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Re: Dieu psychopompe

MessagePosté: Sam 10 Avr, 2010 19:37
de Taliesin
Bonjour à tous !

concernant la tripartition, il me semble quand même qu'on ne passe pas directement des druides aux chansons de geste : le schéma des trois ordres fonctionnels est établi dès l'époque carolingienne par des milieux ecclésiastiques (école de Laon et d'Auxerre) fortement influencés par les moines irlandais. Et, comme le disait René Louis, "l'épopée française est carolingienne", c'est-à-dire que les principaux héros des chansons de geste renvoient à des personnages historiques de l'époque carolingienne : Guillaume, comte de Toulouse sous Louis le Pieux, par exemple.

On remarque que ces personnages historiques viennent en majorité du nord de la Francie (en gros d'Austrasie) et se voient confier des postes de comtes un peu partout dans l'Empire. La famille de Guillaume, austrasienne d'origine, a reçu un commandement en Bourgogne (Thierry, père de Guillaume, à Autun), puis en Aquitaine et en Marche hispanique.

D'autre part, il y a certainement eu des récits en occitan sur les exploits de Guillaume, Aimeri, ou Raynouart (qui ressemble énormément au Dagda). Mais rien ne permet de penser que tout ce qui est celtique dans ces épopées est une survivance gauloise, surtout dans une région (Narbonnaise) romanisée très tôt.

En fait, toutes ces chansons de geste émergent et sont mises par écrit à une époque bien précise : celle de la Reconquista et des croisades. La mise par écrit des chansons de geste est également postérieure à la conquête de l'Angleterre par les Normands et donc à la rencontre entre ces derniers et le monde celtique insulaire. Or, ces Normands sont très présents partout où s'affrontent guerriers chrétiens et musulmans : Terre Sainte, Sicile, Espagne. Ils combattent en Espagne aux côtés des Aquitains. Un peu plus tard, les Plantagenêts, dans leur volonté de mettre la main sur le comté de Toulouse, vont s'intéresser de près aux affaires politiques de la vicomté de Narbonne et du royaume d'Aragon.

En bref, je verrais bien deux vagues celtiques venir imprégner l'épopée française : la première dès sa naissance, sous les Carolingiens, par l'influence de moines irlandais ; la seconde, venant plutôt du monde brittonique (Bretagne et Galles) et transmise par les Anglo-Normands. On remarquera par ailleurs que les plus anciens manuscrits des chansons de geste sont écrits en anglo-normand.

Enfin, dès la fin du 12ème siècle, on voit arriver dans les chansons de geste des personnages de la légende arthurienne (ex. : la Bataille Loquifer). Mabon en est peut-être un exemple : il est déjà présent chez Chrétien de Troyes dans le nom de Mabonagrain, ou dans le Lanzelet, où il est le magicien Mabuz.
Quant au géant Corsolt, il s'agit sans doute de l'éponyme de la ville de Corseul dans les Côtes-d'Armor.

En tout cas, on remarque une évolution de la chanson de geste, de l'épique guerrier au merveilleux, de la Chanson de Roland à Huon de Bordeaux, par exemple, et cette évolution est due plus certainement à l'infusion arthurienne apportée à l'épopée française, plus qu'à une résurgence d'un fonds ancien.

Re: Dieu psychopompe

MessagePosté: Dim 11 Avr, 2010 0:00
de Sedullos
Merci Taliesin pour ces précisions.

Taliesin a écrit:concernant la tripartition, il me semble quand même qu'on ne passe pas directement des druides aux chansons de geste : le schéma des trois ordres fonctionnels est établi dès l'époque carolingienne par des milieux ecclésiastiques (école de Laon et d'Auxerre) fortement influencés par les moines irlandais.
Bien sûr. Dumézil à la suite de Daniel Dubuisson y voyait aussi l'influence des Saxons de la cour de Charlemagne, notamment Alcuin. La filiation selon Dubuisson : Irlande-Grande-Bretagne-Cour de Charlemagne-Haymon d'Auxerre. Cf Georges Dumézil, Entretiens avec Didier Eribon et Apollon sonore



Et, comme le disait René Louis, "l'épopée française est carolingienne", c'est-à-dire que les principaux héros des chansons de geste renvoient à des personnages historiques de l'époque carolingienne : Guillaume, comte de Toulouse sous Louis le Pieux, par exemple.


