Adcanaunos a écrit:Sur les raisons "technologiques" de la défaite de forces gauloises bien supérieures en nombre, je privilégie explication quelque peu différente et un peu moins glorieuse (pour un camp come pour l'autre), que je vous livre telle qu'exposée dans l'ouvrage :
Une donnée récurrente retient l’attention. Les différences de faciès établies sur le diagramme fig. 106 identifient clairement les gisements dont on sait, de par les textes, qu’ils ont été le théâtre d’affrontement armés : l’accumulation de projectiles et d’armes de jets qui les caractérise matérialise, de la manière la plus directe et brutale, les combats qui ont émaillé les sièges d’Alésia, de Gergovie et d’Uxellodunum. Il est significatif d’observer que ce faciès ne se retrouve nulle part ailleurs ─ si l’on excepte les cas litigieux de Bourguignon-les-Morey et de Mardore/Bois-Durieux ─ et caractérise uniquement les batailles majeures consignées par les sources. Or, cette abondance de projectiles ne saurait être imputée uniquement à des processus de perte et de sélection. Elle révèle un aspect du conflit qui n’a guère été valorisé par les chroniqueurs militaires : l’importance tactique des corps d’artillerie, composés d’archers et de frondeurs originaires d’Afrique ou des Baléares, auxquels le texte césarien attribue plutôt un rôle secondaire. Cette observation rétablit l’équilibre des forces en faveur de troupes romaines confrontées, à chaque bataille, à des forces de trois à cinq fois plus nombreuses : les expérimentations réalisées pour le Haut-Empire (Völling 1990) ont montré que tormentae et funditores étaient en mesure d’opposer un tir nourri censé protéger les premières lignes. Ces « tirs de barrage » ont certainement infligé des pertes très sévères à des troupes de guerriers accoutumés au combat rapproché, dont la majorité ont été décimés avant même d’avoir atteint les lignes adverses : en témoigne le fait qu’à Alésia, les projectiles sont mêlés à une majorité d’armes gauloises et à très peu d’armes romaines. À l’instar des arcs lourds (long bows) utilisés par les archers gallois lors de la bataille d’Azincourt, cet avantage technique a certainement contribué de manière décisive à la victoire. Il pourrait expliquer, mieux que les hauts faits d’arme décrits dans le Bellum Gallicum, l’inexplicable percée des maigres effectifs engagés par César en Gaule. Les centaines de traits de catapulte, de pointes de flèche et de balles de fronde qui jalonnent leur parcours illustrent une stratégie systématique de combat à distance qui s’apparente à celle appliquée lors des guerres d’extermination indiennes.
D'abord, juste une rectif, la figure que tu cites doit être la figure 71, p. 412 et ton texte se trouve à la p. 422 de Sur les traces de César.
J'aime bien les comparaisons avec Azincourt et les guerres indiennes du XIXe siècle mais je pense qu'il faut distinguer deux types d'artillerie et qu'on pourrait trouver des contre-exemples.
L'artillerie légère : arc, fronde, pierres lancées à la main, javelots, se trouve dans les deux camps gaulois et romain.
Seuls les Romains disposent d'une artillerie lourde de campagne et de siège : scorpions, catapultes et balistes lançant des traits et/ou des boulets. Alain Deyber dans le volume cité établit la comparaison avec les mitrailleuses qui fauchent des vagues entières d'assaillants.
A la différence de la charge de la phalange et du corps à corps, celui qui tue tout comme celui qui meurt ne voit pas les yeux de son adversaire.
Azincourt est en plaine ; c'est une bataille rangée avec du côté anglais, archers et piquiers, tous équipés d'armes de poing, et du côté français, cavalerie lourde, arbalétriers mercenaires, dont les boucliers sont restés coincés avec les bagages et sergents à pied.
Les batailles contre les Nerviens et les Belges opposent pour l'essentiel deux grandes armées de fantassins.
Gergovie, Alésia, Uxellodunum, sont des sièges où César met en pratique toute la tradition poliorcétique héritée des Grecs et des Macédoniens.
Cela relève plus de la capitalisation d'un héritage que d'une invention "moderne"
Pour les guerres indiennes, l'artillerie lourde s'est vite avérée intransportable, seules des pièces légères ont été utilisées. Quant aux mitrailleuses de type Gattling Gun, elles ont servi à des opérations d'extermination comme à Wounded Knee où l'on massacre des Sioux affamés dans un périmètre très restreint. A Little Big Horn, la puissance de feu était paradoxalement plus du côté des Sioux, des Cheyennes et des Arapaho que du côté du 7ème de cavalerie de Custer.
En revanche, l'extermination des bisons, grâce aux fusils à répétition, a détruit toute l'économie des Amérindiens des Plaines et si on y ajoute le réservoir inépuisable des colons, la défaite et le génocide étaient inéluctables.
J'en viens à la question du rapport numérique.
D'un côté, les Gaulois sont très nombreux face à l'armée césarienne.
Mais Rome dispose d'une capacité de recrutement impressionante : César passe de 4 légions à 12 pendant la durée de la guerre des Gaules.
Il dispose de soldats professionnels dans une proportion bien plus grande que les Gaulois, en exceptant les Nerviens et les Bellovaques.
Les levées de Vercingétorix n'ont pas la même "tenue au feu".
Et ce n'est pas forcément, je pense à un message d'ejds, une question d'entraînement et de discipline. Les archers et les frondeurs sont nécessairement entraînés ; si l'on repense aux utilisations de la
tragula, par un lanceur de javelot de type snyper, c'est le cas aussi pour une partie des lanceurs de javelots. C'est évident pour les nobles et leurs ambactes et soldures à cheval. Et pas forcément nécessaire pour des lanciers de phalange : d'après Leukirix, il suffit que le combattant qui peut être un paysan robuste soit assez costaud pour tenir la lance et le bouclier et pousser comme au rugby...
Pour le reste, je partage le point de vue sur l'importance de l'artillerie qui a pu faire la décision. Le schéma 71 est très parlant : Uxelludunum au sommet du triangle, c'est Verdun à une petite échelle.