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MessagePosté: Dim 11 Jan, 2009 22:16
de Kambonemos
Bonjour à tous,

Sedullos exprime son désaccord ; c'est que je l'avoue, je suis en porte-à-faux avec le sujet : je livre une impression _ juste ou erronée _ non pas sur l'emploi ou non de telle ou telle technologie, mais sur la prerception qu'auraient pu avoir les combattants de la guerre en elle-même... Au sujet d'Hannibal, la réflexion est pertinente mais les Romains ont su adapté dès que faire se peut, leur façon de voir, leurs équipements : ils se servent de leurs échecs pour s'améliorer ; les Gaulois : non... En ce qui concerne les Vénètes : ceux-ci agissent pourtant de la même manière que tous les autres peuples gaulois, eux bien entendu se réfugient sur l'océan, les autres, au plus profond des forêts, les autres au coeur des marécages ; ils obéissent aux mêmes modalités, voire à un même schéma ; ils s'enferment dans leurs camps fortifiés, combattent en rangs serrés. Ceux qui sont redevables de quelque façon que se soit à un personnage important, se font hacher menu et exterminer, alors que ceux qui 24 heures plus tôt travaillaient dans les champs, lâchent pied et se font massacrer ou capturer quelques kilomètres plus loin...

Sedullos dit : "Des auteurs insistent sur le fait que Vercingétorix lève des contingents d'archers en prévision des affrontements avec César."C'est bien ce que je veux dire, Vercingétorix se démarque réellement et rendons grâce à César de l'avoir mentionné, parce qu'il me semble bien que Vercingétorix dépoussière toutes les "procédures" guerrières des Gaulois, avec l'introduction d'une discipline nouvelle, de la tactique de la terre brulée ; ce qui fait dire fort justement à Sedullos que cette idée de guérilla est moderne, mais surtout novatrice... Mais chassez le naturel, après Gergovie, les Gaulois retombent dans leurs anciens schémas : ils prêtent "serment par les quatre éléments" de bouter les Romains : exemple typique d'une ritualisation du combat dont ils sont prisonniers. L'emploi par César des troupes de choc germaniques est aussi révélateur parce qu'il sait pertinemment que les Gaulois n'ont trouver aucune parade à ce genre d'agression...

Sur l'analyse d'Adcanaunos (extrait) :
Cette observation rétablit l’équilibre des forces en faveur de troupes romaines confrontées, à chaque bataille, à des forces de trois à cinq fois plus nombreuses : les expérimentations réalisées pour le Haut-Empire (Völling 1990) ont montré que tormentae et funditores étaient en mesure d’opposer un tir nourri censé protéger les premières lignes. Ces « tirs de barrage » ont certainement infligé des pertes très sévères à des troupes de guerriers accoutumés au combat rapproché, dont la majorité ont été décimés avant même d’avoir atteint les lignes adverses : en témoigne le fait qu’à Alésia, les projectiles sont mêlés à une majorité d’armes gauloises et à très peu d’armes romaines.
Ce qui est vraisemblable et à mettre en relation avec la quasi disparition de l'infanterie, quelques siècles plus tard, d'après Courtlandt Canby dans "Histoire de l'Armement", et la suprématie pendant presque mille ans de la cavalerie, elle-même victime de l'artillerie moderne...

Cordialement.

@+

MessagePosté: Dim 11 Jan, 2009 22:29
de Pierre
Salut à tous, Bonjour Adcanaunos,

Matthieu, je ne suis pas tout à fait d'accord avec ce que tu écris. Alésia, Gergovie, Uxellodunum sont des sièges. Les armes des assiégeurs ne sont pas forcément celles des assiégés. Tu trouveras à la page 209 de "Religion et société en Gaule", un très joli texte qui montre bien qu'en inversant les roles, ce type d'armes change aussi de camp.


