Page 1 sur 2

Corps et âme

MessagePosté: Dim 18 Déc, 2005 22:10
de Le Poulpiquet
Bonjour à tous,
Nouvel inscrit, j'ai le plaisir de vous lire depuis pratiquement une année. Mon inscription fait suite à une recherche qui n'a pas aboutie, ni sur le forum de l'arbre celtique, ni ailleurs (quoique mes recherches n'aient pas été très poussées !)
Lors d'une visite d'un site d'archéologie expérimentale au sud de Toulouse, le guide-conférencier a évoqué certains traits de la spiritualité des "celtes" : il parlait de leur croyance en deux états après la mort, un état "corporel" lié à la terre et un état "spirituel" lié aux cieux.

Personnellement, j'en étais resté à une croyance des Gaulois en la métempsychose. Je n'ai pu retrouver ailleurs trace de ce que j'ai entendu lors de cette visite, avez-vous connaissance de quelque chose d'approchant ?

Merci

MessagePosté: Dim 18 Déc, 2005 22:27
de Professeur Cornelius
A ma connaissance, aucun texte ne fait allusion à ce dédoublement de l'être après la mort, ni à une "vie de l'esprit liée au ciel".
Il est incontestable que les Celtes, comme les autres peuples de l'Antiquité et du Moyen Âge, croyaient à une survie de l'âme. Les textes gréco-latins sont clairs à ce sujet. Les tombes celtiques, depuis Halstatt, montrent que, pour les hauts personnages au moins, on croyait à une survie post-mortem, vraisemblablement très semblable à la vie terrestre.
Les conceptions qui nous sont parvenues à propos de l'autre Monde associent souvent le monde des morts à celui des dieux. Le Sid irlandais est un monde d'abondance et de paix (le mot Sid signifie étymologiquement "paix") dans lequel il n'y a plus ni maladie ni mort, et où les différences de classes sont abolies. Il est situé, soit sous les tertres ou au fond des lacs, soit au-delà de la mer. Le temps y est aboli, ou au moins, il ne fonctionne pas comme notre temps. Il en est de même de l'espace.
Il serait intéressant de questionner le guide que tu as entendu sur les sources de sa thèse.

MessagePosté: Jeu 22 Déc, 2005 19:40
de Le Poulpiquet
Il serait intéressant de questionner le guide que tu as entendu sur les sources de sa thèse.

Entièrement d'accord et je regrette d'avoir laissé ma surprise l'emporter sur le moment plutôt que lui avoir demandé des renseignements complémentaires.
Il y aura certainement une autre occasion pour retourner sur ce site, mais y retrouverai-je ce guide, qui à priori faisait partie des membres impliqués dans le site.
A-t-il des sources précises ? Ou a-t-il "simplement" mélangé mythes celtes et mythes égyptiens (ba et ka) ?

En tout cas merci d'avoir répondu si rapidement. Si personne ici n'a entendu parler de ce dédoublement post-mortem, il y a de fortes chances que ce ne soit que délires...

Stéphane, le Poulpiquet

MessagePosté: Jeu 22 Déc, 2005 19:58
de Muskull
Il y a effectivement une croyance "post mortem" sur une forme de dédoublement mais elle est d'un domaine ancien de croyance de "revisitation" du mort qui appartient au culte des ancêtres. Style "mon ancêtre m'inspire des actes dits dans les traditions orales. Si je me trompe "il me le dira" d'une façon ou d'une autre.
Mais pas comme dans le vaudou, de possession d'un être vivant par l'esprit du mort.

MessagePosté: Jeu 22 Déc, 2005 20:00
de Professeur Cornelius
"Il y a" ? Où ça ? Dans le monde celtique ? Des sources...

MessagePosté: Ven 23 Déc, 2005 4:44
de cailleach
La survie de l'âme est fort croyé par les tribus guerrières celtiques, ils n'ont pas la peur de mourir durant la guerre. Ils croyais que le mort durant la guerre est le plus noble, et que le "Morrigu" (déesse de la guerre) les conduirait à 'Tir na n'Og' un des autres-mondes celtique.
("Tir na n'Og" 'le monde de jeunesse')
Il y a plusieurs d'autre-mondes - Tir na mBan - le monde des femmes (ce
monde était specialement pour les
guerrières)
Tir na mBeo - le monde des vivants
Tir n'Aill - le monde d'ailleurs
Tir fo thuinn - le monde au-dessous
des vagues
et en gallois Gwlad yr Haf - le monde de
l'été

Beannachd leibh

Nic An-tSaoir

MessagePosté: Ven 23 Déc, 2005 8:35
de Muskull
"Il y a" ? Où ça ? Dans le monde celtique ? Des sources...

Ben, les têtes qui parlent, Samain, les mesnies, entre autres mais cela a plus trait à la proximité de l'autre monde qu'à des revenants.
Hamlet et les fantômes

Trois autres pièces de Shakespeare comptent des spectres parmi leurs personnages : Jules César (où Brutus est visité par le fantôme de César), Macbeth (le spectre de Banquo interrompt le banquet de Macbeth) et Richard III (qui est hanté par les spectres de ses victimes). Dans Hamlet, le rôle du spectre, qui apparaît dès la première scène, est de déclencher l'action en révélant le crime de Claudius et en demandant vengeance. Pour le célèbre critique anglais John Dover Wilson (1881-1969), le spectre du père de Hamlet est donc « à la fois un spectre vengeur et un fantôme de prologue ». « Le mérite de Shakespeare, » continue-t-il, « c'est d'avoir humanisé, christianisé la marionnette conventionnelle, d'en avoir fait un personnage que ses spectateurs trouveraient réel, de ceux qu'on pourrait croiser à minuit dans la solitude d'un cimetière. . . . Le fantôme de Hamlet ne sort pas d'un Tartare mythique, mais du séjour des esprits défunts auquel l'Angleterre post-médiévale croyait encore à la fin du XVIe siècle malgré son vernis de Protestantisme ».
A noter : le scepticisme d'Horatio qui refuse d'abord de croire que les esprits puissent adopter une forme matérielle. Horatio, déconcerté, tente néanmoins de communiquer avec l'apparition qu'il somme de parler « au nom du ciel ». Il finit par accorder quelque crédit à l'apparition qu'il ressent comme « le présage de quelque étrange catastrophe dans le royaume ».

MessagePosté: Ven 23 Déc, 2005 11:19
de Patrice
Salut,


Plutarque, De la Face qu'on voit sur la Lune:

“ Je parlais encore quand Sylla m'arrêtant: “ C'en est assez, Lamprias, me dit-il, il est temps que vous finissiez, si vous ne voulez pas que mon récit échoue, pour ainsi dire, au port, et que l'ordre de la scène soit confondu; c'est le moment de la faire changer de décoration. C'est moi qui doit être l'acteur; je vous en ferai d'abord connaître l'auteur; et, si vous le trouvez bon, je vous dirai avec Homère:
Loin de nous, dans la mer, est l'île d'Ogygie ,
distante de la Grande-Bretagne, du côté de l'occident, de cinq journées de navigation. Il y a trois autres îles situées vers le couchant d'été, aussi éloignées de la première qu'elles le sont les unes des autres. C'est dans une de ces îles que, suivant la tradition des Barbares du pays, Cronos est détenu prisonnier par ordre de Zeus, et l'antique [Briarée] ayant reçu la garde, tant des îles que de la mer adjacente qu'on appelle Cronienne, s'était établi non loin de lui. Ils ajoutent que le grand continent qui environne l'Océan est éloigné de l'île d'Ogygie d'environ cinq mille stades, et un peu moins des autres îles; qu'on n'y navigue que sur des vaisseaux à rames , parce que la navigation est lente et difficile à cause de la grande quantité de vase qu'y apportent plusieurs rivières qui s'y déchargent du continent et y font des atterrissements qui embarrassent le fond de la mer; ce qui a fait croire anciennement qu'elle était glacée. Les côtes du continent, disent-ils encore, sont habitées par des Grecs, qui s'étendent le long d'un golfe non moins grand que les Palus Méotides, et dont l'embouchure répond précisément à celle de la mer Caspienne. Ils se regardent comme habitants de la terre ferme, et nous comme des insulaires, parce que la terre que nous habitons est entourée par la mer. Les compagnons d'Héraclès, qui furent laissés dans cette contrée, s'étant mêlé avec l'ancien peuple de Cronos, tirèrent de son obscurité la nation grecque, qui était presque étouffée sous les lois, les mœurs et la langue des Barbares, et ils lui rendirent son ancienne splendeur. Aussi depuis cette époque, Héraclès est de tous les dieux celui qu'ils honorent davantage, et après lui Cronos. Quand l'étoile de Cronos, que nous appelons Phénon, et qui, dans cette île, porte le nom de Nycture , entre dans le signe du Taureau, ce qui arrive après une révolution de trente années, ils se préparent longtemps d'avance à un sacrifice solennel et à une longue navigation, que sont obligés d'entreprendre sur des vaisseaux à rames ceux que le sort a destinés à cette commission, qui exige d'eux un long séjour dans une terre étrangère. Après donc qu'ils se sont embarqués, et qu'ils ont éprouvé chacun des aventures diverses, ceux qui ont échappé aux dangers de la mer abordent dans les îles opposées qu'habitent des Grecs, où ils voient pendant trente jours le soleil se coucher pendant à peine une heure par jour; c'est là toute leur nuit, et les ténèbres même en sont bien peu obscures, et assez semblables au crépuscule. Après y avoir demeuré quatre-vingt dix jours singulièrement honorés et bien traités par les naturels du pays, qui les regardent comme des personnes sacrées et leur en donnent le titre, ils s'abandonnent aux vents et retournent dans leur île. Ils en sont les seuls habitants, eux et ceux qui les y ont précédés. Quand ils ont servi pendant trente ans au culte de Cronos, ils sont libres de retourner dans leur patrie; mais la plupart préfèrent vivre tranquillement dans cette île, les uns par l'habitude qu'ils en ont contractée, les autres parce que, sans travail et sans affaires, ils y trouvent abondamment tout ce qui leur est nécessaire pour leurs sacrifices, pour leurs fêtes publiques, et pour l'entretien de ceux d'entre eux qui s'occupent continuellement de l'étude de la philosophie et des lettres.
Ils disent que la température du climat de l'île, et l'air qu'on y respire, sont délicieux. Quelques-uns des habitants ayant formé le dessein de s'en retourner dans leur pays, le dieu s'y opposa, en se montrant à eux comme à des amis, non seulement en songe ou sous des voiles symboliques, mais d'une manière sensible. Plusieurs avaient vu des génies et conversé avec eux. Cronos lui-même est couché et endormi dans l'antre profond d'un rocher aussi brillant que l'or. Zeus lui a donné pour chaîne le sommeil. Au dessus du rocher on voit voltiger des oiseaux qui lui apportent de l'ambroisie, dont l'odeur, qui semble sortir de ce rocher comme d'une source, remplit toute l'île d'un parfum admirable. Cronos a pour ministres les génies, qui le servent assidument. Ils étaient ses courtisans et ses amis dans le temps qu'il régnait sur les dieux et sur les hommes. Comme ils possèdent l'art de la divination, ils annoncent souvent d'eux-mêmes l'avenir; mais les prédictions les plus importantes, et qui roulent sur de plus grands objets, ils les font quand ils sortent d'auprès de Cronos, dont ils racontent les songes, dans lesquels ce dieu voit tous les desseins de Zeus. Son réveil est marqué par des passions tyranniques et par des troubles violents que son âme éprouve; mais son sommeil est doux et tranquille, et c'est dans cet état que sa nature divine et sa souveraineté agissent selon toute leur puissance.
L'étranger de qui je tiens ce récit ayant été conduit dans l'île, y servit paisiblement ce dieu, et s'instruisit, pendant ce temps-là, dans l'astronomie. Il alla dans cette science aussi loin qu'il est possible quand on a fait les plus grands progrès dans la géométrie. Entre les parties de la philosophie, il cultiva particulièrement la physique. Mais il lui prit l'envie d'aller visiter et connaître par lui-même la grande île, car c'est ainsi qu'ils appellent le continent que nous habitons. Lors donc que ses trente ans furent expirés et que de nouveaux ministres du dieu l'eurent remplacé, il prit congé de ses amis et s'embarqua avec un équipage assez simple; mais il avait, dans des vases d'or, d'abondantes provisions de voyage. Pour vous dire toutes les aventures qu'il eut, toutes les nations qu'il parcourut, les textes sacrés qu'il rencontra et les mystères auxquels il fut initié, un jour entier ne suffirait pas si je voulais tout vous raconter en détail comme il le faisait lui-même; car il n'avait rien oublié.
Quant à ce qui regarde notre discussion présente, écoutez ce qu'il en disait, je l'ai appris de lui à Carthage, où il demeura longtemps, singulièrement honoré de tout le monde. Il y découvrit des parchemins qu'on avait transporté secrètement hors de l'ancienne vile lorsqu'elle avait été détruite, et qui étaient restés depuis ce temps-là ensevelis sous terre. Il m'exhortait fort à honorer les dieux qui brillent au ciel, et particulièrement la lune, comme la divinité qui a le plus d'influence sur notre vie. Comme je parus surpris de ce conseil et que je le priai de s'expliquer plus clairement:
“ Sylla, me dit-il, les Grecs parlent beaucoup des dieux; mais tout ce qu'ils en disent n'est pas exact. Par exemple, ils ont raison de reconnaître une Démeter, une Perséphoné, mais ils ont tort de réunir dans un même lieu ces deux divinités; car l'une habite la terre et a l'empire sur toutes les choses terrestres; l'autre est dans la lune, dont les habitants lui donnent le nom de Coré et de Persephoné. Ce dernier signifie qu'elle porte la lumière. On l'appelle Coré, qui veut dire prunelle de l'oeil, dans laquelle les objets se peignent, comme la clarté du soleil est représentée sur la lune. Ce qu'ils disent des voyages de ces deux déesses qui se cherchent mutuellement est en partie vrai: elles s'entre-désirent quand elles sont séparées, et s'embrassent souvent dans l'ombre. Que Coré soit tantôt au ciel et éclairée, tantôt dans la nuit et les ténèbres, cela n'est pas absolument faux, il n'y a erreur que dans le calcul du temps; car nous la voyons, non pas six mois de suite, mais de six en six mois, cachée sous la terre comme sous sa mère, et enveloppée dans l'ombre, ce qui arrive rarement dans les cinq mois d'intervalle, parce qu'il est impossible qu'elle abandonne Hadès, son époux, comme Homère le donne adroitement à entendre, quoiqu'en termes couverts, lorsqu'il dit:
Aux champs de l'Elysée, aux confins de la terre .
“ Il appelle les confins de la terre l'endroit où son ombre finit. C'est là que nul homme méchant et souillé ne peut parvenir. Les gens vertueux seuls y sont transportés après leur trépas, et y mènent, jusqu'à leur seconde mort, une vie tranquille, mais non entièrement heureuse et divine.
“ Ne me demandez point, Sylla, quel est ce genre de vie, je vous l'apprendrai bientôt. Le vulgaire croit avec raison que l'homme est un être composé; mais il se trompe en ce qu'il le croit composé seulement de deux parties, parce qu'il s'imagine que l'intellect n'est qu'une portion de l'âme; mais cette faculté est aussi supérieure à l'âme que celle-ci est plus parfaite et plus divine que le corps. Cette union de l'âme avec l'intellect fait la raison; son union avec le corps fait la passion, dont l'une est le principe du plaisir et de la douleur, l'autre, de la vertu et du vice. De ces trois parties jointes ensemble dans la génération de l'homme, la terre a produit le corps, la lune a formé l'âme, et le soleil l'intellect. Celui-ci est la lumière de l'âme comme le soleil est la lumière de la lune. Des deux morts que nous éprouvons, l'une réduit ces trois substances à deux, et l'autre à une seule. La première a lieu dans la région de Démeter, et c'est pour cela que nous lui faisons des sacrifices. Aussi les Athéniens donnaient-ils anciennement aux morts le nom de Démétrioi. La seconde mort arrive dans la lune, région de Persephoné. Hermès terrestre habite avec la première de ces déesses, et Hermès céleste avec la seconde. Démeter sépare promptement et avec violence l'âme d'avec le corps. Persephoné ne divise l'intellect d'avec l'âme que lentement et par des moyens doux. On lui donne le nom de Monogène, parce que après la division qu'elle a faite dans l'homme, ce qu'il y a de meilleurs en lui se trouve seul et unique, et l'un et l'autre est conforme à la nature. Toute âme qui sort du corps avec ou sans intellect est obligée, par une loi du destin, d'errer un certain temps dans la région qui est située entre la terre et la lune; mais ce temps n'est pas le même pour toutes. Celles qui ont été injustes et débauchées y subissent la peine de leurs crimes. Les âmes vertueuses y sont détenues jusqu'à ce qu'elles aient été purifiées des taches que leur a fait contracter leur commerce avec le corps, ce principe fécond de mal; mais elles sont dans un lieu où elles respirent l'air le plus pur; on l'appelle le verger d'Hadès, et elles y passent un temps déterminé. Ensuite, rappelées comme d'un long exil dans une terre étrangère, elles rentrent dans leur patrie et y goûtent une joie semblable à celle que ressentent ceux qui sont initiés aux mystères, joie mêlée de trouble et d'étonnement, et chacune avec ses espérances particulières.
“ Plusieurs sont poussées avec force hors de ce séjour, et brûlent d'être réunies à la lune. Quelques unes sont encore dans le bas, et ont leurs regards tournés comme vers un gouffre profond. Pour celles qui sont parvenues à la région supérieure, elles y jouissent d'une parfaite sécurité. Premièrement elles reçoivent, comme les vainqueurs des jeux solennels, des couronnes, qu'on appelle les ailes de la constance, parce qu'elles l'ont tenue dans une entière dépendance. Secondement, elles ressemblent à un rayon de soleil. Troisièmement, l'âme élevée dans cette région y est affermie et fortifiée par l'air qui environne la lune, et elle y prend de la vigueur, comme le fer en reçoit de la trempe qu'on lui donne. Ce qui est rare et lâche se resserre et se condense, devient ferme et transparent; en sorte que la moindre exhalaison de la terre suffit à sa nourriture. Et Héraclite a eu raison de dire que dans la région d'Hadès les âmes respiraient une odeur agréable.
“ Là elles voient d'abord la grandeur et la beauté de la lune; elles connaissent sa nature, qui n'est ni simple, ni sans mélange, mais une sorte de composé d'astre et de terre; car, comme la terre s'amollit quand est mêlée d'air et d'humidité, que le sang distribué dans les chairs leur donne de la sensibilité, de même, dit-on, la lune, par son mélange avec l'éther qui en pénètre toute la profondeur, devient animée et féconde, et se conserve dans un juste équilibre de pesanteur et de légèreté. Le monde lui-même, ainsi composé de substances, dont les unes tendent naturellement vers le haut et d'autres vers le bas, n'est sujet à aucun changement local. C'est ce que Xénocrate même semble avoir aperçu par une sorte de raisonnement divin dont Platon lui a fourni la première idée. Ce dernier philosophe a le premier avancé que chaque astre est composé de terre et de feu liés ensemble par des substances intermédiaires distribuées dans une certaine proportion, parce que rien ne peut devenir sensible à nos yeux que par un mélange de terre et de lumière. Xénocrate dit que le soleil est composé de feu et du premier solide; la lune, du second solide et de l'air qui lui est propre; et la terre, de l'eau, du feu, et du troisième solide. En général, ni un corps dense seul, ni un corps rare seul, ne sont susceptibles de sentiment et d'âme.
“ Voilà ce qu'il disait de la substance de la lune. Quant à sa grandeur et à sa largeur, elles sont beaucoup plus considérables que les géomètres ne le disent. Si elle ne mesure que peu de fois par sa grandeur l'ombre de la terre, ce n'est pas qu'elle soit petite, c'est parce qu'elle y accélère son mouvement, afin de traverser plus promptement cet espace ténébreux à travers lequel elle transporte les âmes vertueuses qui sont pressées d'en sortir et jettent de grands cris tant qu'elles sont dans l'ombre, parce qu'elles n'y entendent point l'harmonie des corps célestes. D'ailleurs les âmes des méchants, qui habitent la partie inférieure de la lune, et qui y sont châtiées, crient et se lamentent en traversant cette ombre. Voilà pourquoi dans les éclipses c'est un usage assez général de frapper sur de l'airain, et de faire un très grand bruit autour de ces âmes, qui sont encore effrayées, lorsqu'elles approchent de ce qu'on appelle la face de la lune, parce qu'elle leur paraît épouvantable à voir, quoiqu'elle ne le soit pas. Mais comme la terre que nous habitons a plusieurs golfes aussi vastes que profonds, dont l'un entre dans notre continent par les colonnes d'Héraclès et s'avance jusqu'auprès de nous, d'autres sont extérieurs, tels que la mer Caspienne et la mer Rouge; il y a de même dans la lune des cavernes et des vallées profondes. La plus grande de ces cavernes s'appelle le gouffre d'Hécate. C'est là que les âmes sont punies de ce qu'elles ont fait ou laissé faire depuis leur naissance. Les deux autres, plus petites, servent de passage aux âmes; l'une mène de la lune au ciel, et l'autre à la terre. La partie de la lune qui regarde le ciel s'appelle l'Elysée, et celle qui est du côté de la terre se nomme le champ de Perséphoné.
“ Les démons ne demeurent pas toujours dans la lune; ils descendent quelquefois sur la terre pour y avoir soin des oracles; ils assistent aux plus saints de nos mystères, et en célèbrent les cérémonies; ils veillent sur les méchants et les punissent, et ils préservent les bons des dangers de la guerre et de la mer. Si dans l'exercice de ces fonctions ils commettent eux-mêmes quelques fautes par colère, par envie, ou par une faveur injuste, ils en sont punis; on les exile sur la terre, où ils sont précipités dans des corps humains. Au nombre des meilleurs génies étaient, à ce qu'ils disaient eux-mêmes, ceux qui accompagnaient Cronos, et plus anciennement en Crète les dactyles idéens , en Phrygie les corybantes , les trophoniades à Udora , et une infinité d'autres répandus en divers lieux sur la terre, et dont les noms, les temples et le culte, subsistent encore. Mais le pouvoir de quelques-uns d'entre eux a cessé, parce qu'ils ont été, par un heureux changement, transportés ailleurs. Ces translations arrivent aux uns plus tôt, aux autres plus tard, après que leur intellect a été séparé de leur âme; séparation qui est l'effet du désir qu'ils ont de jouir de l'image du soleil, dans laquelle brille cette beauté divine, source de tout bonheur, et que toute nature désire, quoique d'une manière différente. La lune elle-même tourne continuellement, par le désir qu'elle a de s'unir au soleil pour recevoir de cet astre sa fécondité. Mais la substance de l'âme reste dans la lune, où elle conserve quelques traces et quelques songes de la vie; et je crois qu'on a eu raison de dire:
Comme un songe léger l'âme s'est envolée
ce qu'elle ne fait pas aussitôt qu'elle a été séparée du corps, mais dans la suite, quand elle se trouve seule et privée de l'intellect. Aussi de tous les passages d'Homère, nul ne me paraît plus divin que celui-ci:
D'Héraclès à mes regards l'ombre s'est présentée;
Car son âme divine habite l'Empyrée.
“ En effet, chacun de nous n'est ni le courage, ni la crainte, ni la cupidité, comme il n'est ni la chair ni les humeurs; mais il est la pensée et l'intelligence. L'âme formée par l'intellect, et formant elle-même le corps qu'elle embrasse de tous côtés, reçoit en même temps de lui son impression et sa forme; en sorte que, même après sa séparation d'avec l'un et l'autre, elle en conserve longtemps la ressemblance et la figure; ce qui fait qu'on l'appelle à bon droit leur image.
“ La lune, comme je l'ai déjà dit, est l'élément de ces âmes, puisqu'elles se résolvent dans cette planète, comme après la mort les corps se résolvent en terre. Les âmes vertueuses qui, éloignées des affaires, ont mené dans la pratique de la philosophie une vie douce et tranquille, éprouvent plus promptement cette résolution, parce que, abandonnées par l'intellect, et renonçant aux affections du corps, elles se dissipent à l'instant. Mais les âmes des ambitieux et des gens plongés dans les affaires, celles des voluptueux, esclaves de leurs sens, celles des hommes coléreux, conservent, comme dans le sommeil, le souvenir de ce qu'elles ont fait pendant leur vie, errent au milieu des songes, comme l'âme d'Endymion, parce que leur inconstance et leur assujettissement aux passions les entraînent hors de la lune, pour commencer une nouvelle génération, et, sans leur laisser goûter de repos, les attirent sans cesse par leur appât séducteur; car on ne voit plus rien en elles de modéré, de paisible et de constant, lorsque, séparées de l'intellect, elles sont saisies par les passions corporelles. Ce sont des âmes de ce caractère qui donnèrent naissance aux géants Tityus, Typhon, et à Python, qui jadis s'empara de Delphes et détruisit avec tant de violence le sanctuaire de l'oracle; âmes privées de raison, et qui se laissent emporter à la fougue de leurs passions insensées. Cependant, au bout d'un certain temps, la lune les reçoit dans son sein et leur donne une nouvelle forme; le soleil, semant une seconde fois l'intellect dans ce principe de leur vie, en fait des âmes toutes nouvelles; et la terre, pour la troisième fois, les revêt d'un corps; car elle ne donne rien après la mort de ce qu'elle prend pour la génération, et le soleil ne reçoit rien, mais il reprend l'intellect qu'il a donné.
“ Pour la lune, elle donne et elle reçoit; elle unit et elle sépare, suivant ses différente facultés. Lorsqu'elle unit, on l'appelle Ilythie, et Artémis quand elle sépare. Des trois Parques, Atropos, placée dans le soleil, donne le principe de la naissance; Clotho, qui suit la lune dans sa révolution, joint et unit; Lachésis, qui est la dernière, et qui réside sur la terre, seconde Clotho, et partage son pouvoir avec la Fortune. Toute substance qui n'a point d'âme ne jouit d'aucun droit, et est exposée à souffrir de tout ce qui l'environne. L'intellect, qui n'est soumis lui-même à aucun pouvoir étranger, exerce sur tout le reste un empire souverain. L'âme est un composé des deux, comme Dieu a formé la lune du mélange des substances supérieures avec les inférieures, et lui a donné avec le soleil la même proportion que la terre a avec la lune.
Voilà, nous dit Sylla en finissant, ce que j'ai entendu raconter à cet étranger. Il disait le tenir des génies qui étaient attachés à Cronos, et qui le servaient. Pour vous, Lamprias, prenez de ce récit telle idée qu'il vous plaira.



L'informateur de Sylla est donc un Breton qui a résidé à Carthage...
Pensez-en ce que vous voulez! :D

A+

Patrice

MessagePosté: Ven 23 Déc, 2005 11:39
de Adcanaunos
:shock: C'est un canular ?
De mémoire d'archéologue des religions, je n'ai jamais vu citer ce texte nulle part - pas chez J.-L. Brunaux, en tous les cas, pourtant amateur de ce genre de friandises.
Un Breton dans la Rome tardo-républicaine, dissertant avec Sylla de ses conceptions religieuses ! A première lecture, le texte est aussi important que ce que nous rapporte Cicéron de son entrevue avec le druide Diviciacos.
Patrice, pourrais-tu nous en dire un peu plus sur le contexte de cette rencontre insolite et l'interprétation historique qui en a été faite ?

MessagePosté: Ven 23 Déc, 2005 11:50
de Patrice
Salut,

Non, non, ce n'est pas du tout une blague. Seulement personne n'a jamais repris la deuxième partie de ce texte et j'ignore pourquoi... Même Guyonvarc'h n'en parle pas. Il n'existe pas de traduction française de qualité: il vaut mieux regarder celle de la Loeb Classical Library. Quand à Brunaux, son inventaire des textes sur la religion gauloise est franchement ridicule: il vaut mieux se référer à Johannes Zwicker, "Fontes religionis celticae antiquae", publié à Bonn et Berlin dans les années 30.

Dis, il me semblait que je t'avais envoyé un tiré à part de mon article publié à ce sujet dans Ollodagos (vol. XVIII)?

Le Sylla en question n'est bien sûr pas le Sylla historique mais un contemporain de Plutarque.

Je sais bien que ce texte est une "bombe" pour la connaissance de la religion celtique... Mais jusqu'ici, malgré l'avoir signalé plusieurs fois, je n'ai guère eu d'échos...

A+

Patrice

MessagePosté: Ven 23 Déc, 2005 11:58
de Adcanaunos
Tant pis pour la vision romantique d'un Plutarque et d'un Sylla se livrant à un dialogue imaginaire à travers les âges. Le contexte historique auquel se réfère le texte est plus récent, mais cela n'ôte rien à son intérêt !
Pris en flagrant délit, concernant ton article : il se situe en bonne position, au-dessus de la pile de dossiers auxquels je n'ai pas eu le temps de m'atteler depuis cet été. Je le lirai avec d'autant plus d'attention !

MessagePosté: Ven 23 Déc, 2005 12:01
de Patrice
Héhéhé...

Tu vas voir: il y a plein de choses dans ce texte: sur la durée du siècle gaulois, sur le signe du Taureau, etc...

Bonne lecture!

A+

Patrice

MessagePosté: Ven 23 Déc, 2005 13:23
de Muskull
J'en avions causé v'là longtemps. :oops:
http://forum.arbre-celtique.com/viewtop ... =5746#5746

J'avais la cote avec les smyleys en ce temps là. :lol:

MessagePosté: Ven 23 Déc, 2005 16:57
de Muskull
Il est quand même un peu zarbi ce texte, je comprends la surprise de notre ami.
Ce concept philosophique des 3 corps est néoplatonicien en diable, celui de la lune comme monde "intermédiaire" se retrouve dans la Kaballe hébraïque médiévale qui, on le sait, a été élaborée en Espagne lors de la rencontre pacifique des 3 religions du Livre, de l'Ecrit plutôt. (il a d'ailleurs donné le concept du purgatoire chrétien plus tard)
Plutarque est du premier siècle, il se référencie aux pré-socratiques, il y a un drôle de méli-mélo avec des théories alexandrines plus tardives du 2° et 3° siècle.
C'est peut-être pour cela que les spécialistes l'éludent car ils s'en méfient, moi il me laisse perplexe car j'y retrouve peu des mythes celtiques et beaucoup des théories alchimiques médiévales basées justement sur les néo-platoniciens. Qu'en penses-tu Fergus ?
Les daïmons et non "démons" qui descendent de la lune pour inspirer les oracles, ça c'est socratique et lié à l'influence chamanique sur la philosophie grecque (voir le fil). L'allégorie du soleil qui recueille l'intellect, c'est du Ibn Sena (Avicenne) tout craché dans sa vision des temps différentiels et cycliques liée à un monisme inspiré. L'on connaît aussi son influence sur la pensée médiévale et la contradiction d'Avéroès à son sujet qui à conduit, par adoption du "monisme restreint" de Spinoza au cartésianisme.

N'y aurait-il pas là un ajout d'un "savant" néoplatonicien au manuscrit originel vers le III / IV° siècle ? Comment le savoir...

MessagePosté: Ven 23 Déc, 2005 17:40
de Patrice
Salut,

Non non, pas d'ajout possible. D'ailleurs le dialogue est incomplet. Nous n'en avons qu'un très large fragment.

Sur la notion de Purgatoire, Jacques Legoff pense que l'influence irlandaise sur cette conception est déterminante: elle introduit une notion de durée que le "feu purificateur" du "proto-purgatoire" (le terme est de moi) n'a pas.

Dans mon article, j'ai fait état de cette conception triple (en fait quintuple) de l'homme comme étant probable chez les Celtes: les Grecs l'ont connu, mais aussi les Hindous. Cette conception peut très bien appartenir au plus ancien fond eschatologique indo-européen.

Il faudrait que je demaned à Claude Sterckx l'autorisation de mettre mon article en ligne pour que j'évite de refaire tout l'argumentaire...
Mais ceci-dit, il ne faut pas hésiter à poser des questions.

Muskull, Avicenne n'était-il pas lui-même un grand commentateur de Platon? :wink:

Plutarque était un initié des mystères dyonisiaques. Or ce qu'on sait des cultes dyonisiaques ne coincide pas avec ce qui est dit dans ce discours. Donc soit Plutarque a inventé (ce qui paraîtrait étrange dans un dialogue de type platonicien didactique), soit il a transcrit quelque chose de réel.

A+

Patrice