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"nate, nate Synforiane, mentobeto to diuo"

MessagePosté: Lun 13 Avr, 2009 1:33
de Orgenomeskos
Salut,

Certains d'entre vous connaissent certainement ce passage de la Vie de saint Symphorien, martyrisé à Autun en 180. La Vita Sancti Symphoriani a été rédigée autour de Ve s. et nous livre une phrase en gaulois.

Anonyme, Vita Sancti Symphoriani : "uenerabilis mater sua de muro sedula et nota illum uoce Gallica monuit dicens : "nate, nate Synforiane, mentobeto to diuo" "


On reconnaît aisément dans le terme nate une formulation tardive (nate dans le glossaire d'Endlicher - De nominibus Gallicis) du gaulois gnatos "fils" et diuo "dieu". Qu'en est-il pour mentobeto ? J'ai lu dans Adams J.-N. (2003, Bilingualism and the Latin Language) que ce terme était une forme impérative du verbe latin mente habere. Ce verbe serait à l'origine du vieux français "mentevoir" et du provençal "mentaure". Le même auteur persiste et signe en 2008 dans son livre The Regional Diversification of Latin, 200 BC - AD 600. Je ne trouve aucun autre auteur évoquant cette affiliation. Des avis divergents existent-ils quant au rapprochement mentobeto < mente habere ?

MessagePosté: Lun 13 Avr, 2009 20:52
de André-Yves Bourgès
Bonsoir,

L'édition de la vita sancti Symphoriani dans l"édition des Acta sanctorum (Aug. IV, p. 497) donne le texte suivant :

Venerabilis autem mater sua de muro nota illum voce commonuit dicens : "nate, nate Symphoriane, in mente habe Deum vivum. Resume constantiam, fili. Timere non possumus mortem, quae sine dubio perducit ad vitam", etc.

Mais il est vrai que la tradition de ce texte est complexe et laisse à désirer. Je ne connais pas d'édition récente : Brigitte Beaujard dans son excellent ouvrage sur Le Culte des saints en Gaule. Les premiers temps. D'Hilaire de Poitiers à la fin du VIe siècle, Paris, 2000 utilise elle aussi l'édition des Acta sanctorum.

Cordialement,

André-Yves Bourgès

MessagePosté: Mer 15 Avr, 2009 23:59
de Orgenomeskos
Salut,

Il semble que l'édition dont j'ai mis un extrait dans mon précédent message soit plus ancienne que celle que vous utilisez André-Yves. Comme écrit plus haut, mentobeto to diuo est visiblement considéré comme un bas-latin, très inspiré du gaulois, sinon du gaulois tardif pour nate, nate et to diuo. En latin "classique", ce même passage apparaît est traduit dans votre extrait par nate, nate Symphoriane, in mente habe Deum vivum. Je ne suis pas linguiste, mais ce rapprochement entre mentobeto et le verbe latin mente habere me semble curieux.

MessagePosté: Jeu 16 Avr, 2009 13:38
de Jacques
Orgenomeskos a écrit:ce rapprochement entre mentobeto et le verbe latin mente habere me semble curieux.

à moi aussi ; je ne suis pas d'accord avec Adams quand il écrit : « The verb mentobeto, however it is to be spelt, is a Latin imperative form from mente habere and a clear regional usage. »
L'impératif de habeo, c'est habe, habete. On ne peut admettre ni le o de ment(e), ni le t de (ha)beto (le sens de la phrase demande un singulier, ni le o final ; quant à la chute de la syllabe ha...

MessagePosté: Jeu 16 Avr, 2009 19:23
de André-Yves Bourgès
Orgenomeskos a écrit:Salut,

Il semble que l'édition dont j'ai mis un extrait dans mon précédent message soit plus ancienne que celle que vous utilisez André-Yves. Comme écrit plus haut, mentobeto to diuo est visiblement considéré comme un bas-latin, très inspiré du gaulois, sinon du gaulois tardif pour nate, nate et to diuo. En latin "classique", ce même passage apparaît est traduit dans votre extrait par nate, nate Symphoriane, in mente habe Deum vivum. Je ne suis pas linguiste, mais ce rapprochement entre mentobeto et le verbe latin mente habere me semble curieux.


