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MessagePosté: Ven 17 Avr, 2009 22:14
de André-Yves Bourgès
Jacques a écrit:André-Yves,

Je relève dans la version des Acta Sanctorum : « Venerabilis autem mater sua de muro nota illum voce commonuit dicens »

Pourriez-vous me dire si cette phrase est correcte et m'en donner une traduction ?


Cher Jacques,

Ah le piège !

1/ Il y a bien longtemps que je ne me prononce plus sur la "qualité" d'un texte latin, car cette langue a servi sur une longue période. Dirions-nous que le français de nos modernes romanciers est plus ou moins correct que la langue de Corneille ou de Racine ou encore que celle de Villon ou de Charles d'Orléans ?

2/ Je traduirais comme suit:
"mais sa vénérable mère du haut du mur [de la ville] l'encourageait [le verbe commonere est plus fort] de la voix en disant..." (nota me pose un petit problème...)

Bien cordialement,

André-Yves Bourgès

MessagePosté: Sam 18 Avr, 2009 3:05
de Séléné.C
:D Je viens de lire l'ensemble de la diiscussion (encore courte)... C'est passionnant. Un coup à me réconcilier avec la langue latine !

Plus fort que "Encourager" : "Exhorter" ? Ou bien c'est trop brutal ?

MessagePosté: Sam 18 Avr, 2009 8:49
de Jacques
André-Yves Bourgès a écrit:2/ Je traduirais comme suit:
"mais sa vénérable mère du haut du mur [de la ville] l'encourageait [le verbe commonere est plus fort] de la voix en disant..." (nota me pose un petit problème...)

Merci, André-Yves

Je voulais simplement savoir si les deux leçons « voce commonuit » et « voce gallica monuit » étaient admissibles. Or elles le sont toutes les deux. Reste à établir l'existence réelle et l'authenticité de la seconde, et le cas échéant son antériorité, car la lecture « voce gallica » a évidemment une importance capitale ; mais c'est une affaire de spécialiste.

MessagePosté: Dim 19 Avr, 2009 9:04
de André-Yves Bourgès
André-Yves Bourgès a écrit:
2/ Je traduirais comme suit:
"mais sa vénérable mère du haut du mur [de la ville] l'encourageait [le verbe commonere est plus fort] de la voix en disant..." (nota me pose un petit problème...)


Vox nota se retrouve sensiblement à la même époque sous la plume de Sidoine Apollinaire :
vox nota magistri lassatam reparat rabiem (la voix connue du maître ranime leur fureur épuisée).

L'hagiographe de saint Symphorien veut souligner que, malgré la distance qui séparait le martyr de sa mère , le jeune homme pouvait reconnaître la voix qui s'adressait à lui.

AYB

MessagePosté: Dim 19 Avr, 2009 9:52
de André-Yves Bourgès
Jacques a écrit:Je voulais simplement savoir si les deux leçons « voce commonuit » et « voce gallica monuit » étaient admissibles. Or elles le sont toutes les deux. Reste à établir l'existence réelle et l'authenticité de la seconde, et le cas échéant son antériorité, car la lecture « voce gallica » a évidemment une importance capitale ; mais c'est une affaire de spécialiste.


Bonjour Jacques,

Je ne sais pas si j'appartiens à cette catégorie de spécialistes à qui vous confiez le soin de trancher la question, mais je me permets de rebondir sur votre approche méthodologique.

1/ en tout état de cause un retour aux manuscrits s'impose : d'abord en établir l' inventaire précis ; puis en faire l'édition. L'édition de référence demeure, je l'ai souligné, celle des Acta sanctorum au XVII siècle et depuis la codicologie ainsi que la critique externe et interne des textes, ont fait des progrès considérables. Il ne semble pas au travers de leurs articles, que W. Meuer et R. Thurneysen aient procédé à une telle édition scientifique.

2/A propos de critique textuelle donc, le texte de cette vita Symphoriani nous a été transmis par des manuscrits relativement tardifs et par des copies d'érudits effectuées à partir de manuscrits disparus. Il est donc largement probable que seule une critique interne d'un texte dont nous connaîtrions l'ensemble des variantes, peut nous permettre de déterminer si la leçon voce gallica monuit constitue ou non une interpolation. Quand j'ai publié et commenté le dossier hagiographique de saint Mélar, j'ai eu la surprise de constater que plusieurs des éditions antérieures dérivaient toutes de celle d'un érudit du XIXe siècle qui avait copieusement et délibérément farci le texte édité de ses propres interpolations ! Depuis, je suis méfiant !

3/ Dans le cadre de cette approche critique, deux remarques:
- Seule la première phrase du discours de la mère de Symphorien est en "gaulois", si j'en crois les transcriptions érudites de Meyer et Thurneysen ; mais, comme je l'ai souligné, l'exhortation maternelle se prolonge par un discours en "latin".
- Dans les enquêtes de canonisation d'Yves de Kermartin et de Charles de Blois (au XIVe siècle) on trouve plusieurs fois la mention de paroles prononcées au style direct britonice (en breton) ; mais pas un passage ne figure, même court, dans cette langue, puisque les procès verbaux sont évidemment rédigés en latin. Peut-être en va-t-il de même pour le texte qui nous intéresse : l'hagiographe souligne que la mère de Symphorien s'adresse à ce dernier en gaulois ; mais les paroles maternelles ont été transcrites en latin.

Bien cordialement,

André-Yves Bourgès

MessagePosté: Dim 19 Avr, 2009 10:13
de André-Yves Bourgès
Séléné.C a écrit::D Je viens de lire l'ensemble de la diiscussion (encore courte)... C'est passionnant. Un coup à me réconcilier avec la langue latine !

Plus fort que "Encourager" : "Exhorter" ? Ou bien c'est trop brutal ?


Merci de ces encouragements, Séléné : oui, la critique textuelle est un terrain de recherches absolument passionnantes !

"Exhorter" serait mieux ; mais la mère de Symphorien exhorte-t-elle son fils au martyre ou l'encourage-t-elle au moment où il va subir le martyre ? Je n'ai pas relu tout le texte et je ne peux pas me prononcer sur cette nuance, qui renvoie au degré de "volontarisme" de Symphorien...

AYB

MessagePosté: Dim 19 Avr, 2009 10:55
de Jacques
Merci, André-Yves,

Je me range à vos arguments qui me semblent tout à fait convainquants.

MessagePosté: Dim 19 Avr, 2009 18:53
de Orgenomeskos
Je viens de lire l'ensemble de cette discussion, ce fut extrêmement intéressant. Merci d'avoir répondu à ma question.

MessagePosté: Mar 21 Avr, 2009 10:27
de Patrice
Salut,

Je ne suis pas allé voir dans les AASS, mais c'est curieux, André-Yves, qu'il n'y ait pas mention en marge des variantes. D'habitude les Bollandistes consultent plusieurs manuscrits avant d'éditer un texte. Voir l'exemple de la Passion de saint Marcel de Châlon, ou l'on a la mention de divi Hamonis, Decubaconis, Divionis, ou encore Divibavonis. Grace à la découverte d’une inscription consacrée à Baco à Chalon même, il est clair qu’il faut restituer divi Baconis. Toutefois, Fernand Benoît a préféré conserver un « divin Amon ». Bref, dès qu'il y a du gaulois, c'est très déformé, les copieurs ne le comprenant pas.
Ceci-dit, peut-être que dans le cas de Symphorien, ils n'ont pu avoir que quelques variantes.

A+

Patrice

MessagePosté: Mar 21 Avr, 2009 14:48
de André-Yves Bourgès
Patrice a écrit:Je ne suis pas allé voir dans les AASS, mais c'est curieux, André-Yves, qu'il n'y ait pas mention en marge des variantes. D'habitude les Bollandistes consultent plusieurs manuscrits avant d'éditer un texte.


Oui, c'est vrai ; mais en l'occurrence les Bollandistes se sont contentés de recopier l'édition donnée en 1689 par Dom Ruinart, lequel déclare pour sa part avoir travaillé à partir de plusieurs manuscrits, dont deux sont explicitement localisés : un à l'abbaye de Conches, l'autre à celle, fameuse pour sa bibliothèque de manuscrits, de Saint-Germain-des-Prés.

Les Bollandistes ont également donné (Acta sanctorum, Aug. t. IV, p. 494) les leçons qui figuraient dans le Bréviaire de Vienne, de 1522 : voici la copie du passage incriminé :

Venerabilis mater sua de muro sedula illum voce commonuit dicens : "nate, nate Symphoriane, in mente habe Deum tuum. Resume constantiam, fili" (là encore le discours maternel se prolonge de plusieurs phrases).


Bref, dès qu'il y a du gaulois, c'est très déformé, les copieurs ne le comprenant pas.
Ceci-dit, peut-être que dans le cas de Symphorien, ils n'ont pu avoir que quelques variantes.


Je n'en disconviens pas et, comme je l'ai écrit, je serais heureux de pouvoir compter ce passage de la vita Symphoriani au nombre des témoignages sur la permanence du gaulois au Ve siècle ; mais, pour l'instant, je ne suis pas convaincu par les transcriptions de Meyer et Thurneysen : en conséquence, je reste sur ma réserve initiale.

Bien cordialement,

André-Yves Bourgès

MessagePosté: Mar 21 Avr, 2009 17:09
de Jacques
André-Yves Bourgès a écrit:je serais heureux de pouvoir compter ce passage de la vita Symphoriani au nombre des témoignages sur la permanence du gaulois au Ve siècle

Cette survie du gaulois n'aurait rien de surprenant, d'autres exemples paraissent l'attester.

Je rappelle cette phrase de Sulpice Sévère (fin du IVème siècle) :

Vel celtice, aut, si mavis, gallice loquere, dummodo jam Martinum loquaris.

« Parlez celtique ou gaulois si vous l’aimez mieux, dit Postumianus, mais du moins entretenez-nous de Martin. »
(Sulpice Sévère, premier dialogue (§ XXVI).)

Et je peux rappeler aussi ce que j'ai écrit à la même époque :

« ...lettre de Sidoine Apollinaire à son beau-frère Ecdicius, aristocrate arverne, lettre écrite après 474, quand Ecdicius s'est illustré contre les Wisigoths, comme le dit Sidoine Apollinaire dans le texte :
Mitto istic ob gratiam pueritiae tuae undique gentium confluxisse studia litterarum, tuaeque personae quondam debitum, quod sermonis Celtici squamam depositura nobilitas, nunc oratorio stylo, nunc etiam camoenalibus modis imbuebatur.

« je ne dis pas que c'est à cause de ton enfance que l'on vit accourir ici de toutes parts ceux qui voulaient se livrer à l'étude des lettres; que l'on te fut redevable alors de ce que les nobles, pour déposer la rudesse du langage celtique, s'exerçaient tantôt dans le style oratoire, tantôt dans les modes poétiques. »
(Epistolæ, lib. III, 3, 2)

On le voit, la langue gauloise était encore toute proche chez les nobles, ce qui laisse supposer qu'elle a perduré après le cinquième siècle parmi le peuple, en particulier dans les campagnes. »

MessagePosté: Mar 21 Avr, 2009 19:26
de André-Yves Bourgès
Jacques a écrit:Cette survie du gaulois n'aurait rien de surprenant, d'autres exemples paraissent l'attester.


C'est bien mon avis et comme je l'ai écrit dans le fil de discussion dont vous donnez le lien, cette permanence rend caduques certaines visions réductrices d'une stricte origine insulaire du breton armoricain. C'est pourquoi je déplore que la thèse de F. Falc'hun, si intéressante malgré ses excès et ses manques, n'ait pas reçu l'accueil qu'elle méritait chez les historiens des origines de la Bretagne.

Bien cordialement,

André-Yves Bourgès

MessagePosté: Mar 21 Avr, 2009 20:31
de André-Yves Bourgès
André-Yves Bourgès a écrit:... en l'occurrence les Bollandistes se sont contentés de recopier l'édition donnée en 1689 par Dom Ruinart, lequel déclare pour sa part avoir travaillé à partir de plusieurs manuscrits, dont deux sont explicitement localisés : un à l'abbaye de Conches, l'autre à celle, fameuse pour sa bibliothèque de manuscrits, de Saint-Germain-des-Prés.


Un "catalogue des manuscrits de la bibilothèque de Conches", lesquels proviennent majoritairement de l'ancienne abbaye, a été donné par H. Omont dans Le cabinet historique, 24e année, seconde série, t. 2 (1878), p. 174-195.

Cordialement,

AYB

MessagePosté: Mar 21 Avr, 2009 23:22
de André-Yves Bourgès
André-Yves Bourgès a écrit:... en tout état de cause un retour aux manuscrits s'impose : d'abord en établir l' inventaire précis ; puis en faire l'édition.


Voilà une première liste des manuscrits des différentes versions de la Passio [= vita] sancti Symphoriani, liste établie grâce au remarquable outil que constitue la Bibliotheca hagiographica latina manuscripta :

- Version BHL 7967, dans 61 manuscrits.
- Version BHL 7968, dans 1 manuscrit.
- Version BHL 7968 b, dans 1 manuscrit.
- Version BHL 7968 c, dans 1 manuscrit.
- Version BHL 7969, dans 13 manuscrits.
- Version BHL 7969 b, dans 1 manuscrit.

Soit au total 78 manuscrits repérés par les Bollandistes.

Un beau mémoire en perspective si quelque étudiant voulait bien s'atteler à la collation des différents textes correspondants...

Cordialement,

AYB