Aïmer a pu être inspiré par Hadhemar, comte de Narbonne à l'époque de Louis le Pieux.

Quant au géant Corsolt, il s'agit sans doute de l'éponyme de la ville de Corseul dans les Côtes-d'Armor.

Nom qui vient des Coriosolites, donc des Gaulois. :wink:

Re: Dieu psychopompe

MessagePosté: Dim 11 Avr, 2010 0:36
de Patrice
Salut,

Taliesin a écrit:Bonjour à tous !

concernant la tripartition, il me semble quand même qu'on ne passe pas directement des druides aux chansons de geste : le schéma des trois ordres fonctionnels est établi dès l'époque carolingienne par des milieux ecclésiastiques (école de Laon et d'Auxerre) fortement influencés par les moines irlandais. Et, comme le disait René Louis, "l'épopée française est carolingienne", c'est-à-dire que les principaux héros des chansons de geste renvoient à des personnages historiques de l'époque carolingienne : Guillaume, comte de Toulouse sous Louis le Pieux, par exemple.


Ok. Pour les noms des personnages. Mais le histories en elles-même?

Taliesin a écrit:D'autre part, il y a certainement eu des récits en occitan sur les exploits de Guillaume, Aimeri, ou Raynouart (qui ressemble énormément au Dagda). Mais rien ne permet de penser que tout ce qui est celtique dans ces épopées est une survivance gauloise, surtout dans une région (Narbonnaise) romanisée très tôt.


Ce qui ne veut pas dire grand chose: bien des éléments du folklore provençal remontent à une origine celtique. Et j'ai du mal à penser que le peuple de la Narbonnaise s'amusait en se racontant uniquement l'Enéide, l'Illiade et l'Odyssée.

Taliesin a écrit:En fait, toutes ces chansons de geste émergent et sont mises par écrit à une époque bien précise : celle de la Reconquista et des croisades. La mise par écrit des chansons de geste est également postérieure à la conquête de l'Angleterre par les Normands et donc à la rencontre entre ces derniers et le monde celtique insulaire. Or, ces Normands sont très présents partout où s'affrontent guerriers chrétiens et musulmans : Terre Sainte, Sicile, Espagne. Ils combattent en Espagne aux côtés des Aquitains. Un peu plus tard, les Plantagenêts, dans leur volonté de mettre la main sur le comté de Toulouse, vont s'intéresser de près aux affaires politiques de la vicomté de Narbonne et du royaume d'Aragon.


La mise en écrit. Mais la composition?

Taliesin a écrit:En bref, je verrais bien deux vagues celtiques venir imprégner l'épopée française : la première dès sa naissance, sous les Carolingiens, par l'influence de moines irlandais ; la seconde, venant plutôt du monde brittonique (Bretagne et Galles) et transmise par les Anglo-Normands. On remarquera par ailleurs que les plus anciens manuscrits des chansons de geste sont écrits en anglo-normand.


Je ne vois rien d'irlandais dans les chansons de geste, personnellement. Par contre de brittonique, oui, j'en ai montré. Mais cela ne peut-il non plus être gaulois?

Taliesin a écrit:Enfin, dès la fin du 12ème siècle, on voit arriver dans les chansons de geste des personnages de la légende arthurienne (ex. : la Bataille Loquifer). Mabon en est peut-être un exemple : il est déjà présent chez Chrétien de Troyes dans le nom de Mabonagrain, ou dans le Lanzelet, où il est le magicien Mabuz.


