Dans l'article ci-joint (voir le fil « du gaulois à l'ancien français : fronchier »), G. Taverdet émet l'hypothèse d'un aboutissement à f à partir de la labio-vélaire *kw primitive, au lieu du p, au moins à partir des parlers gallo-romans :
Gérard Taverdet a écrit: la consonne [p] dans les formes dʹorigine celtique représente lʹancienne labio-vélaire [kw], conservée en latin, mais devenue en grec [t] ou [p]; mais l’ancienne labio-vélaire devient-elle toujours [p]? En ce qui concerne le gaulois proprement dit, nous nʹavons aucun élément qui permettrait de révoquer en doute cette affirmation. Mais peut-on en dire autant des parlers gallo-romans? On part du fait suivant: le [p] gaulois, issu de la labio-vélaire, est exactement le même que le [p] latin. Il est permis dʹavoir quelques doutes sur cette affirmation, certes raisonnable, mais quʹon ne peut réduire à un axiome.
Nos doutes sont apparus en effet quand nous avons examiné le site de Fromenteau, village partagé entre les communes de Trouhaut et de Saint-Martin-du-Mont (Côte-d’Or). Ce village apparaît à partir du XIVe siècle sous la forme constante de Froid Manteau (nous ne tiendrons pas compte des variantes); cʹest aussi sous ce nom que le village est cité par les voyageurs et pèlerins champenois qui se rendent en Savoie ou dans le sud de la France (pour éviter la route de Dijon, coupée par deux vallées assez difficiles à franchir pour les voitures)12. Mais on peut se demander à quoi correspond cette appellation pour le moins surprenante? Ce manteau, peu fréquent en toponymie, a-t-il une réalité topographique?13
Il a évidemment surpris les topographes modernes qui en ont fait un fromenteau, “lieu planté de fromen” ou “terre argileuse” (TAVERDET 1973, I, carte 259).
Le site lui-même est intéressant; le village était un lieu où se croisaient deux routes, cʹest-à -dire quatre directions; nous avions la route de la Champagne à Beaune, dont nous venons de parler; cette route est aujourdʹhui bien abandonnée et se perd parfois dans les champs (surtout parce que le passage par Dijon sʹest considérablement amélioré); la seconde direction correspond à lʹancienne voie romaine qui conduisait de Langres à Autun; elle nʹest plus utilisée sur tout le parcours, mais, à la hauteur de Fromenteau, cʹest une route goudronnée encore très fréquentée. Dans le village lui-même, il nʹexiste plus dʹauberge, mais on voit encore une chapelle au vocable de saint Éloi ; on sait que ce saint est important sur les routes anciennes et quʹil est souvent considéré comme lʹavatar chrétien de la déesse gauloise Eppona, déesse des chevaux et des voyageurs et dont le culte sʹest prolongé pendant la période gallo-romaine.
Si nous admettons que le [p] gaulois (issu de la labiovélaire [kw]) a pu connaître en roman dʹautres aboutissants que le [p] traditionnellement admis, on pourrait alors proposer pour Fromenteau une autre explication; dans -menteau, nous pourrions voir un dérivé du gaulois manthalo- “chemin” (interprété, comme nous lʹavons vu, par la suite par manteau ou (fro)mentau; et dans fro- un autre élément gaulois bien connu, mieux connu certes sous la forme petru- “quatre”16. Fromenteau serait alors “es quatre routes”, “le carrefour”!
Dans ce cas, il est évident que la paronymie constante a joué un rôle important; cependant la présence dʹun [r] aurait pu perturber le maintien du [p] sous sa forme gauloise.
Il sera ici difficile de dire que lʹhypothèse étymologique ne coïncide pas parfaitement avec la géographie du site.
L'illustration de cette hypothèse petru-mantalon > Fromenteau peut se voir à Trouhaut (21).
Les quatre chemins sont visibles à La Croix de Fromenteau, lieu-dit du village d'Autry-Issards (Nièvre), mais aussi à Fromental (Haute-Vienne), Bessais-le-Fromental (Cher) et Grézieux-le-Fromental (Loire). Pour ces trois lieux, utiliser géoportail et entrer « fromental ».
L'hypothèse est séduisante, mais il faudrait confirmer l'ancienneté des voies dans chaque cas.