Bonjour,

C'est la raison de ma remarque ; mais je répète que je ne connais pas d'édition scientifique récente de ce texte et je serais heureux de connaître la source de la leçon que vous avez donnée : il me semble qu'il s'agit d'une transcription hypothétique de Rudolf Thurneysen, dans Zeitschrift fur Celtische Philologie ,4 (1923), 11. En conséquence, il faudrait citer le texte incriminé comme suit : *mentobeto to diuo (cf. ici)

Je ne me suis pas placé pour le moment sur le terrain linguistique : je pose simplement la question de la tradition du texte en question. Je suis surpris que B. Beaujard ne connaisse pas d'autre édition que celle des ASS que j'ai citée. Avons-nous quelque chose en terme de tradition manuscrite ?

Par ailleurs, l'exhortation de la mère de Symphorien ne se limite pas à la seule phrase incriminée ; j'ai donné dans mon précédent message les deux phrases qui suivent, avec un etc., car le discours maternel se poursuit encore. Or, il s'agit incontestablement d'un discours en latin et non en gaulois...

Bien cordialement,

André-Yves Bourgès

MessagePosté: Ven 17 Avr, 2009 10:57
de Auetos
Selon M. Joseph Monard dans la revue "Message n° 54" :

MENTO BETO TO DEUO, "Pense constamment au divin".
Cette formule gauloise citée est dans l'hagiograprie (en latin) de St Symphorien d'Autun (Vita Symphoriani Augustodunensis, 11ASS22) comme paroles de sa mère "Nate, nate, mênto beto do deuo" (Fils, fils, pense constamment au divin).

MessagePosté: Ven 17 Avr, 2009 12:43
de Jacques
Bonjour Auetos,

Merci de relayer cette interprétation.
La segmentation est acceptable :
mento est à rapprocher de menman, pensée, intelligence, esprit.
pour beto, il est vrai que Holder cite bitu- avec le sens de éternellement, toujours, et c'est confirmé par Delamarre, avec réserve
X. Delamarre a écrit:Il se peut que le sens "toujours, perpétuel" du mot ait déjà existé en gaulois. Bitus serait alors "Perpetuus", Bitu-daga "Toujours-bonne"...

to a comme équivalent en moyen breton et vieil irlandais do
diuo est une variante de deuo « sans doute due à une influence du latin mais on ne peut exclure un thème *diuo- » selon X. Delamarre.

MessagePosté: Ven 17 Avr, 2009 15:43
de André-Yves Bourgès
Auetos a écrit:Selon M. Joseph Monard dans la revue "Message n° 54" :

MENTO BETO TO DEUO, "Pense constamment au divin".
Cette formule gauloise citée est dans l'hagiograprie (en latin) de St Symphorien d'Autun (Vita Symphoriani Augustodunensis, 11ASS22) comme paroles de sa mère "Nate, nate, mênto beto do deuo" (Fils, fils, pense constamment au divin).


Bonjour,

La référence donnée par Monard (11ASS22) correspond à quoi ?

Je suis d'accord pour reconnaître du gaulois si les experts le disent ; mais je souhaite que l'on donne la source exacte du texte en question. Pour l'instant, on se contente de citer des travaux d'érudits, mais pas leur source (manuscrits, édition scientifique). A défaut d'une autre source, je m'en tiens au texte donné par les Acta Sanctorum.

Pardonnez mon entêtement ; mais si les linguistes inventent les exemples dont ils font le commentaire, cela n'est pas sérieux...

AYB

MessagePosté: Ven 17 Avr, 2009 16:05
de André-Yves Bourgès
Bonjour,

Sur J. Monard, voir ici.

AYB

MessagePosté: Ven 17 Avr, 2009 16:14
de Jacques
Bonjour André-Yves,

Voici un document dans lequel se trouvent des éléments de réponse :

« In the Vita Sancti Symphoriani, supposedly not older than the middle of the 5th c., it is told that when the Christian martyr Symphorianus of Augustodunum (165–180) was being led to the execution stand, uenerabilis mater sua de muro sedula et nota illum uoce Gallica monuit dicens: ‘nate, nate Synforiane, †mentobeto to diuo†’ ‘his venerable mother admonished him from the wall eager-ly and notable to all (?), saying in the Gaulish speech: “Son, son, Symphorianus, think of your God!”’ (Rudolf Thurneysen, ‘Irisches und Gallisches’, ZCPh 14 (1923), 10–11). The Gaulish sentence has been transmitted in a very corrupt state in the various manuscripts; as it stands, it has been reconstructed by Thurneysen. »

Il semble que nous tenions là l'auteur de cette hypothèse.

MessagePosté: Ven 17 Avr, 2009 16:16
de Jacques
La restitution serait donc de Thurneysen, si l'interprétation (qui d'ailleurs se tient) est de Monard.

MessagePosté: Ven 17 Avr, 2009 18:26
de André-Yves Bourgès
Jacques a écrit:La restitution serait donc de Thurneysen, si l'interprétation (qui d'ailleurs se tient) est de Monard.


Merci Jacques : c'est la conclusion à laquelle j'avais également abouti, comme il se voit dans mon message d'hier :

André-Yves Bourgès a écrit:... je serais heureux de connaître la source de la leçon que vous avez donnée : il me semble qu'il s'agit d'une transcription hypothétique de Rudolf Thurneysen, dans Zeitschrift fur Celtische Philologie ,4 (1923), 11. En conséquence, il faudrait citer le texte incriminé comme suit : *mentobeto to diuo (cf. ici)


Donc, jusqu'à plus averti, nous avons bien affaire à une transcription érudite ; mais le texte de référence (sans doute améliorable, mais il faut justifier les corrections) reste celui des Acta sanctorum dont j'ai donné plus haut l'extrait correspondant à la transcription de Thurneysen.

André-Yves Bourgès a écrit:L'édition de la vita sancti Symphoriani dans l"édition des Acta sanctorum (Aug. IV, p. 497) donne le texte suivant :

Venerabilis autem mater sua de muro nota illum voce commonuit dicens : "nate, nate Symphoriane, in mente habe Deum vivum. Resume constantiam, fili. Timere non possumus mortem, quae sine dubio perducit ad vitam", etc.
.

Au passage, je serais personnellement ravi de pouvoir intégrer le témoignage de la vita Symphoriani dans le dossier de la permanence du gaulois au Ve siècle ; mais il faut d'abord clarifier la question des sources...

Bien cordialement,

André-Yves Bourgès

MessagePosté: Ven 17 Avr, 2009 20:00
de Jacques
Voici ce qu'écrit Wilhelm Meyer dans Fragmenta Burana. Berlin, Weidmann 1901 :

« Ce sont quelques paroles extraites du martyre de saint Symphorien d'Autun (env. 180 ap. JC), qui furent selon lui écrites au plus tard au Vème siècle. Quand le saint fut conduit au lieu de son jugement, sa mère le héla "voce gallica" en ces termes :
"Nate nate Synforiane meniento b&oto diuo hoc est memorare dei tui" (Cod. monac. lat. 4585)
"Nati nati Synforiani, mentem obeto dotiuo " ( Codex de Turin D. V. 3)
Aucun doute sur la celticité de ces paroles, mais elles sont peut-être un peu déformées dans les deux versions manuscrites, qui datent du IXème siècle. »

Il y a là deux sources manuscrites.
(Suivent les interprétations de ces paroles , étayées dans les deux cas par des comparaisons à l'irlandais ancien).

Traduction effectuée par mes soins à partir de cet article.

MessagePosté: Ven 17 Avr, 2009 20:09
de Jacques
André-Yves,

Je relève dans la version des Acta Sanctorum : « Venerabilis autem mater sua de muro nota illum voce commonuit dicens »

Pourriez-vous me dire si cette phrase est correcte et m'en donner une traduction ?

MessagePosté: Ven 17 Avr, 2009 21:43
de André-Yves Bourgès
Jacques a écrit:Voici ce qu'écrit Wilhelm Meyer dans Fragmenta Burana. Berlin, Weidmann 1901 :

« Ce sont quelques paroles extraites du martyre de saint Symphorien d'Autun (env. 180 ap. JC), qui furent selon lui écrites au plus tard au Vème siècle. Quand le saint fut conduit au lieu de son jugement, sa mère le héla "voce gallica" en ces termes :
"Nate nate Synforiane meniento b&oto diuo hoc est memorare dei tui" (Cod. monac. lat. 4585)
"Nati nati Synforiani, mentem obeto dotiuo " ( Codex de Turin D. V. 3)
Aucun doute sur la celticité de ces paroles, mais elles sont peut-être un peu déformées dans les deux versions manuscrites, qui datent du IXème siècle. »

Il y a là deux sources manuscrites.
(Suivent les interprétations de ces paroles , étayées dans les deux cas par des comparaisons à l'irlandais ancien).

Traduction effectuée par mes soins à partir de cet article.


Merci Jacques. On progresse rapidement (je corrige amicalement votre citation "Nate nate Synforiane memento b&oto diuo hoc est memorare dei tui") ; mais les formes des manuscrits sont assez différentes de la reconstruction de Thurneysen. Ne chipotons pas : les manuscrits sont suffisamment corrompus pour laisser la place à l'interprétation de cet érudit...

Bien cordialement,

AYB