@+Pierre

MessagePosté: Dim 11 Jan, 2009 23:40
de Adcanaunos
Pierre a écrit:Salut à tous, Bonjour Adcanaunos,
Matthieu, je ne suis pas tout à fait d'accord avec ce que tu écris. Alésia, Gergovie, Uxellodunum sont des sièges. Les armes des assiégeurs ne sont pas forcément celles des assiégés. Tu trouveras à la page 209 de "Religion et société en Gaule", un très joli texte qui montre bien qu'en inversant les roles, ce type d'armes change aussi de camp.


J'accepte vos objections, qui sont toutes recevables, voire très pertinentes. Mais la documentation archéologique impose une évidence statistique qui est difficilement contestable : surreprésentation des pièces d'artillerie romaines sur les sites de la guerre des Gaules (et pas uniquement les grands sites de siège, cf. le tableau statistique et les cartes en fin d'ouvrage) en regard, par exemple, du très petit nombre d'armes de poing (gladius et pugio) ; à l'inverse, aucun exemple connu de dépôt d'arc et/ou de flèches, de balles de fronde et encore moins, d'armatures de trait d'artillerie lourde dans les sépultures gauloises de la fin de l'âge du Fer ; ces armes ne sont pas davantage présentes sur les sanctuaires contemporains. Quant aux javelots et autres tragules, ils sont difficilement comparables en termes de portée et d'efficacité. Et ce ne sont pas quelques représentations d'archers gaulois sur les monnaies datées du milieu du 1er s. av. J.-C. qui suffiront à rétablir l'équilibre...

Ces armes spécifiques aux corps d'artillerie recrutés hors de Gaule (comme le précise bien César, à de nombreuses reprises) offrent à celui qui les maîtrise une suprématie militaire qui ne se vérifie pas qu'en cas de siège.


D'abord, juste une rectif, la figure que tu cites doit être la figure 71, p. 412 et ton texte se trouve à la p. 422 de Sur les traces de César.


Oops. Je dois reconnaître que le texte original dont je dispose sur mon disque dur n'est pas tout à fait celui qui a été publié par Bibracte !

MessagePosté: Lun 12 Jan, 2009 1:54
de Sedullos
Salut à tous,

Kambonemos a écrit:mais les Romains ont su adapté dès que faire se peut, leur façon de voir, leurs équipements : ils se servent de leurs échecs pour s'améliorer ; les Gaulois : non...


Je n'y crois pas pour le second point. Sinon on aurait pas des modifications typologiques tous les 30 ou 50 ans depuis le IVe siècle même si la panoplie en tant que combinaison d'armes reste cohérente. cf, Gournay II de Brunaux et Rapin et le travail de Franck Mathieu sur les reconstitutions de boucliers, dans Le guerrier gaulois.

Leukirix a évoqué brièvement le cas des umbones de boucliers : ils changent sur trois siècles, souvent par petites touches qui ne relèvent pas toutes de la mode. Il doit y avoir des raisons tactiques qui nous échappent. Pareil pour les systèmes de suspension des épées et la longueur des lames. Leurs armuriers étaient aussi professionnels que les guerriers.

Il y a eu, je pense, plus de modifications et de perfectionnement des armes gauloises que des armes romaines pendant plusieurs siècles.

La spatha romaine dérive des épées gauloises, la cotte de mailles est d'origine gauloise de même qu'une bonne partie de l'armement romain est d'inspiration étrangère. Ce dernier argument allant d'ailleurs plus dans ton sens que dans le mien. :roll:

Si on prend les casques de type Alésia ou forêt de Rouvray, ils n'existent pas au IIe siècle av. J.-C. ; ils sont conçus pour être utilisés par des cavaliers au moment où la cavalerie joue un rôle décisif. Des types "Alésia" et "Port" dériveront tous les casques de type "Weisenau" dont le dernier avatar est le casque de "nos" CRS ! :73:

D'accord avec toi pour le serment, même si les quatre éléments ne sont pas mentionnés par César dans ce qui précède l'attaque de la colonne romaine avant Alésia.

Adcanaunos a écrit:Ces armes spécifiques aux corps d'artillerie recrutés hors de Gaule (comme le précise bien César, à de nombreuses reprises) offrent à celui qui les maîtrise une suprématie militaire qui ne se vérifie pas qu'en cas de siège.


Je suis bien d'accord : l'artillerie lourde est uniquement romaine ; quant aux archers gaulois, ils sont utilisés comme voltigeurs en appoint des cavaliers gaulois. Lorsque ceux-ci ont le dessous face aux Germains, ils font ce que font les cavaliers vaincus : ils fuient ; laissant les archers se faire piétiner et massacrer. Ils ne sont pas du tout utilisés comme les archers gallois et anglais d'Azincourt que tu évoquais dans un post précédent.

Pierre a écrit:... un très joli texte qui montre bien qu'en inversant les rôles, ce type d'armes change aussi de camp.


Si tu fais allusion au texte anonyme sur le siège de Munda, il faut préciser qu'il y a eu une bataille avant le repli des Pompéiens dans la ville de Munda.

MessagePosté: Lun 12 Jan, 2009 10:24
de Adcanaunos
D'accord avec tout ce qui précède, avec une légère réserve sur la question suivante :

Il y a eu, je pense, plus de modifications et de perfectionnement des armes gauloises que des armes romaines pendant plusieurs siècles.


Les spécificités de l'armement "romain", qui résulte au 1er s. av. J.-C. d'une accumulation d'emprunts aux cultures ibérique (glaive, pugio), gréco-orientale (artillerie, archerie), germanique (spatha, umbos circulaires, fers à ricasseaux) et gauloise (cavalerie, cotte de mailles ?), sont aussi difficile à caractériser que celles de "l'art romain" au 2e siècle de notre ère !

Sa perméabilité aux apports extérieurs, favorisée par le recours croissant à des corps auxiliaires étrangers, mise au service d'une plus grande efficacité recouvre, à mon sens, une différence fondamentale avec les conceptions défendues par l'aristocratie militaro-religieuse qui domine la Gaule du second âge du Fer du 4e au 2e siècle avant notre ère - je ne parle pas de l'armement des élites hallstattiennes, qui trahit des influences méditerranéennes guère perceptibles à partir du 5e s. Cette attitude est la meilleure illustration d'un pragmatisme militaire moins tributaires des interdits religieux et idéologiques, qui a fait le succès des légions romaines...

MessagePosté: Lun 12 Jan, 2009 11:37
de Sedullos
Salut à tous,

Adcanaunos, j'admets être allé un peu vite ; d'autant que l'on connaît finalement mieux la typologie et la chronologie de l'armement gaulois notamment grâce au sanctuaire de Gournay-sur-Aronde que celle de l'armement romain.

Pour la spatha, je vois que tu envisages carrément une origine germanique. Cela implique que ce type d'arme existe dès le Ier siècle av. J.-C. et soit contemporain des umbos circulaires à ergot et des fers à appendices lattéraux.

Tout cela suppose des différences importantes entre les Germains de César : cavaliers et fantassins montés ou tractés (s'accrochant à la crinière ou à la queue des chevaux) et ceux de Tacite au Ier siècle, combattant principalement à pied dans des formations tactiques de type phalange et pratiquant la technique du coin.

On pourrait en déduire l'idée que, du point de vue technologique, l'apport germanique de la future cavalerie "romaine" du Haut Empire est aussi important que l'apport gaulois et celtique d'Europe centrale.

MessagePosté: Lun 12 Jan, 2009 12:05
de Adcanaunos
Sedullos a écrit:Salut à tous,

Pour la spatha, je vois que tu envisages carrément une origine germanique. Cela implique que ce type d'arme existe dès le Ier siècle av. J.-C. et soit contemporain des umbos circulaires à ergot et des fers à appendices lattéraux.

Tout cela suppose des différences importantes entre les Germains de César : cavaliers et fantassins montés ou tractés (s'accrochant à la crinière ou à la queue des chevaux) et ceux de Tacite au Ier siècle, combattant principalement à pied dans des formations tactiques de type phalange et pratiquant la technique du coin.

On pourrait en déduire l'idée que, du point de vue technologique, l'apport germanique de la future cavalerie "romaine" du Haut Empire est aussi important que l'apport gaulois et celtique d'Europe centrale.


Exactement ! C'est tout l'intérêt des études comparatives actuellement menées par Thomas Bochnak, à cheval (!) entre la Germanie libre (Pologne) et la Gaule...

MessagePosté: Mar 13 Jan, 2009 15:01
de Leukirix
Je pense que les fonctionnements même des sociétés gauloises et romaines sont aussi facteurs de victoires et de défaites.
Par exemple, lors de la seconde guerre punique, l’une des raisons principales qui expliquent la victoire de Rome est sans aucun doute sa capacité humaine ! Il suffit de relire Polybe lorsqu’il parle de 700 000 hommes (en comptant les alliés bien sur aux environs du territoire romain) !!

Je plaide aussi en faveur d’un savoir faire évident pour Rome à propos de la poliorcétique ainsi que du déplacement des armées et de la logistique en territoire hostile. Les gaulois n’ont pas à gérer ce genre de problème et ne l’ont plus eut depuis longtemps. Même si des guerres ont lieu entre tribus gauloises du territoire français actuel, les distances sont moins longues à parcourir que celles que les romains ont eut à effectuer précédemment… De fait les Gaulois sont organisés différemment.

Lorsque l’on parle de « discipline » romaine, je ne pense pas d’abord à la bataille elle-même, mais à tout ce qui la précède !

D’accords pour l’infanterie gauloise prévu pour le corps à corps et aussi avec l’artillerie mentionnée par Matthieu, il faut dire que, en plus et par exemple, le pilum romain est une arme bien plus puissante que les javelots gaulois. Une seule de cette arme suffit à neutraliser un bouclier alors qu’il faut plusieurs javelots pour parvenir aux mêmes résultats ! La nature du combat antique ne permet pas la perte du bouclier d’où des armes prévues justement à cet effet.

En clair, en plus de la couverture du front par les innombrables traits lancés par les troupes auxiliaires et l’artillerie, il faut ajouter ensuite le légionnaire capable de tuer à distance avec son pilum (ou au mieux de « mettre à poil » l’adversaire en neutralisant le bouclier avec le pilum). On comprend alors le refus pour les généraux gaulois de refuser la bataille en rase campagne. Enfin, la spécialité de nos combattants gaulois, pour les élites en tout cas, est basé d’abord sur l’attaque éclair, nous n’avons pas à faire à des armées levées pour conquérir de grand territoire, ni même à une élite militaire rompu à cet exercice, au contraire de la tradition romaine.

D’ailleurs on peut voir la difficulté pour les romains lorsqu’ils n’ont pas la possibilité d’utiliser correctement leurs armements de distance, car ils se retrouvent confronter alors à des troupes plus nombreuses et encore bien armés car ils n’ont pu les « déshabiller » de leurs boucliers ni même en abattre un certain nombre avant le heurt !

On pourrait peut-être se risquer à un comparatif avec la guerre du Péloponnèse où il y eut très peu de batailles rangées mais bien plus d’exactions commises sur la population civile…
Enfin que dire des protections corporelles garantes de la survie lors du combat…

MessagePosté: Jeu 15 Jan, 2009 19:09
de Sedullos
Salut à tous,

Kambonemos a écrit: Ce qui est vraisemblable et à mettre en relation avec la quasi disparition de l'infanterie, quelques siècles plus tard, d'après Courtlandt Canby dans "Histoire de l'Armement", et la suprématie pendant presque mille ans de la cavalerie, elle-même victime de l'artillerie moderne...


Je reviens sur ce passage. Suprématie de la cavalerie pendant mille ans, cela fait un peu long ; en fait ça dépend d’où on part . L’étrier n’arrive que vers 700-800 de notre ère.

Il n’y a pas de quasi disparition de l’infanterie au Moyen Age mais plutôt et surtout une dépréciation idéologique. Seuls comptent les chevaliers et les grands seigneurs : c’est eux dont les hérauts comptabilisent les pertes, les rançons ; la piétaille ne vaut rien et on n’hésite pas à piétiner ses propres fantassins lorsqu’ils gênent !

Une partie des comportements des nobles à la guerre au Moyan Age, ce mélange de grande bravoure, de morgue et d'imprudence doit probablement venir des anciennes élites gauloises et germaniques.

A partir de 1400-1450, les choses commencent à évoluer : aux archers et arbalétriers s’ajoutent les arquebusiers et les artilleurs à poudre et aussi tous les porteurs de piques et de hallebardes. Ils vont peser de plus en plus lourd dans les batailles mais lorsqu'ils sont pris, c'est la mort assurée.

Je pense aux Flamands, aux Allemands et surtout aux Suisses qui réinventent la phalange et battent la très puissante chevalerie bourguignonne ou encore aux arquebusiers Hussites tchèques qui affrontent les chevaliers du Saint Empire dans un cercle de chariots, selon la vieille technique qui remonte au moins aux Cimbres et qui sera reprise plus tard par les pionniers du Far West.

Ce qui caractérise l’armée de César, c’est à la fois en plus de l’artillerie lourde une très forte proportion de fantassins : légionnaires et auxiliaires, mercenaires et l’importance d’une cavalerie germaine réduite mais particulièrement redoutable.

Kambonemos a écrit: L'emploi par César des troupes de choc germaniques est aussi révélateur parce qu'il sait pertinemment que les Gaulois n'ont trouver aucune parade à ce genre d'agression...


En fait la parade aux cavaliers germains, c’était les cavaliers gaulois mais les Germains s’imposent chaque fois. César insiste sur la peur des Gaulois (et des Romains) face à ces barbares. Quelle la part de réalité et la part d’intox ? Arioviste et ses Suèves sont effroyables certes mais César les a vaincus.

Je ne pense pas que l'armement des cavaliers gaulois ait été inférieur à celui de leurs adversaires ; à priori, il aurait même pu être supérieur.

Je vais répondre à Leukirix sur un autre post.

MessagePosté: Ven 16 Jan, 2009 13:46
de Kambonemos
Bonjour à tous,

Sedullos écrit :
Suprématie de la cavalerie pendant mille ans, cela fait un peu long ; en fait ça dépend d’où on part .
Effectivement, Courtland Canby prend comme point de repère la bataille d'Andrinople en 378 ap. JC ; ce qui colle grosso modo avec l'analyse toujours aussi bien argumentée de Sedullos.

Cordialement.

@+

MessagePosté: Ven 16 Jan, 2009 20:53
de M. Caelius
Bonjour à tous,

I'am Marcus Caelius - François Gilbert pour les intimes -, et je salue au passage les intervenants, amis pour beaucoup, dont j'admire la reflexion sur ce forum, et sur ce sujet en particulier… qui m'intéresse au plus haut point, comme ceux qui me connaissent s'en doutent !

Je m'interroge depuis longtemps sur l'utilisation et l'attribution des armes de la guerre des Gaules, notamment ces fameuses pointes de lance à ergots latéraux. Vos hypothèses vont dans le sens des miennes. Il est vrai qu'il est difficile aujourd'hui imaginer tester cette arme en condition. On peut cependant s'en faire une idée par analogie. Elles ressemblent en effet aux épieux de chasse, qui ont encore cours de nos jours, avec des pointes longues et robustes, mais surtout ces ergots saillants sur la douille. Ceux-ci servent je crois (je ne suis pas chasseur) a empêcher le fer de s'enfoncer trop profondément dans les chairs, afin de pouvoir ressortir l'arme facilement (sinon elle est perdue, ce qui peut s'avérer préjudiciable dans une bataille). Ces ergots sont des buttoirs. Cela suppose une utilisation en estoc, en coups portés très violemment, seuls capables de transpercer un sanglier ou un cerf. Un fantassin est plus à même de se servir d'un tel épieu, tenu fermement des deux mains. Un cavalier serait moins à l'aise, occupé à tenir ses rênes et diriger son cheval, même si la chose est possible. De fait, je placerais volontiers cette arme entre les mains des Germains de la cavalerie mixte, du moins des fantassins qui courent à côté des cavaliers montés, accrochés à la crinière ou à la queue de l'animal. Arrivés au cœur de l'action, pendant que les cavaliers escriment, ils peuvent avec leurs épieux perforer les poitrails des chevaux ennemis et mettre à terre leur cavalier.
Cette hypothèse me séduit. L'apparition de ces fers à ricasseaux au moment de la guerre des Gaules va dans le sens d'un apport germanique (ou Gaulois de l'Est ?).

Je rebondis aussi sur une comparaison entre la description des Germains par Tacite et la réalité archéologique de l'armement germanique observé en Gaule. Je crois qu'il ne faut pas confondre une population autochtone armée pour sa défense, et une élite guerrière qui vend ses services. Professionnels de la guerre comme devaient l'être les Germains entrés au service de César, ces hommes devaient présenter des panoplies complètes, autant sur le plan offensif que défensif. Comparer un lansquenet suisse ou un reitre allemand de la Renaissance à un villageois qui se défend d'une intrusion étrangère, revient à comparer un panzer et une 2CV. Je pense qu'il devait en être de même dans l'Antiquité, et la vision de Tacite doit être nuancée. Les légionnaires d'Auguste ont eu à faire face à une population, dont, il est vrai, une frange non négligeable était taillée pour la guerre, tandis qu'un grand nombre, plus pauvre, devait être armé comme il l'écrit, de boucliers légers et de lances, parfois simplement en bois durci au feu. En Gaule, nous n'avons à faire qu'à des guerriers d'élite, très bien armés sans doute, entourés de leur troupe (de cavaliers et de fantassins) soldée et équipée par ces chefs. Le nombre d'armes en circulation en Gaule ne permet pas je pense d'imaginer des Germains comme les décrit Tacite, avec leurs armes en bois. Après, César en témoigne, il peut exister quelques interdits (religieux ou psychologique) quant à l'utilisation de telle ou telle pièce d'équipement, comme la selle…

Une dernière chose sur l'importance de la cavalerie. Celle-ci peut occasionnellement être une force de frappe, à l'instar des cuirassiers du Premier Empire, pour enfoncer des carrés de fantassins. La grande bataille de cavalerie qui précède Alésia en témoigne, et montre aussi que 15000 cavaliers lourdement équipés peuvent être repoussés par des lignes d'infanterie. Le choc frontal n'est pas la vraie raison d'être de la cavalerie dans l'Antiquité (il y a évidemment des contre-exemples au cours de l'Histoire antique, à commencer par les cataphractaires parthes), elle réside plutôt dans les manœuvres d'enveloppement, la poursuite des ennemis, les missions de reconnaissance, la protection des convois…

MessagePosté: Sam 17 Jan, 2009 13:52
de Sedullos
Salut à tous,

Suauelos Marcus Caelius :D Bienvenue François !

Marcus Caelius a écrit:Il est vrai qu'il est difficile aujourd'hui imaginer tester cette arme en condition. On peut cependant s'en faire une idée par analogie. Elles ressemblent en effet aux épieux de chasse, qui ont encore cours de nos jours, avec des pointes longues et robustes, mais surtout ces ergots saillants sur la douille. Ceux-ci servent je crois (je ne suis pas chasseur) a empêcher le fer de s'enfoncer trop profondément dans les chairs, afin de pouvoir ressortir l'arme facilement (sinon elle est perdue, ce qui peut s'avérer préjudiciable dans une bataille). Ces ergots sont des buttoirs. Cela suppose une utilisation en estoc, en coups portés très violemment, seuls capables de transpercer un sanglier ou un cerf. Un fantassin est plus à même de se servir d'un tel épieu, tenu fermement des deux mains. Un cavalier serait moins à l'aise, occupé à tenir ses rênes et diriger son cheval, même si la chose est possible. De fait, je placerais volontiers cette arme entre les mains des Germains de la cavalerie mixte, du moins des fantassins qui courent à côté des cavaliers montés, accrochés à la crinière ou à la queue de l'animal. Arrivés au cœur de l'action, pendant que les cavaliers escriment, ils peuvent avec leurs épieux perforer les poitrails des chevaux ennemis et mettre à terre leur cavalier.


Plusieurs commentaires :
Ce que tu désignes comme des épieux à ergots latéraux est nommé lance par les auteurs de Sur les traces de César ; le terme d'épieu étant réservé par ces auteurs à une pointe effilée à douille.

On notera au passage qu'un lecteur anglophone traduirait les deux par spear ou par spear and javelin :P

Les ergots forment un arrêtoir comme celui des épieux de chasse, je suis bien d'accord.

Concernant les utilisateurs, j'avais envisagé que ce soient les fantassins montés ou tractés qui aient pu utiliser les épieux à douille et les cavaliers les lances à ergots. Une des questions à se poser est celle de la longueur respective des hampes de ces deux armes d'hast et de leur utilisation conjointe ou non avec un bouclier.

La lance à ergots pourrait très bien être utilisée à cheval par un cavalier comme la contos des cataphractaires parthes ou sarmates, tenue à deux mains. Les Germains de César, même s'ils étaient des guerriers professionnels bien équipés, ne disposaient pas de telles armures d'écailles, la cataphracte, couvrant le cavalier et sa monture.

Iaroslav Lebedynsky rapporte que les Cosaques du XIXe siècle utilisaient d'une seule main une lance de 3,5 m mais ils disposaient d'étriers ce qui n'était pas le cas des cataphractaires. L'utilisation ou non de la selle à cornes ou d'un autre modèle change aussi les paramètres.

MessagePosté: Sam 17 Jan, 2009 14:06
de Sedullos
Marcus Caelius a écrit:Après, César en témoigne, il peut exister quelques interdits (religieux ou psychologique) quant à l'utilisation de telle ou telle pièce d'équipement, comme la selle…


On pourrait aussi envisager une troisième raison plus technique.
Si les cavaliers forment un binôme à cheval avec le plus léger qui descend et remonte en "selle" rapidement, au vu de "l'exiguité" du cheval germain, la selle apparaît plus comme une gêne que comme une aide.

Les Amérindiens des plaines sont devenus en deux siècles les meilleurs cavaliers du monde aux dires de certains et cela sans utiliser de selle, une simple couverture tissée ou une peau leur suffisait.