Pour Mabon, ok. Mais pour l'émir Balan? Et pour Tervagant (et même le Baligan de la Chanson de Roland, qui appartient au folklore normand non germanique)? Et puis surtout pour les personnages de la chanson de Fierabras que j'ai cité plus haut? Le nom de Lleu était-il encore compris dans son rapport avec la lumière pour qu'il devienne "Lucifer"? Et Floripas?

Taliesin a écrit:Quant au géant Corsolt, il s'agit sans doute de l'éponyme de la ville de Corseul dans les Côtes-d'Armor.

Continental, là encore.

Taliesin a écrit:En tout cas, on remarque une évolution de la chanson de geste, de l'épique guerrier au merveilleux, de la Chanson de Roland à Huon de Bordeaux, par exemple, et cette évolution est due plus certainement à l'infusion arthurienne apportée à l'épopée française, plus qu'à une résurgence d'un fonds ancien.

Ca c'est assez probable, effectivement, mais je reste persuadé que le fonds ancien a joué aussi, pour la bonne raison que littérature orale et littérature savante s'influencent mutuellement en permanence, et il serait inimaginable que les légendes locales ne soient pas intégrées dans ces textes. Voir le bel exemple de la Chanson d'Aiquin.

A+

Patrice

Re: Dieu psychopompe

MessagePosté: Dim 11 Avr, 2010 11:19
de Sedullos
Salut à tous,

Georges Dumézil a écrit:«La découverte que Joël Grisward a faite sur le cycle épique des Narbonnais, dominé par l’idéologie des trois fonctions construite sur un schéma qui fait plus que rappeler, qui recouvre le cycle indien de Yayāti, enseigne au moins que d’autres filières, wisigothiques par exemple, peuvent avoir importé le schéma. Quant à moi, pour des raisons qu’il n’y a pas lieu, ici, de développer, en ce qui concerne le témoignage de l’Auxerrois, je continue, à travers Alcuin, à demander au Nord ses lumières.»


source = Entretiens avec Didier Eribon / Georges Dumézil.- Gallimard, 1986.- 222 p.- (Folio. Essais ; 51), p. 149

Re: Dieu psychopompe

MessagePosté: Dim 11 Avr, 2010 11:31
de Sedullos
A noter que les Sarrasins du Charroi de Nîmes, transformés en polythéistes comme leurs cousins de La Chanson de Roland, prient Mahomet, considéré comme un dieu, Apolin et Tervagan /Tervagam

Quant à Guillaume d'Orange, il s 'agit d'un Narbonnais, pas d'un Franc comme le comte Guillaume de Toulouse.

Lequel est mort en 812 sous le règne de son cousin Charlemagne et non pas sous celui de Louis Le Pieux.

D'après Claude Lachet, éditeur de Le Charroi de Nîmes, Gallimard, 1999, un cycle épique relatif à Guillaume existait déjà autour l'an 1000, il y a même un diplôme limousin, Saint-Yrieix-de-la Perche, daté de 1090, mentionnant Guillelmo Curbinaso (au Court Nez) et Bertranno validissimo, (Bertrand le très fort)

Re: Dieu psychopompe

MessagePosté: Dim 11 Avr, 2010 19:32
de Muskull
Bonjour,
A mon modeste sens je pense que les mythes durent très longtemps et qu'ils se "colorent" dans la tradition orale en fonction des disants, des auditeurs et du temps.
André Guilaine dit que le mythe du héros, central en toutes les épopées, est né au chalcholitique en Europe mais je pense qu'il est bien plus ancien. Un très bon guerrier investit de cette "rage" peut faire basculer un combat de simple territoire, de gué, vers une union entre tribus qui peut concocter une naissance de royaume en son caractère sacré en ces temps car il semble alors investit de la puissance "divine".
Plus tard ce mythe, via les disants assujettis au temps de leur parole peut se retrouver coloré de trifonctions et se diluer dans l'historicité avec les noms de héros historiques ou imaginaires plus récents.
Mais le mythe est le même, il s'est juste "coloré".

Pour être plus clair je soutiens les analyses de Patrice mais les élargit dans le temps. :wink: