Je tenais à vous remercier pour vos commentaires et interprétations concernant cette stèle. Voici mes notes de lecture la concernant.
Salutations à tous !
Notes concernant la divinité à triple visage de NasiumDimensions de l’objet : Largeur : de 21,3 à 22 cm
Hauteur : 31,5 cm
Epaisseur : 15 à 16 cm
Origine et provenance : Acquisition du musée des antiquités nationales réalisée en 2007.
Le vendeur déclare que l’objet est issu d’une découverte ancienne réalisée en 1926 au « cul d’Breuil », sur la foi d’une étiquette collée sur la sculpture. Néanmoins, l’étiquette mentionnée n’est pas parvenue au musée qui ne peut confirmer.
Le cul du Breuil est un lieu-dit situé au pied de l’oppidum de Boviolles, territoire de Saint Amand sur Ornain.
La sculpture est réalisée en pierre de Savonnières en Perthois.
Localisation de la trouvaille : Les dimensions de l’objet sont très réduites. Par conséquent, il peut avoir été transporté très facilement.
Ajouté au fait que sa localisation n’est donnée que sur la déclaration du vendeur, et sur la bonne foi d’une étiquette aujourd’hui disparue, il convient de considérer cette localisation avec grande précaution.
La pierre de Savonnières a servi à réaliser l’essentiel des sculptures, constructions et monuments de la ville de Nasium. Il est donc plausible que celle-ci provienne réellement de la ville. On ne retiendra donc que cette possibilité de provenance, mais uniquement comme hypothèse. Quant à sa localisation exacte sur le site, elle n’a aucun sens à mon avis.
Décor : Sculpté en bas relief sur deux faces.
Face principale :
La sculpture tient dans un rectangle de 20X17 cm, délimité par une gorge.
Le bandeau inférieur, sous le visage, est plat, régulier, haut de 8,5 cm.
Les autres bandeaux, qui encadrent le visage, font 2 à 2,5cm.
Pas de trace de peinture, d’inscription à la base.
Sommet :
Deux cylindres (largeur 1,8 cm à gauche, 1,9 à droite) penchés, qui se rejoignent pour former une pointe. L’auteur ne donne pas leur longueur.
A leur base, un empattement (largeur 3,9 cm à gauche, 4,3 cm à droite)
L’empattement du cylindre de droite comporte quatre hachures verticales sur sa tranche (pas visible sur la photocopie…) . Juste au dessus, sur le plat, est dessiné un arc de cercle à 1 cm environ de la sculpture.
A mi hauteur de chaque cylindre : une forme en ailette double, rattachée sur le cylindre. (largeur : 5,1 cm à gauche, 5,9 cm à droite)
A gauche : une forme en arc de cercle de 7,5 cm de long et 1,5 de large. Elle touche le cylindre de gauche et disparaît dans le plat de la sculpture.
Les lignes profondes, observables sur la photocopie semblent dater de l’époque de réalisation de la sculpture.
Ce décor est plus irrégulier et moins soigné que celui de la face principale.
Fréquence de la représentation, et comparaison avec le corpus existant : Il existe, pour l’époque romaine, 30 représentations par des sculptures en pierre de divinités ayant 3 visages, et quelques rares statuettes de bronze.
Ces représentations concernant à la fois des divinités masculines et féminines.
La tricéphalie caractérise et multiplie la puissance de la divinité représentée.
La densité particulièrement forte des trouvailles à REIMS et dans les environs proches fait penser à une origine Rème du thème. Mais le manque de précision des datations est extrêmement gênant (trouvailles fortuites, hors contexte).
Le catalogue ESPERANDIEU en décrit une demi-douzaine, presque identiques, rien que pour REIMS (3651, 3652, 3654, 3656, 3657, 3658, 3659) entiers ou endommagés.
En dehors du pays Rème et Nervien, presque toutes les trouvailles s'éparpillent au long du réseau routier stratégique et commercial (Voie AGRIPPA) qui s'étend de la vallée du Rhône à la Germanie d'un côté et à la Manche de l'autre.
Datation : S’agissant d’une œuvre trouvée hors de tout contexte : datation impossible.
Les œuvres similaires sont datables de la fin du IIè siècle au IIIè siècle après Jésus-Christ.
Association possible de la divinité avec le dieu Mercure : Hypothèse défendue par S. REINACH, N. MOINE etc....
S'appuyant sur certaines décorations annexes, ils pensent qu'il s'agit d'un MERCURE local,
Certains blocs de Reims comportent des sculptures complémentaires sur le dessus de la stèle. Elles représentent souvent un bélier et un oiseau/ un coq.
Un bloc de Soissons, haut de 105 cm, offre une représentation de la même divinité à triple visage surmontant un bandeau où figure une tête de bélier à gauche et un coq à droite.
Stèle découverte à Soissons en 1923.
Ces éléments, le coq et le bélier, font partie des attributs permettant l’identification de Mercure.
La documentation, trop restreinte, ne permet pas cependant de généraliser l’association d’une représentation d’un dieu barbu à triple visage d’une part, avec le dieu Mercure d’autre part.
Ces représentations doivent être traitées au cas par cas et il faut parler d’identification, d’assimilation ou d’association selon les cas.
De plus, les représentations figurant au sommet de la stèle de Saint Amand sur Ornain ne figurent aucun des attributs de Mercure.
Association avec Cernunnos : Les objets figurant sur le sommet de la stèle pourraient être des bois de cerf, rapprochant la sculpture au dieu Cernunnos dont 3 ou 4 représentations le font apparaître doté de 3 visages.
Mais la représentation des bois sur la stèle de Saint Amand n’est pas naturelle (droite et rigide), et serait une représentation absolument unique dans le corpus documentaire disponible. Elle doit donc être écartée.
Usage de ces représentations : L’absence de fouilles régulières entourant la découverte de ces sculptures ne permet pas d’en définir une localisation et une fonction funéraire précise. On en est réduit à extrapoler. Les principales hypothèses sont les suivantes :
- Stèle placée en contexte funéraire :
Mercure a un rôle psychopompe à Rome : il conduit les âmes des défunts. Mais ce rôle est peu attesté en Gaule. Certaines trouvailles du même type seraient localisables dans un contexte funéraire : monument dit « Aux armes de Mars » (Paris), relief d’Auch, le bloc de la Malmaison, fragment de relief sculpté de Trèves, relief de Metz (perdu). Trois faces peuvent correspondre au passé, au présent et à l'avenir.
- Sanctuaire domestique :
Les dimensions réduites de ces stèles les rendent utilisables dans les petites niches des autels domestiques.
- Sanctuaire public :
Une stèle de ce type a été retrouvée dans le puits d’un sanctuaire.
- Divinités de carrefour :
Il s’agirait de dieux topiques, placés à des carrefours. Un carrefour se traduit par τρίοδος en grec, et Hécate, déesse des carrefours, est tricéphale.
Si le dieu dont il est question peut être assimilé à Mercure, cette hypothèse aurait une certaine force. De plus, la plupart des sculptures de ce type qui ont été retrouvées étaient placées dans un contexte urbain. Les triplements du visage lui permet de surveiller toutes les routes à la fois.
Autres interprétations de la Triplicité du dieu : • DUMEZIL considère qu'il s'agit de l'expression des trois pouvoirs tels qu'il les a distingués dans le monde indo-européen, et particulièrement dans les cultures celtes : pouvoir royal, sacerdotal et économique.
• On peut penser aux états différents d'un même être tels que : sommeil, rêve et veille ou encore à ses passages à travers les trois mondes (ciel, air et terre) de la cosmologie celtique, sinon à un passage dans le temps. La triplicité représente dans ce cas la totalité du passé, du présent et de l'avenir Dictionnaire des Symboles de Chevalier & Gheerbrant
• J.J.HATT le tricéphale représente, soit Trois personnages divins associés dans un mythe commun, soit le même personnage dans trois étapes (avatars au sens hindou du terme) d'un parcours mythique personnel, ou un mélange des deux.
Sources :
"Une divinité à triple visage de Naix-aux-Forges (Meuse). Une nouvelle sculpture en pierre au musée d'Archéologie nationale", Antiquités nationales, 38, 2006-2007 [2008], p. 9-20.
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