MessagePosté: Sam 17 Jan, 2009 15:31
de M. Caelius
Salve Jean-Paul,

Je suis d'accord. On peut sans doute distinguer les noms particuliers de ces armes, mais pour faire simple, je différencierai seulement le javelot de la lance. Cette dernière connaît des formes et longueurs diverses. Le contus est mentionné par Polybe qui le décrit comme la lance des cavaliers, copiée du modèle grec, très fragile, et dont les secousses du cheval suffisent parfois à briser sa hampe. On imagine mal dans ce cas une arme destinée à la perforation violente de poitrails de chevaux ou d'ennemis dans des charges frontales. Elles servent plus sûrement à piquer, tenue d'une main, généralement au-dessus de la tête, bras plié. Ce sont de petits coups rapides, peu perforant, et le fer est extrait rapidement par un mouvement sec du poignet, sinon, l'arme risque de trop s'enfoncer et de ne plus être ressortie. La technique doit demander un certain entraînement. Le geste prime sur la force. La lance tenue des deux mains est plus difficile à retirer dès l'impact, car plus longue et plus lourde.

Pour revenir aux fers à ricasseaux, je les mettrai en effet davantage entre les mains des fantassins montés germains, pour les raisons évoquées. Il est vrai que la longueur des hampes pourraient être un indice qui aiderait à les attribuer à tel ou tel type de combattants.

Pour finir, je dois avouer que c'est Franck Mathieu qui m'a forcé à venir sur ce forum…

MessagePosté: Dim 18 Jan, 2009 12:38
de Sedullos
Salut à tous,

Leukirix a écrit:D’accords pour l’infanterie gauloise prévu pour le corps à corps et aussi avec l’artillerie mentionnée par Matthieu, il faut dire que, en plus et par exemple, le pilum romain est une arme bien plus puissante que les javelots gaulois. Une seule de cette arme suffit à neutraliser un bouclier alors qu’il faut plusieurs javelots pour parvenir aux mêmes résultats ! La nature du combat antique ne permet pas la perte du bouclier d’où des armes prévues justement à cet effet.

En clair, en plus de la couverture du front par les innombrables traits lancés par les troupes auxiliaires et l’artillerie, il faut ajouter ensuite le légionnaire capable de tuer à distance avec son pilum (ou au mieux de « mettre à poil » l’adversaire en neutralisant le bouclier avec le pilum). On comprend alors le refus pour les généraux gaulois de refuser la bataille en rase campagne. Enfin, la spécialité de nos combattants gaulois, pour les élites en tout cas, est basé d’abord sur l’attaque éclair, nous n’avons pas à faire à des armées levées pour conquérir de grand territoire, ni même à une élite militaire rompu à cet exercice, au contraire de la tradition romaine.


A propos de la différence entre les javelots gaulois et le pilum romain, je uis d'accord même si au fond comme le mentionne Gérard Bataille dans Les Celtes : des mobiliers aux cultes, un javelot ou une javeline ne sert qu'une seule fois. C'est d'autant plus vrai que le pilum était conçu depuis l'époque de Marius pour se tordre au premier impact et embarasser l'adversaire. Un pilum se fichant dans un bouclier et le guerrier gaulois devait abandonner celui-ci. On ne peut pas exclure le cas où la pointe du pilum percute l'umbo, la protection centrale en fer, je pense aux umbo circulaires et là, c'est le pilum qui est mort, pas le combattant gaulois. César a aussi mentionné le cas de pila qui sont saisis au vol par des Gaulois ou et des Belges et retournés à l'envoyeur.

Ceci suppose d'ailleurs qu'ils n'arrivent pas à une vitesse très rapide ce qui est logique pour un javelot assez lourd. Peut-on estimer la distance de lancer du pilum ? Adacanaunos précisait dans un post qu'il fallait bien distinguer la portée des javelots gaulois et autres tragula de celle des flèches, balles de fronde et missiles d'artillerie, utilisés massivement par les Romains.

Je pense que les portées varient entre 10 et 30 m pour les premiers et entre 200 et 400 m pour les armes romaines.

10 m pour un pilum léger et entre 2 et 5 m pour la variante lourde seraient-elles des distances raisonnables ?

Un dernier truc :

On comprend alors le refus pour les généraux gaulois de refuser la bataille en rase campagne.


Je ne comprends pas : ils acceptent ou ils refusent, c'est pas clair :wink: