est possible quand on a fait les plus grands progrès dans la géométrie. Entre les parties de la philosophie, il cultiva particulièrement la physique. Mais il lui prit l'envie d'aller visiter et connaître par lui-même la grande île, car c'est ainsi qu'ils appellent le continent que nous habitons. Lors donc que ses trente ans furent expirés et que de nouveaux ministres du dieu l'eurent remplacé, il prit congé de ses amis et s'embarqua avec un équipage assez simple; mais il avait, dans des vases d'or, d'abondantes provisions de voyage. Pour vous dire toutes les aventures qu'il eut, toutes les nations qu'il parcourut, les textes sacrés qu'il rencontra et les mystères auxquels il fut initié, un jour entier ne suffirait pas si je voulais tout vous raconter en détail comme il le faisait lui-même; car il n'avait rien oublié.
Quant à ce qui regarde notre discussion présente, écoutez ce qu'il en disait, je l'ai appris de lui à Carthage, où il demeura longtemps, singulièrement honoré de tout le monde. Il y découvrit des parchemins qu'on avait transporté secrètement hors de l'ancienne vile lorsqu'elle avait été détruite, et qui étaient restés depuis ce temps-là ensevelis sous terre. Il m'exhortait fort à honorer les dieux qui brillent au ciel, et particulièrement la lune, comme la divinité qui a le plus d'influence sur notre vie. Comme je parus surpris de ce conseil et que je le priai de s'expliquer plus clairement:
“ Sylla, me dit-il, les Grecs parlent beaucoup des dieux; mais tout ce qu'ils en disent n'est pas exact. Par exemple, ils ont raison de reconnaître une Démeter, une Perséphoné, mais ils ont tort de réunir dans un même lieu ces deux divinités; car l'une habite la terre et a l'empire sur toutes les choses terrestres; l'autre est dans la lune, dont les habitants lui donnent le nom de Coré et de Persephoné. Ce dernier signifie qu'elle porte la lumière. On l'appelle Coré, qui veut dire prunelle de l'oeil, dans laquelle les objets se peignent, comme la clarté du soleil est représentée sur la lune. Ce qu'ils disent des voyages de ces deux déesses qui se cherchent mutuellement est en partie vrai: elles s'entre-désirent quand elles sont séparées, et s'embrassent souvent dans l'ombre. Que Coré soit tantôt au ciel et éclairée, tantôt dans la nuit et les ténèbres, cela n'est pas absolument faux, il n'y a erreur que dans le calcul du temps; car nous la voyons, non pas six mois de suite, mais de six en six mois, cachée sous la terre comme sous sa mère, et enveloppée dans l'ombre, ce qui arrive rarement dans les cinq mois d'intervalle, parce qu'il est impossible qu'elle abandonne Hadès, son époux, comme Homère le donne adroitement à entendre, quoiqu'en termes couverts, lorsqu'il dit:
Aux champs de l'Elysée, aux confins de la terre .
“ Il appelle les confins de la terre l'endroit où son ombre finit. C'est là que nul homme méchant et souillé ne peut parvenir. Les gens vertueux seuls y sont transportés après leur trépas, et y mènent, jusqu'à leur seconde mort, une vie tranquille, mais non entièrement heureuse et divine.
“ Ne me demandez point, Sylla, quel est ce genre de vie, je vous l'apprendrai bientôt. Le vulgaire croit avec raison que l'homme est un être composé; mais il se trompe en ce qu'il le croit composé seulement de deux parties, parce qu'il s'imagine que l'intellect n'est qu'une portion de l'âme; mais cette faculté est aussi supérieure à l'âme que celle-ci est plus parfaite et plus divine que le corps. Cette union de l'âme avec l'intellect fait la raison; son union avec le corps fait la passion, dont l'une est le principe du plaisir et de la douleur, l'autre, de la vertu et du vice. De ces trois parties jointes ensemble dans la génération de l'homme, la terre a produit le corps, la lune a formé l'âme, et le soleil l'intellect. Celui-ci est la lumière de l'âme comme le soleil est la lumière de la lune. Des deux morts que nous éprouvons, l'une réduit ces trois substances à deux, et l'autre à une seule. La première a lieu dans la région de Démeter, et c'est pour cela que nous lui faisons des sacrifices. Aussi les Athéniens donnaient-ils anciennement aux morts le nom de Démétrioi. La seconde mort arrive dans la lune, région de Persephoné. Hermès terrestre habite avec la première de ces déesses, et Hermès céleste avec la seconde. Démeter sépare promptement et avec violence l'âme d'avec le corps. Persephoné ne divise l'intellect d'avec l'âme que lentement et par des moyens doux. On lui donne le nom de Monogène, parce que après la division qu'elle a faite dans l'homme, ce qu'il y a de meilleurs en lui se trouve seul et unique, et l'un et l'autre est conforme à la nature. Toute âme qui sort du corps avec ou sans intellect est obligée, par une loi du destin, d'errer un certain temps dans la région qui est située entre la terre et la lune; mais ce temps n'est pas le même pour toutes. Celles qui ont été injustes et débauchées y subissent la peine de leurs crimes. Les âmes vertueuses y sont détenues jusqu'à ce qu'elles aient été purifiées des taches que leur a fait contracter leur commerce avec le corps, ce principe fécond de mal; mais elles sont dans un lieu où elles respirent l'air le plus pur; on l'appelle le verger d'Hadès, et elles y passent un temps déterminé. Ensuite, rappelées comme d'un long exil dans une terre étrangère, elles rentrent dans leur patrie et y goûtent une joie semblable à celle que ressentent ceux qui sont initiés aux mystères, joie mêlée de trouble et d'étonnement, et chacune avec ses espérances particulières.
“ Plusieurs sont poussées avec force hors de ce séjour, et brûlent d'être réunies à la lune. Quelques unes sont encore dans le bas, et ont leurs regards tournés comme vers un gouffre profond. Pour celles qui sont parvenues à la région supérieure, elles y jouissent d'une parfaite sécurité. Premièrement elles reçoivent, comme les vainqueurs des jeux solennels, des couronnes, qu'on appelle les ailes de la constance, parce qu'elles l'ont tenue dans une entière dépendance. Secondement, elles ressemblent à un rayon de soleil. Troisièmement, l'âme élevée dans cette région y est affermie et fortifiée par l'air qui environne la lune, et elle y prend de la vigueur, comme le fer en reçoit de la trempe qu'on lui donne. Ce qui est rare et lâche se resserre et se condense, devient ferme et transparent; en sorte que la moindre exhalaison de la terre suffit à sa nourriture. Et Héraclite a eu raison de dire que dans la région d'Hadès les âmes respiraient une odeur agréable.
“ Là elles voient d'abord la grandeur et la beauté de la lune; elles connaissent sa nature, qui n'est ni simple, ni sans mélange, mais une sorte de composé d'astre et de terre; car, comme la terre s'amollit quand est mêlée d'air et d'humidité, que le sang distribué dans les chairs leur donne de la sensibilité, de même, dit-on, la lune, par son mélange avec l'éther qui en pénètre toute la profondeur, devient animée et féconde, et se conserve dans un juste équilibre de pesanteur et de légèreté. Le monde lui-même, ainsi composé de substances, dont les unes tendent naturellement vers le haut et d'autres vers le bas, n'est sujet à aucun changement local. C'est ce que Xénocrate même semble avoir aperçu par une sorte de raisonnement divin dont Platon lui a fourni la première idée. Ce dernier philosophe a le premier avancé que chaque astre est composé de terre et de feu liés ensemble par des substances intermédiaires distribuées dans une certaine proportion, parce que rien ne peut devenir sensible à nos yeux que par un mélange de terre et de lumière. Xénocrate dit que le soleil est composé de feu et du premier solide; la lune, du second solide et de l'air qui lui est propre; et la terre, de l'eau, du feu, et du troisième solide. En général, ni un corps dense seul, ni un corps rare seul, ne sont susceptibles de sentiment et d'âme.
“ Voilà ce qu'il disait de la substance de la lune. Quant à sa grandeur et à sa largeur, elles sont beaucoup plus considérables que les géomètres ne le disent. Si elle ne mesure que peu de fois par sa grandeur l'ombre de la terre, ce n'est pas qu'elle soit petite, c'est parce qu'elle y accélère son mouvement, afin de traverser plus promptement cet espace ténébreux à travers lequel elle transporte les âmes vertueuses qui sont pressées d'en sortir et jettent de grands cris tant qu'elles sont dans l'ombre, parce qu'elles n'y entendent point l'harmonie des corps célestes. D'ailleurs les âmes des méchants, qui habitent la partie inférieure de la lune, et qui y sont châtiées, crient et se lamentent en traversant cette ombre. Voilà pourquoi dans les éclipses c'est un usage assez général de frapper sur de l'airain, et de faire un très grand bruit autour de ces âmes, qui sont encore effrayées, lorsqu'elles approchent de ce qu'on appelle la face de la lune, parce qu'elle leur paraît épouvantable à voir, quoiqu'elle ne le soit pas. Mais comme la terre que nous habitons a plusieurs golfes aussi vastes que profonds, dont l'un entre dans notre continent par les colonnes d'Héraclès et s'avance jusqu'auprès de nous, d'autres sont extérieurs, tels que la mer Caspienne et la mer Rouge; il y a de même dans la lune des cavernes et des vallées profondes. La plus grande de ces cavernes s'appelle le gouffre d'Hécate. C'est là que les âmes sont punies de ce qu'elles ont fait ou laissé faire depuis leur naissance. Les deux autres, plus petites, servent de passage aux âmes; l'une mène de la lune au ciel, et l'autre à la terre. La partie de la lune qui regarde le ciel s'appelle l'Elysée, et celle qui est du côté de la terre se nomme le champ de Perséphoné.
“ Les démons ne demeurent pas toujours dans la lune; ils descendent quelquefois sur la terre pour y avoir soin des oracles; ils assistent aux plus saints de nos mystères, et en célèbrent les cérémonies; ils veillent sur les méchants et les punissent, et ils préservent les bons des dangers de la guerre et de la mer. Si dans l'exercice de ces fonctions ils commettent eux-mêmes quelques fautes par colère, par envie, ou par une faveur injuste, ils en sont punis; on les exile sur la terre, où ils sont précipités dans des corps humains. Au nombre des meilleurs génies étaient, à ce qu'ils disaient eux-mêmes, ceux qui accompagnaient Cronos, et plus anciennement en Crète les dactyles idéens , en Phrygie les corybantes , les trophoniades à Udora , et une infinité d'autres répandus en divers lieux sur la terre, et dont les noms, les temples et le culte, subsistent encore. Mais le pouvoir de quelques-uns d'entre eux a cessé, parce qu'ils ont été, par un heureux changement, transportés ailleurs. Ces translations arrivent aux uns plus tôt, aux autres plus tard, après que leur intellect a été séparé de leur âme; séparation qui est l'effet du désir qu'ils ont de jouir de l'image du soleil, dans laquelle brille cette beauté divine, source de tout bonheur, et que toute nature désire, quoique d'une manière différente. La lune elle-même tourne continuellement, par le désir qu'elle a de s'unir au soleil pour recevoir de cet astre sa fécondité. Mais la substance de l'âme reste dans la lune, où elle conserve quelques traces et quelques songes de la vie; et je crois qu'on a eu raison de dire:
Comme un songe léger l'âme s'est envolée
ce qu'elle ne fait pas aussitôt qu'elle a été séparée du corps, mais dans la suite, quand elle se trouve seule et privée de l'intellect. Aussi de tous les passages d'Homère, nul ne me paraît plus divin que celui-ci:
D'Héraclès à mes regards l'ombre s'est présentée;
Car son âme divine habite l'Empyrée.
“ En effet, chacun de nous n'est ni le courage, ni la crainte, ni la cupidité, comme il n'est ni la chair ni les humeurs; mais il est la pensée et l'intelligence. L'âme formée par l'intellect, et formant elle-même le corps qu'elle embrasse de tous côtés, reçoit en même temps de lui son impression et sa forme; en sorte que, même après sa séparation d'avec l'un et l'autre, elle en conserve longtemps la ressemblance et la figure; ce qui fait qu'on l'appelle à bon droit leur image.
“ La lune, comme je l'ai déjà dit, est l'élément de ces âmes, puisqu'elles se résolvent dans cette planète, comme après la mort les corps se résolvent en terre. Les âmes vertueuses qui, éloignées des affaires, ont mené dans la pratique de la philosophie une vie douce et tranquille, éprouvent plus promptement cette résolution, parce que, abandonnées par l'intellect, et renonçant aux affections du corps, elles se dissipent à l'instant. Mais les âmes des ambitieux et des gens plongés dans les affaires, celles des voluptueux, esclaves de leurs sens, celles des hommes coléreux, conservent, comme dans le sommeil, le souvenir de ce qu'elles ont fait pendant leur vie, errent au milieu des songes, comme l'âme d'Endymion, parce que leur inconstance et leur assujettissement aux passions les entraînent hors de la lune, pour commencer une nouvelle génération, et, sans leur laisser goûter de repos, les attirent sans cesse par leur appât séducteur; car on ne voit plus rien en elles de modéré, de paisible et de constant, lorsque, séparées de l'intellect, elles sont saisies par les passions corporelles. Ce sont des âmes de ce caractère qui donnèrent naissance aux géants Tityus, Typhon, et à Python, qui jadis s'empara de Delphes et détruisit avec tant de violence le sanctuaire de l'oracle; âmes privées de raison, et qui se laissent emporter à la fougue de leurs passions insensées. Cependant, au bout d'un certain temps, la lune les reçoit dans son sein et leur donne une nouvelle forme; le soleil, semant une seconde fois l'intellect dans ce principe de leur vie, en fait des âmes toutes nouvelles; et la terre, pour la troisième fois, les revêt d'un corps; car elle ne donne rien après la mort de ce qu'elle prend pour la génération, et le soleil ne reçoit rien, mais il reprend l'intellect qu'il a donné.
“ Pour la lune, elle donne et elle reçoit; elle unit et elle sépare, suivant ses différente facultés. Lorsqu'elle unit, on l'appelle Ilythie, et Artémis quand elle sépare. Des trois Parques, Atropos, placée dans le soleil, donne le principe de la naissance; Clotho, qui suit la lune dans sa révolution, joint et unit; Lachésis, qui est la dernière, et qui réside sur la terre, seconde Clotho, et partage son pouvoir avec la Fortune. Toute substance qui n'a point d'âme ne jouit d'aucun droit, et est exposée à souffrir de tout ce qui l'environne. L'intellect, qui n'est soumis lui-même à aucun pouvoir étranger, exerce sur tout le reste un empire souverain. L'âme est un composé des deux, comme Dieu a formé la lune du mélange des substances supérieures avec les inférieures, et lui a donné avec le soleil la même proportion que la terre a avec la lune.
Voilà, nous dit Sylla en finissant, ce que j'ai entendu raconter à cet étranger. Il disait le tenir des génies qui étaient attachés à Cronos, et qui le servaient. Pour vous, Lamprias, prenez de ce récit telle idée qu'il vous plaira.
L'informateur de Sylla est donc un Breton qui a résidé à Carthage...